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Café

Une fois n’est pas coutume, le thème d’aujourd’hui est assez peu présent dans les livres. Et pourtant. Son absence même est en soi un immense cri d’amour. Car, sincèrement, que serait la littérature sans le café ? Pourtant, trouver des livres dans lesquels le café tient une place véritable – le café-boisson – nécessite un véritable effort. Ce qui rejoint ce que Crystel Pinçonnat disait de la cuisine, dans un article paru en 2010 dans la Revue de littérature comparée, « La cuisine, un lieu et ses pratiques. De la tradition à la transgression », insistant sur le fait que l’espace de la cuisine intéresse peu la littérature.

Dans les livres, le café est souvent consommé sur un coin de table, dans un gobelet en plastique, péniblement extrait d’un distributeur, comme par inadvertance, ou pour tuer le temps. Pourtant, force est de constater qu’il joue, dans nos sociétés et dans nos vies, un rôle important, de convivialité, de marqueur social, également.

Contrairement aux boissons alcoolisées, le café ne semble pas occuper, dans les livres, la place qu’il occupe dans la vraie vie – irl, diraient les jeunes ! Les héros de nos livres boivent du champagne, du vin, du whisky, mais beaucoup plus rarement du café. Cela a même donné lieu à une étude scientifique que je ne résiste pas à livrer à votre sagacité. Victor Schwach, de l’Institut de psychologie sociale de Strasbourg, dans un article intitulé « Le roman policier un nouveau médium publicitaire », publié dans le n°41 de Communication & Langages (1981), s’est intéressé de près à la consommation de boissons dans les romans policiers OSS 117, en distinguant ceux écrits par l’auteur initial, Jean Bruce, et ceux écrits ensuite par sa femme, Josette Bruce. Dans cette série, le whisky est la boisson préférée du héros, le café venant en deuxième position.

Il s’agit là d’une immense injustice. Le café, deuxième matière première la plus échangée au monde (le marché mondial du café représente de l’ordre de 15 milliards de dollars chaque année), est presque invisible dans les livres. Il fait pourtant partie intégrante de la vie littéraire : il suffit, pour s’en convaincre, de voir le nombre d’auteurs qui se revendiquent addicts, dans la lignée de Voltaire, dont la consommation quotidienne pouvait dépasser les 50 tasses, ou d’Honoré de Balzac, qui aurait bu 50 000 cafés en écrivant la Comédie humaine. D’autres artistes ont également assidûment consommé ce breuvage, et l’ont glorifié dans leurs œuvres, comme Jean-Sébastien Bach ou Beethoven.

Mais lorsque le mot café est présent dans un livre, c’est beaucoup plus souvent pour parler du lieu, espace social s’il en est, que du contenu de la tasse. On pourra se reporter, à ce sujet, à l’article de Jacques Barrau (« Café boisson, café institution », Terrain, n° 13, 1989).

Depuis son arrivée en Europe et en France, pratiquement en même temps que deux autres boissons issues de plantes exotiques, le thé et le chocolat (entre le XVIe et le XVIIe siècles), le café a pourtant suscité beaucoup d’intérêts. Les plus grands historiens, comme Fernand Braudel, ont insisté sur la difficulté qu’il y aurait à vouloir écrire une histoire du café. Même si c’était à Paris qu’il fallait convaincre – ce qui fut fait en 1643 –, c’est par Marseille que les précieux grains se mirent à affluer en provenance du Levant. En 1644, on y trouve « du café et des tasses pour le boire » (A. Chevalier, Les caféiers du globe, fascicule 1. Généralités sur les caféiers, Paris, Paul Lechevalier, 1929), et, en 1671, on y ouvre la première maison de café… dont le succès a ouvert la voie. Depuis, les vertus anti-fatigue et stimulantes – autant pour l’attention que pour l’imagination – ont été abondamment décrites, parfois même avec excès.

Pascal Marmet, dans Le roman du café, propose pour sa part à la fois une histoire romancée, une analyse sociologique, une chronologie historique (jusqu’en 2080 !), un panorama des grands crus, ainsi qu’une observation des façons de boire du café dans le monde.

Mais autant il est facile de trouver des héros qui aiment le vin, le whisky, le champagne… autant les amateurs de café sont rares dans les livres. Lorsque l’on retrouve du café dans les livres, cela peut être dans deux contextes distincts. Parfois le café est essentiellement un pourvoyeur d’énergie, notamment au moment du réveil : on va retrouver cela, par exemple, dans Du poison dans les veines, d’Alfred Lenglet. Le recours au café permet de souligner la fatigue intense ressentie par les personnages, qui, le matin, ont besoin de trouver un rituel pour se lancer dans leur journée. Dans certains cas, le café accompagne la réflexion, la rêverie, la concentration.

Un autre emploi du café est radicalement différent. Grâce à son amertume, il permet à certains de masquer un autre goût… par exemple celui du poison. Si celui-ci à déjà fait l’objet d’un article de cette rubrique, rappelons seulement qu’Agatha Christie masque dans du café de la strychnine, dans La mystérieuse affaire de Styles ou dans Pension Vanilos. On retrouve également ce schéma dans Un café maison, de Keigo Higashino, et probablement dans plusieurs autres romans policiers.

