Témoignages

Intérieur nuit

Chronique de Intérieur nuit, de Nicolas Demorand.

« Pendant des années, j’ai eu mal, très mal. J’en concluais que je devais donc être malade. Mais de quoi ? Pourquoi les médecins ne formulaient-ils aucun diagnostic ? Pourquoi les médicaments me faisaient-ils souffrir au lieu de me soigner ? Pourquoi l’idée de la mort m’est-elle si longtemps apparue comme seule échappatoire ? Pourquoi n’ai-je pas parlé à des proches, à des amis, à ma famille ? Pourquoi ce silence ? Je suis un malade mental. J’ai honte, j’ai peur, je vais vous raconter mon histoire en tremblant. »

Nicolas Demorand, Intérieur nuit, Les Arènes, 2025, p. 18.

Motivations initiales 

Tout le monde en parle et j’apprécie l’homme que j’entends chaque matin à la radio, alors j’ai décidé de me plonger dans son histoire. 

Synopsis

Intérieur nuit est un plongeon sans fard dans les nuits intérieures de Nicolas Demorand, où la voix du journaliste laisse place à l’homme, plus fragile, plus nu. À travers ce texte, il met en lumière sa lutte contre une maladie que beaucoup taisent : la bipolarité.

Oscillant entre euphorie extrême et effondrement abyssal, l’auteur raconte la tension constante de cette ligne de crête. Il dit l’énergie dévorante, la peur des gouffres, les soirs sans sommeil, le chaos intérieur qu’il faut dompter pour continuer à informer le monde tout en essayant de se comprendre soi-même.

Entre confessions lucides et poésie sombre, Intérieur nuit parle de l’impossible équilibre : tenir debout sous la lumière publique tout en composant avec ses propres orages. Un texte intime, brut et bouleversant, qui rappelle que certaines batailles se mènent dans l’ombre, là où personne ne regarde.

Avis

Dès qu’on referme Intérieur nuit, un sentiment étrange reste collé au ventre : une lucidité inconfortable mêlée à une profonde empathie pour ce qu’on appelle si vite les « maladies mentales ». Nicolas Demorand signe ici bien plus qu’un témoignage : il ouvre la porte sur une vie partagée entre deux extrêmes, la dépression qui engloutit et l’euphorie qui consume.

Dès la couverture, tout est dit : dehors, du noir ; à l’intérieur, une touche d’orangé, presque joyeuse — mais, chez Demorand, même la lumière peut être suspecte. « Être heureux est dangereux », écrit-il. Un aveu simple, terrible, qui résume l’enfermement du trouble bipolaire. L’auteur nous confie, sans filtre, cette coexistence entre l’homme « normal » qu’il tente d’incarner chaque matin derrière le micro de France Inter et celui qu’il devient quand tout déraille.

On entre dans son intimité par la grande porte : ses nuits sans sommeil, ses pulsions d’achats absurdes, ses excès, ses addictions, cette créativité en surchauffe qu’il paye ensuite d’un gouffre plus profond encore. On suit la mécanique implacable : l’euphorie qui monte comme une marée noire, puis la chute, toujours plus silencieuse, toujours plus violente. On sent le corps, l’esprit, la honte qui ronge tout. Et cette peur constante : quand viendra la prochaine vague ?

Ce qui rend ce texte bouleversant, c’est que Nicolas Demorand n’édulcore rien. Il parle de ses consultations ratées, de ces médecins incompétents qui, pendant vingt ans, n’ont pas mis de mots sur ce qu’il vivait. Il interroge aussi la société, notre peur du « trop dérangé », du « trop fragile », de « l’excessif ». À travers son propre combat, il donne voix à tous ceux qui n’en ont pas — ceux qu’on « gave » de médicaments sans jamais écouter, ceux qu’on préfère rendre invisibles.

Mais Intérieur nuit est aussi un acte de survie par l’écriture. Écrire, pour l’homme de radio, c’est recoller les morceaux, mettre des mots sur la honte, même si cela n’efface rien. Il le dit lui-même : écrire a été possible grâce à cette phase maniaque qui l’a porté — avant que la dépression ne l’oblige à tout interrompre. Il y a quelque chose de presque ironique, tragique, mais aussi profondément humain dans cette tension : créer grâce à ce qui détruit.

En lisant ce livre, impossible de ne pas penser à celles et ceux que nous croisons parfois sans savoir. À ces proches qui, derrière un « ça va » automatique, taisent le chaos intérieur. À ces vies qui oscillent, sans prévenir, entre un trop-plein de lumière et un trou noir impossible à combler.

Cette lecture remue plus que je ne l’imaginais. Elle m’a rappelé une amie, bipolaire elle aussi, dont les phases UP débordaient de projets fous avant de s’écraser contre un mur. Une amie qui, malgré tout, n’a jamais cessé de se battre — pour elle et, parfois, pour moi.

Intérieur nuit est un livre nécessaire, inconfortable, lumineux dans son obscurité même. C’est un rappel brutal, mais salutaire : certains combats se mènent en silence, derrière des portes fermées. Et parfois, tout ce qu’on peut faire, c’est écouter, sans juger, mais sans détourner le regard.

Pour en savoir plus

Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

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