Chronique de La Bête – T.1 & T.2, de Frank Pé et Zidrou.
« – Combien elle mesure, sa queue ?
– 8 mètres et 55 centimètres.
– Wah ! C’est pas une queue ! C’est une allonge électrique ! »
Franck Pé et Zidrou, La Bête – T.1, Éditions Dupuis, 2020, p. 111.
Motivations initiales
Zidrou et Franck Pé, réunis autour d’un album consacré au marsupilami, c’était une promesse intrigante. La perspective de découvrir cette créature culte sous un nouveau jour, loin de l’image facétieuse et inoffensive qu’on lui associe, a éveillé ma curiosité…
Synopsis
Belgique, années 50. Une époque rigide, marquée par des carcans sociaux et familiaux où la différence n’a pas sa place. Dans cet univers figé, la Bête apparaît : un animal inconnu, étrange, capturé au fond de la jungle et enfermé dans un zoo sinistre.
Mais cette créature, qu’on croit sauvage, dangereuse, bestiale, va croiser la route de François, un adolescent orphelin, recueilli dans une institution où règne la discipline froide et l’autorité aveugle. Ce garçon-là, malmené, rejeté, va voir en la Bête bien plus qu’un monstre : un miroir. Une promesse de liberté. Une rencontre essentielle.
Autour de cette relation naissante, Zidrou et Franck Pé tissent une histoire profondément humaine : il est question d’animaux maltraités, d’humanité dévoyée, de regards qui jugent trop vite, d’amours interdites, de solitude, mais aussi de tendresse, de révolte, et d’espoir.
Avis
La Bête est l’un de ces albums qu’on referme en ayant l’impression d’avoir vécu une expérience complète — esthétique, émotionnelle et réflexive. Ce qui frappe en premier, c’est évidemment le travail graphique de Franck Pé. Son trait est incroyablement expressif, autant dans l’évocation des paysages brumeux de la Belgique des années 50 que dans le rendu animalier. La Bête, loin du marsupilami exubérant et jovial qu’on connaît, est dessinée avec une puissance contenue, presque inquiétante, mais toujours empreinte d’une forme de grâce. Le moindre mouvement, le moindre regard, la moindre posture révèle une profondeur émotionnelle rare.
Le scénario de Zidrou est, lui aussi, d’une finesse remarquable. Loin de proposer une simple réécriture, il transforme le mythe du marsupilami en une véritable parabole sur la différence et l’acceptation. La Bête devient une métaphore de tout ce que la société rejette : l’anormal, l’incompréhensible, le dérangeant. En la plaçant dans un contexte social rigide, il dénonce subtilement la peur et la violence engendrées par le refus de comprendre.
L’histoire de François, orphelin esseulé, et de sa relation avec l’animal, donne à l’album une dimension profondément humaine. Les deux personnages sont, chacun à leur manière, des êtres rejetés, enfermés dans des structures qui veulent les modeler ou les réduire au silence. Leur rencontre, puis leur attachement, deviennent des actes de résistance.
Ce que j’ai adoré également, c’est la manière dont l’album réussit à traiter de thèmes difficiles sans tomber dans le mélodrame. L’amour, l’amitié, l’adoption, la maltraitance, la cruauté des institutions, le respect du vivant : tout est abordé avec équilibre, dans un mélange de dureté et de douceur qui donne à l’œuvre beaucoup de puissance.
Enfin, La Bête réussit l’exploit d’être accessible sans jamais simplifier son propos. On peut le lire pour la beauté de ses planches, pour son intrigue prenante, ou pour les réflexions plus profondes qu’il suscite. C’est cette richesse de lecture qui, à mes yeux, en fait un coup de cœur absolu.
Si vous pensez connaître le marsupilami, laissez Zidrou et Franck Pé vous prouver le contraire : La Bête est bien plus qu’une bande dessinée, c’est un choc visuel et émotionnel qu’il faut absolument découvrir.
Pour en savoir plus
Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

