Conte, Drame

Méduse

Chronique de Méduse, de Martine Desjardins.

« Le vieux lac n’avait rien perdu de sa lugubrité, ni le pensionnat de sa sinistrude. Au bout de son amarre, la barque flottait comme un sarcophage sur les eaux fétides ; la porte grinçante de la volière vide claquait au vent. Par cette nuit sans lune, même la lumière qui filtrait à travers les fenêtres semblait obscure. Néanmoins, j’ai retrouvé ces lieux familiers avec une pointe d’émotion, parce que j’y revenais en marchant la tête haute. »

Martine Desjardins, Méduse, L’Atalante, 2023, p. 193.

Motivations initiales

J’ai déjà eu l’occasion de le signaler, j’ai tendance à trouver que les livres publiés sont de plus en plus épais, comme s’il n’était plus imaginable de trousser une intrigue en 150 pages, comme si un roman digne de ce nom ne pouvait pas faire moins de 400 pages… comme si, au poids, vous étiez déjà assurés de ne pas être perdant. Je considère donc avec une sympathie toute particulière les petits volumes, fins, minces, presque maigres. Me voila donc, désormais, grossophobe des livres, un comble. Toujours est-il que c’est précisément cette caractéristique qui a attiré mes yeux vers ce Méduse.  Moins de 200 pages ! Une quatrième de couverture un peu mystérieuse y a suffi…

Synopsis

Méduse, c’est son surnom. Que ses deux sœurs, par moquerie, par méchanceté, aussi, lui ont donné alors qu’elles avaient été visité l’aquarium, pendant qu’elle était restée seule. Pourquoi cette distinction entre les trois sœurs ? Parce que, depuis sa naissance, chacun dans la famille a pris l’habitude de la considérer comme un monstre. Il faut la cacher. Sa mère lui a dit un jour « Si jamais tu montres tes yeux, je devrai te coudre les paupières ». Elle reste donc cloîtrée, honte de la famille, sauf quand il y a un orage ou une tempête. Là, elle a le droit de sortir dehors, mais sans s’éloigner. Cela dure jusqu’au jour où son père l’emmène à l’Athenaeum, un institut qui se charge des « monstres », de ceux dont la société ne veut pas. Mais, même là, on ne l’accepte pas parmi les « protégées », les jeunes filles qui y sont parce qu’elles souffrent d’un défaut physique : crâne en pain de sucre, tache de vin couvrant le visage, yeux divergents et chassieux, bec-de-lièvre, bosse, oreilles démesurées, menton en sabot, langue pendant hors de la bouche, pied bot, main aux doigts fusionnés, nez absent, absence de cou, nanisme…

Monstre parmi les monstres, Méduse est tout de même acceptée, pour faire le ménage, s’occuper des animaux, à la seule condition de toujours baisser la tête et ne regarder personne. Toujours cacher ses yeux, qu’elle nomme elle-même ses Difformités, ses Monstruosités, ses Repoussances, ses Hideurs, ses Anomalies… Vous avez compris l’idée ? Et dites vous que ceux-là viennent uniquement des cinq premières pages.

Méduse gagne petit à petit comme une espèce de confiance de la directrice, qui lui confie de plus en plus de tâches, et fini par l’autoriser à fréquenter la bibliothèque du fondateur de l’Institut. Mais que va-t-elle découvrir ?

Avis

Voilà quelques chroniques, je signalais le fait que plusieurs des derniers livres que nous avons lu étaient d’une grande originalité, parfois dans leur forme, parfois dans leur démarche, parfois dans leur thématique. Mais je ne savais pas encore que j’allais lire ce Méduse… Sinon je lui aurais réservé ce qualificatif. Parce que, sans doute aucun, il détient la palme toutes catégories.

Jamais rien lu de tel ! Voilà déjà une première façon de résumer ce livre. L’idée de cette jeune fille mise à l’écart parce que ses yeux seraient « monstrueux », qu’il faudrait les cacher, qui se retrouve dans cet institut dont les « bienfaiteurs » semblent être de vieux messieurs riches qui aiment jouer avec des jeunes filles maintenues en état d’enfance, et qui s’en débarrassent lorsque, trop âgées, elles ne les amusent plus, est en elle-même déroutante.

L’obstination de l’auteure à inventer de nouveaux mots pratiquement à chaque page pour les évoquer, ces yeux, qui deviennent Éhontitudes, Dégradances, Ordurités… a commencé à me paraître un peu répétitive, mais aussi un peu facile, vers le milieu du livre. Exercice de style, ai-je eu l’impression. Petit à petit, je commençais à trouver ce livre « trop ».

Pourtant, il se dégage de ces lignes une sorte de poésie morbide, pleine de noirceur. Petit à petit, Méduse découvre que ses yeux ont des capacités qu’elle ne soupçonnait pas, elle voit dans le noir, à travers le bandeau qu’on lui impose, dans les profondeurs du lac proche de l’institut. Et puis ils font tellement peur à ceux qui les aperçoivent qu’ils les paralysent ou les tuent.

Et puis la fin… La fin, subitement, pose d’autres mots sur ces yeux, et d’autres réalités. Parce qu’on lui a imposé, très jeune, de les cacher, Méduse a appris à en avoir honte. Car, après tout, ce que l’on doit cacher, c’est ce qui est obscène. Ce qui ne se montre pas est abominable. Mais, ce que Méduse découvre, c’est que cette honte est aussi une façon de la priver de ce qui constitue son pouvoir. Et apprendre à dépasser la honte est une façon d’atteindre à une forme de jouissance. Alors est-ce un livre féministe, qui parlerait de la façon dont le corps, et en particulier le corps féminin, est sous le joug de ceux qui imposent leur point de vue ? Cela peut être une lecture, mais est-ce la bonne ?

Que vous dire ? On sort de ce livre en étant sous le choc du charme, ou, peut-être, sous le charme du choc qu’il nous a fait subir. Je ne sais pas. Je sais juste que ce livre, en réalité, fait réfléchir, et quel est le rôle d’un livre, sinon cela, faire réfléchir ?

Pour en savoir plus

Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

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