Bandes dessinées

Boutonné en jalousie

Chronique de Boutonné en jalousie, de Jul Maroh.

« – Et ton yeuv, il vient ce soir ?

– Mon père ne m’écrit qu’aux anniversaires.

– Ouais, comme le mien quoi. Dans cette famille, on ne peut compter que sur les femmes. »

Jul Maroh, Boutonné en jalousie, Éditions du Lombard, 2025, p. 23.

Motivations initiales

Parfois, les Éditions du Lombard nous envoient des bandes dessinées ou des romans graphiques que nous leur avons spécifiquement demandés et parfois, ils nous en font parvenir dont nous n’avons pas encore entendu parler, nous offrant l’occasion de découvrir des auteurs et / ou des sujets vers lesquels nous n’aurions pas forcément été de nous-mêmes. Cet album fait partie de cette deuxième catégorie : nous n’avions pas encore eu l’occasion d’en entendre parler. Bonne occasion de découvrir l’univers de Jul Maroh !

Synopsis

Tout oppose Isael et Khalil. Le premier, blond, caucasien (du moins on l’imagine, ce n’est pas spécifié expressément), issu d’une famille aisée, forme avec Steph l’un des couples emblématiques du lycée.

Le second, brun, de cheveux et de peau, a fait son coming-out. « Je suis arabe et gay dans une société raciste et homophobe », résume-t-il. Son père ne donne de nouvelles qu’une fois par an, pour son anniversaire. Et, avec le seul salaire de sa mère, ils vivent dans une banlieue.

Leur seul point de rencontre, c’est le club de théâtre. Isael est sur la scène, il rêve de devenir acteur. Khalil, quant à lui, est passionné par la fabrication des décors, un talent que l’enseignante qui mène le club met volontiers à profit. Mais même dans ce cadre à part, leurs rapports sont tendus, Isael, provocateur et acerbes, ne manquant pas une occasion de railler Khalil. Ce dernier se réfugie alors dans son autre passion, le skate et auprès de ses deux meilleurs amis, Aïssata et Sacha. Ce dernier, canadien d’origine, au délicieux petit accent, se revendique bisexuel… et a un gros, mais alors gros gros faible pour Khalil.

Et justement, voilà que se prépare un voyage scolaire en forme de tournée théâtrale, auquel Isael, Khalil et Sacha vont participer…

Avis

Avant d’en venir au coeur du sujet, de l’album, et donc de cet avis, un point sur son titre. Boutonné en jalousie, quelle merveille ! L’auteur explique avoir détourné, parce que la sonorité lui plaisait davantage, une expression québécoise, « boutonné en jaloux » – qui signifie avoir mal boutonné sa veste ou sa chemise, en ne respectant pas l’alignement normal des boutons et des boutonnières, ce qui se produit souvent lorsque vous êtes trop pressé -, pour en faire ce « boutonné en jalousie », qui, sans être compréhensible avant la lecture, contribue cependant à donner une ambiance… Très beau choix, à mon sens !

Cet album aborde des questions qui nous ont toutes et tous, probablement, traversé à un moment ou un autre de notre existence. Sans même parler des interrogations autour du genre, qui sont très récentes et n’ont pas forcément concerné les plus ancien(ne)s d’entre nous, il interroge les relations familiales, amoureuses et amicales, le fonctionnement de groupe, la difficulté, à l’adolescence, de s’imposer comme singulier(e)… Autant de sujets classiques, mais qui sont traités ici sous un angle d’une grande poésie…

Et c’est bien normal que cette dimension poétique soit aussi forte, aussi présente, puisque l’auteur revendique, dans le cahier final intitulé « processus de création », que cette histoire soit née d’un poème de Mireille Havet, Arlequin, publié en 1922. Mireille Havet ? se diront probablement un certain nombre d’entre vous. Car, oui, cet album est aussi l’occasion de découvrir cette auteure et poétesse des Années folles, dont Jul Maroh dit qu’elle a eu un destin proche de celui d’Icare, « une envolée rapide vers le soleil, pour avaler chaque parcelle de ciel avec un appétit féroce, et malheureusement tomber dans les bras de la mort à 33 ans ». Et son poème Arlequin, déclaration d’un amour naissant d’une immense modernité, mérite bien d’être (re)découvert !

Les personnages sont riches, attachants, on prend plaisir à suivre leur parcours. Avec une mention spéciale pour Sacha, mais je vous laisse découvrir pourquoi, si vous décidez de lire cet album !

Et s’il y a dans cette histoire quelques facilités – on est heureux pour les protagonistes que leur entourage soit, au final, aussi bienveillant, aussi bien dans le cercle familial qu’avec cette enseignante proche de ses élèves, qui leur consacre temps et attention, et l’on aimerait que tous les adolescents, quoi qu’ils aient à traverser, bénéficient d’un tel accompagnement -, elles ne nuisent ni à la fluidité de la lecture, ni à l’histoire.

Pour en savoir plus

Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

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