Bandes dessinées

Sibylline, chroniques d’une escort girl

Chronique de Sibylline, chroniques d’une escort girl, de Sixtine Dano.

« C’était qu’une fois. Je croyais qu’on se devait rien, qu’on était libres. C’est même toi qui m’a dit de lui demander plus ! »

Sixtine Dano, Sibylline, chroniques d’une escort girl, Glénat, 2025, p. 105.

Motivations initiales 

J’ai vu passer cet album un peu partout depuis sa sortie. Je vous avoue qu’il me tentait mais le prix des BD et autres romans graphiques me freine de plus en plus… Heureusement, dans le cadre du Prix BD Fnac/France Inter 2026, je l’ai reçu dans la sélection ! 

Synopsis

Raphaëlle a dix-neuf ans et un avenir tout tracé dans l’architecture. Venue à Paris pour étudier, elle jongle entre ses maquettes, un job étudiant et les soirées qui ponctuent sa nouvelle liberté. Mais cette indépendance a un coût. Derrière ses allures de jeune fille studieuse, Raphaëlle mène une double vie. Certains soirs, elle rejoint des hôtels discrets où, sous le nom de Sibylline, elle vend un peu de son temps, de sa présence et parfois plus. À travers son regard, Sixtine Dano explore les zones grises de l’intimité, du désir et de la survie économique dans une société où tout, même le corps, peut devenir transaction. Ce n’est pas un récit de misère ni de scandale, mais un portrait nuancé d’une jeunesse qui cherche à tenir debout.

Avis 

Sixtine Dano livre ici une œuvre d’une maturité saisissante. Ce qui frappe d’emblée, c’est la délicatesse du regard porté sur son héroïne. Rien n’est jamais caricatural ni voyeuriste : Sibylline n’est pas une confession sulfureuse mais un récit d’apprentissage, celui d’une jeune femme qui cherche à se construire dans un monde où tout a un prix.

L’autrice parvient à aborder la question du corps marchandisé sans jamais ôter sa dignité au personnage. Elle interroge plutôt la tension entre autonomie et dépendance, entre choix et nécessité. Raphaëlle ne se définit pas par ce qu’elle fait, mais par ce qu’elle ressent, par la lucidité qui grandit en elle au fil des pages.

Le dessin en noir et blanc, d’une élégance rare, accentue cette tension. La bichromie évoque les contrastes intérieurs de Raphaëlle : la clarté des jours d’école et l’opacité des nuits d’hôtel, la pureté des lignes architecturales et le flou des émotions qu’elle ne sait plus nommer. Chaque case est pensée, ciselée, presque photographique. Le trait de Sixtine Dano oscille entre fragilité et précision, donnant au récit un souffle cinématographique. On retrouve dans ces planches la même économie de moyens que dans les architectures que construit Raphaëlle : le vide y a une fonction, il dit ce que les mots taisent.

Le texte, sobre et juste, ne cherche jamais à expliquer. Il suggère. Les silences comptent autant que les dialogues. C’est une bande dessinée qui se lit lentement, comme on regarde un film dont chaque plan compte. L’émotion naît d’une retenue constante : rien n’est appuyé, tout est contenu, et c’est justement ce qui bouleverse.

Ce qui rend cet album si fort, c’est qu’il refuse le manichéisme. Sibylline n’est pas une victime, mais elle n’est pas non plus une héroïne romantisée. Elle doute, se trompe, se relève. Elle incarne une génération qui affronte de plein fouet la précarité, la pression de la réussite et la solitude urbaine. En filigrane, Sixtine Dano dresse un portrait lucide de notre époque : celle où l’on vend parfois des morceaux de soi pour survivre, où l’intimité devient monnaie d’échange, et où la quête de sens se heurte à la dureté économique.

Le plus impressionnant, peut-être, est la maîtrise du ton. Tout sonne juste : les dialogues, les respirations, les gestes. On sent derrière chaque planche une profonde empathie, une écoute du réel. L’autrice n’impose pas un jugement moral : elle nous invite à regarder, à comprendre, à ressentir.

Sixtine Dano signe une œuvre à la fois pudique et bouleversante, qui interroge sans condamner, qui émeut sans pathos. On referme l’album avec une émotion sourde, conscient d’avoir lu l’un de ces récits qui marquent durablement, non pas par le choc, mais par la vérité qu’ils contiennent.

Une claque !

Pour en savoir plus

Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

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