Chronique de Le Chat du Rabbin – T. 1 La Bar-Mitsva, de Joann Sfar.
« Il faut croire en un Dieu d’adulte, lui dis-je, un Dieu qui se voile la face et qui nous interpelle par le vide, par son absence. »
Joann Sfar, Le Chat du Rabbin – T. 1 La Bar-Mitsva, Dargaud, 2017, p. 30.
Motivations initiales
Cela fait longtemps que ce livre est dans notre PAL. Les raisons pour lesquelles il y est resté tout ce temps sont multiples. D’abord, nous ne traitons en général qu’une seule bande dessinée par semaine. Ensuite il arrive que nous ayons des « urgences », avec certains titres qui nous sont envoyés par un éditeur ou un autre, et que nous essayons de traiter en priorité. Bref, celui-ci était resté. Et puis… et puis on sait bien les tensions autour des questions religieuses ces derniers mois. Paradoxalement, c’est le moment où il m’a semblé utile de le remonter dans la pile…
Synopsis
Un rabbin a une fille, un chat et un perroquet. Ou, plutôt, il vaudrait mieux dire qu’un rabbin, sa fille et un perroquet habitent chez un chat. Ce chat, qui est également le narrateur de cette histoire, s’est instruit ; il sait lire, il sait réfléchir et raisonner. Mais le perroquet fait trop de bruit à son goût, surtout pour ne rien dire. Alors, un jour, il le dévore.
Mais cela produit un effet curieux : soudain, ce chat se retrouve doué de la parole. Et parce qu’il a beaucoup observé le monde qui l’entoure, il sait que les mots peuvent lui servir à dire la vérité, ou à mentir. Ce qu’il commence d’ailleurs à faire en affirmant qu’il n’a pas mangé le perroquet, que celui-ci est parti. Mais, naturellement, personne n’est dupe.
Par mesure de représailles, et puisqu’il est capable de parler et, surtout, de mentir, le rabbin décide de ne plus le laisser approcher de sa fille. Le chat demande alors à faire sa Bar-Mitsva, pour être à nouveau accepté dans la compagnie de sa maîtresse. Désarçonné, le rabbin l’emmène chez son « directeur de conscience », dont les réponses s’avèrent à la fois dogmatiques et rigides, d’autant que le chat en profite pour faire la démonstration de son érudition, en ayant réponse à tous les arguments. Un dispositif qui permet de questionner la religion juive et, plus largement, les religions au sens large.
Avis
Ce chat ! Oui, il a tout de ces animaux qui vous prennent de haut parce qu’ils ont mieux compris la vie que vous… et qui vous le font savoir ! Mais, en même temps, on lui pardonne bien volontiers, puisque ses actions sont en réalité guidées par son amour pour sa maîtresse, dont il a été séparé et qu’il veut absolument retrouver. Il est prêt à tout pour parvenir à ses fins, et notamment se convertir au judaïsme, non par amour de Dieu, mais de la fille du rabbin.
Et puis il interroge, il met même en difficulté, le rabbin du rabbin. Il met en évidence les réponses toutes faites, les dogmes irréfléchis, les réflexes sans fondement. En habile rhéteur, il soutient la conversation, souligne les approximations. Mais il se retrouve lui-même pris entre des injonctions contradictoires, soulignant du même coup la complexité de ces questions religieuses. Et c’est peut-être là le côté le plus malin de cette bande dessinée : elle aurait pu être un plaidoyer en faveur du judaïsme, ce qui en aurait fait un objet orienté ; elle aurait également pu en être une critique radicale, ce qui aurait été constitutif d’une orientation inverse. Mais elle n’est ni l’un, ni l’autre : elle se contente – mais c’est juste énorme – de constater que le sujet est complexe.
Et puis… c’est hilarant ! Et on ne s’en étonnera pas, venant de Joann Sfar. C’est acide, c’est acerbe, c’est acidulé, c’est âcre par moments, c’est acéré. Cet sorte d’humour intimiste, qui semble revenu de tout, et qui est en même temps désespéré. Bref, ce mélange inimitable qui est un peu la marque de fabrique de l’auteur…
Vous ne connaissez pas encore Le Chat du Rabbin ? Prenez un aller simple, vous ne serez pas déçus !
Pour en savoir plus
Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

