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Poison

Personne ne sait quand les premiers poisons ont été utilisés par l’homme, car encore faudrait-il pouvoir en identifier les traces. Aussi certains se contentent-ils d’une formule vague mais honnête, sur le mode « l’utilisation des poisons pour l’homme est probablement aussi ancienne que la notion de crime », alors que d’autres fixent comme limite le moment où apparaissent les premières traces qui nous sont parvenues… c’est à dire vers 4500 avant Jésus-Christ. L’idée la plus communément répandue est que les tribus préhistoriques ont découvert, par l’observation, que certaines plantes pouvaient rendre malades et que certains animaux avaient cette capacité de paralyser ou de tuer leurs proies.

Le poison est alors entré dans la panoplie des outils de chasse, pour faciliter la tâche de ceux qui s’attaquaient au gros gibier. Des armes spécifiques ont été mises au point pour l’utiliser, notamment sur des flèches ou fléchettes empoisonnées. Et, naturellement, il n’a probablement pas fallu attendre longtemps pour que, de la chasse, le poison devienne une arme en cas de guerre contre d’autres hommes.

Il faut dire que, en la matière, la nature est généreuse. Parmi les plantes qui peuvent fournir du poison, on peut citer l’aconit, la jusquiame, la ciguë, la colchique, les digitales, le laurier rose, le houx, l’if, la belladone – rappelons, pour la beauté du geste, que le nom de cette plante vient de bella donna, en italien, car les femmes, probablement dès le Moyen Âge mais au moins à la Renaissance, l’utilisaient en infusion qu’elles se mettaient dans les yeux pour dilater leurs pupilles et avoir un regard plus sombre, considéré comme attirant pour les hommes. Le cyanure, poison violent, est également d’origine végétal, puisqu’on le trouve dans l’amande, et dans les noyau de fruits à noyaux (abricot, pêche, prune, cerise…). N’oublions pas, dans cette liste très loin d’être exhaustive, le curare et le ricin, extraits de plantes, et divers champignons vénéneux, au effets plus ou moins puissants. Et il ne manque pas non plus d’animaux venimeux : araignées, scorpions, serpents, poissons – comme le fugu, par exemple -, ou certaines grenouilles…

Impossible, dès lors que l’imagination humaine peut s’appuyer sur les innombrables ressources d’une nature proposant des substances toxiques à profusion, d’imaginer que l’on aurait pu empêcher certains petits malins d’en saisir toute la portée…

Il est impossible, par manque de sources, d’évaluer l’emploi des poisons dans les premiers temps. Mais leur apparition dans les récits mythologiques permettent, clairement, de valider le fait que les grecs, puis les romains, les connaissaient. Hécate, puis ses filles, Médée et Circé, y ont volontiers recours ; Locuste, elle aussi, figure au rang des grandes empoisonneuses… Dans la mythologie hindoue également figure une empoisonneuse, Manasa, maîtresse des serpents venimeux. Cette persistance du lien entre féminité et poison n’est d’ailleurs pas sans interroger…

Les grands auteurs de l’Antiquité, cependant, restent particulièrement discrets sur le sujet. Dans un traité attribué (mais sans doute faussement) à Galien, une raison est donnée à ce silence, insistant sur le fait qu’il serait imprudent de trop en dire, de peur que cette connaissance ne soit mise à profit par ceux qui voudraient s’en servir pour commettre des crimes. Mais l’objectif ne semble pas avoir été atteint : le poison devient une façon relativement courante de se débarrasser de gêneurs, mais aussi, pour certains, une bonne manière d’échapper à un destin déjà scellé. On peut penser ici à Démosthène, échappant, grâce au poison, à Archias ; à Hannibal ; à Cléopâtre, évidemment. Le poison est également l’un des choix offerts aux condamnés, avec la corde et l’épée : Socrate, Théramène, Phocion ou Prodicos de Céos en ont fait l’expérience.

Le poison, cependant, reste essentiellement lié à la magie, et, par ricochet, aux magiciennes. Nous avons déjà cité Médée et Circé, mais la figure de la magicienne ne se limite pas à ces deux-là : Agamède la blonde (Homère, L’Iliade, XI, 740), Tisiphone, Érinye, Déjanire, Camma, Arétaphile en offrent d’autres exemples. Puis, par extension, d’arme des magiciennes, le poison devient, plus prosaïquement, l’arme des femmes. En 331 avant JC, une première « affaire des poisons » coûte la vie à de nombreux citoyens romains, et ce sont une vingtaine de matrones qui sont accusées. En 154 avant JC, la cause est entendue : il est tellement évident que les poisons sont systématiquement employés par des femmes qu’il n’est même plus besoin de procès. Ainsi, Publicia, femme d’un consul et Licinia sont étranglées à la demande de leur proche, sans procès ! Les empereurs ne sont pas épargnés : Marcia tente d’empoisonner Commode (l’échec de Marcia oblige à employer des arguments plus virils : assommé par les potions qu’elle lui a fait ingurgiter, il ne peut résister quand Narcisse, un athlète, vient achever le travail en l’étranglant), alors qu’Agrippine la jeune, elle, empoisonne Claude avec des champignons.