Rares semblent donc être les romans dont le café est un personnage central. Nous n’en avons, en préparant cet article, repéré que trois, dans des styles assez différents. Le marchand de café (2005), de David Liss, est un thriller historique à Amsterdam au XVIIe siècle, alors que le café devient un enjeu pour les acteurs de la première bourse de marchandises du monde. Le maître de café (2013), d’Olivier Bleys, pour sa part, décrit la vie, dans les années 1950, à Rome, d’une famille de torréfacteurs, les Pietrangelli. Enfin, dans L’odeur du café, Dany Leferrière fait de cette boisson le support du souvenir : sa madeleine, c’est l’odeur du café que faisait Da, sa grand-mère, quand il était petit…

Le café dans nos lectures

Le commissaire Van In, le héros récurrent de Pieter Aspe, dont nous avons eu l’occasion de vous parler dans la chronique sur Le carré de la vengeance, boit souvent du café. Mais c’est essentiellement pour effacer les traces de ses excès, car il préfère infiniment la Duvel.

Andreas Auer, l’inspecteur de Marc Voltenauer, dont nous avons déjà suivi les aventures dans Le dragon du Muveran, et dans Qui a tué Heidi ?, boit du café au lait au petit-déjeuner. Mais il préfère clairement d’autres boissons…

Pour trouver des mentions plus complètes, il faut remonter dans le temps. Ainsi, Jean-François Parot, au fil des aventures de Nicolas le Floch, son commissaire au Châtelet, retrace l’histoire de Paris au XVIIIe siècle, sous les règnes de Louis XV et Louis XVI, alors que les habitants découvrent le café, le chocolat. Alors que M. de Noblecourt préfère le chocolat, Nicolas ne refuse pas une tasse de café que lui offre son amante. Le café et ses usages sont ainsi mentionnés dans au moins quatre aventures de Nicolas le Floch : L’énigme des Blancs-Manteaux, Le sang des farines, Le fantôme de la rue Royale et L’affaire Nicolas le Floch. Deux livres consacrés à ce que Nicolas le Floch nous dit de la vie d’alors signalent ces mentions : À la table de Nicolas le Floch (2015), de Marion Godfroy et Jean-François Parot, et « Nicolas le Floch », le tableau de Paris de Jean-François Parot (2013), de Pascale Arizmendi.

Le principal souvenir que laisse le café dans les romans, c’est celui du « café de dégrisement », le matin sur un coin de table, pour ceux qui ont tendance à abuser d’autres boissons – on peut penser à l’inspecteur Wallander, de Henning Mankell, par exemple ; ou celui du café insipide récupéré vite fait sur un distributeur automatique qui sert essentiellement à se réchauffer les doigts. On est quand même bien loin des cafés-littéraires auxquels accourent le tout-Paris !

Et comment résister à citer Paul Coelho, qui, dans Adultère, parle du café en ces termes :

« Jacob !

Il vient de ressusciter et d’envoyer un message m’invitant  à prendre un café – comme s’il n’y avait pas dans la vie d’autres choses intéressantes à faire. Où est le goûteur de vins sophistiqué ? Où est l’homme qui maintenant détient le plus grand aphrodisiaque au monde, le pouvoir ?

Surtout, où est l’amoureux de l’adolescence que j’ai connu à une époque où tout était possible pour nous deux ?

Il s’est marié, il a déménagé et il envoie un message m’invitant pour un café. Ne pouvait-il pas être plus créatif et proposer une course nudiste à Chamonix ? J’aurais peut-être été plus intéressée.

La machine à café, le percolateur, est finalement plus spectaculaire que le petit noir qui en est issu. Le bruit, la vapeur, les chromes rutilants sont finalement évoqués plus souvent que l’odeur ou le goût du breuvage. « Au comptoir, un jet de vapeur sifflante fusait du percolateur », nous décrit Jean Mistler dans L’Ami des pauvres ; Sébastien Rongier, lui, évoque « … la plonge incessante, le bruit des percolateurs, la vapeur d’eau qui chauffe le lait dans des pots chromés, la musique des juke-box qui se mêle aux conversations, les éclats d’ivresses qui se réveillent », dans 78 ; dans Vienne la nuit sonne l’heure, c’est « le bruit des quelques discussions des clients, des verres que le garçon rince dans la plonge, du chuintement de la vapeur s’échappant du percolateur et des bruits de la vaisselle qui s’agite en cuisine » qu’Alain Peyret signale. Quant à Federico Fellini, dans Le voyage de G. Mastorna, il en fait le décor dans lequel évolue Adélaïde « derrière le comptoir, en train de servir le café et de laver les verres, au milieu de la vapeur du percolateur : c’est une belle brune, aux formes généreuses, en sueur, avec un léger duvet sur les lèvres et des yeux blancs de lionne ».

Alors, avis aux écrivains : si l’arôme du café vous transporte, si le « petit noir » du matin est un moteur, dites-le, écrivez-le !

8 réflexions au sujet de “Café”

  1. Cet article est génial. La première partie m’intéresse particulièrement mais la seconde est très divertissante !
    Je me demandais si vous aviez des recommandations de lecture d’histoire du café assez accessible pour une première lecture ?

    Aimé par 1 personne

    1. Merci ! Nous n’avons pas lu spécifiquement toutes les histoires du café, l’objectif n’étant pas d’en écrire une à notre tour, mais le livre de pascal Marmet semble à la fois complet et abordable. Et consultable sur le web… Encore merci de votre intérêt, en tout cas ! 😀

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