Mais les époques suivantes ont également leurs empoisonneuses : Frédégonde, au Moyen Âge, Catherine de Médicis ou Lucrèce Borgia, à la Renaissance – pour cette dernière, les historiens considèrent désormais que la légende est bien trop noire, et tendent à la réhabiliter ; l’empoisonneur, dans la famille Borgia, était plutôt César, son frère -, et, naturellement, à la Cour de Louis XIV, la Brinvilliers et la Voisin, actrices, parmi tant d’autres, de « l’affaire des poisons » (1679-1682).

Avec l’arrivée de la chimie, de nouvelles substances ont été mises au point. Mais avec les progrès de la détection et de la médecine légale, il est désormais pratiquement impossible d’utiliser un poison, quel qu’il soit, en espérant passer inaperçu. L’utilisation de poisons radioactifs, comme le radium ou le polonium, constitue en elle-même un message, en général politique. Des gaz, notamment des neurotoxiques, ont également été mis au point, initialement pour un usage militaire, mais ont pu, pour certains, être utilisés pour des attentats, comme cela a été le cas avec le gaz sarin dans le métro de Tokyo, en 1995.

Le poison dans nos lectures

De nombreux livres, et notamment des romans policiers, font une large place aux poisons, de tous types. La championne toutes catégories, en la matière, est très certainement Agatha Christie, qui a utilisé cette arme dans beaucoup de ses romans, étalant toute l’étendue de ses connaissances de préparatrice en pharmacie… En témoignent la thèse de pharmacie qu’Amandine Striebig lui a consacrée, intitulée Les poisons utilisés dans les romans d’Agatha Christie, ainsi que le site d’Emmanuel Curis, consacré aux poisons dans les romans policiers.

Avec le développement des romans policiers historiques, on retrouve de nombreux livres dans lesquels le poison joue un rôle. On peut penser, pour l’époque préhistorique, aux manigances des Mangeurs d’âme, qui manipulent les esprits et les poisons, dans Fils de l’eau. L’Antiquité, on l’a vu, connait aussi ses empoisonneuses.

Le Moyen Âge n’est pas en reste, et le poison se fait une belle place dans les romans policiers médiévaux. On peut penser au livre de Marc Paillet, à l’époque de Charlemagne, Le poignard et le poison. Ou à La couleur de l’archange, l’une des aventures de Galeran de Lesneven, chevalier breton en 1133, de Viviane Moore. Comment ne pas penser également au Nom de la rose, d’Umberto Eco, aventure à l’occasion de laquelle Guillaume de Baskerville va affronter un empoisonneur. Et il y en a encore bien d’autres, sous la plume d’Andrea H. Japp (Monasterium ou dans la série de La dame sans terre), d’Ellis Peters (frère Cadfael doit découvrir le fin mot d’un empoisonnement dans Le capuchon du moine), et jusqu’et y compris dans une série pour enfants, celle d’Évelyne Brisou-Pellen, qui confronte son héros, Garin Trousseboeuf, au poison dans L’herbe du diable.

Toujours dans l’histoire, la série des aventures de Nicolas Le Floch, de François Parot, fait également place à quelques empoisonnements, comme dans L’affaire Nicolas Le Floch, Le sang des farines ou Le fantôme de la rue Royale. De grands auteurs, eux aussi, n’hésitent pas à y recourir : dans Hamlet, mais également dans Roméo et Juliette, il a sa place.

Mais encore à une époque contemporaine, certains auteurs convoquent le poison, comme Elisabeth Herrmann, dans Jeu de massacre à Berlin, ou, dans un style plus… agent secret pour enfants, Jack Lancer dans Chris Cool chez les Jivaros (bibliothèque verte, pour ceux qui s’en rappelleraient!).

De façon moins systématique, mais tout de même, la science fiction, et en particulier le médiéval fantastique, lui fait une bonne place, comme dans Game of Thrones – on pense au moins à l’assassinat du roi Joffrey, et, dans la série, à Arya Stark se vengeant des Frey.

Enfin, il est difficile de ne pas songer à Blanche-Neige, empoisonnée par la méchante reine, et, par extension, à Alan Turing, mathématicien de génie, qui s’est suicidé en reproduisant la scène, avec une pomme empoisonnée au cyanure…

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