Drame, Roman

555

Chronique de 555, d’Hélène Gestern.

« Scarlatti m’avait parlé d’emblée une langue d’amitié, de connivence et de ferveur. Un coup de foudre tellement brutal que j’avais l’impression, à chaque nouvelle sonate, d’une illumination, comme si un câble d’or nous reliait à travers le temps. »

Hélène Gestern, 555, Collection Folio, 2024, p. 84.

Motivations initiales

Je n’avais pas fait le lien avec Cézembre, chroniqué voilà quelques semaines et dont mon double m’avait dit beaucoup de bien. Ce livre m’est tombé sous la main dans notre librairie habituelle, son pitch était tentant, il est donc reparti avec moi. Et puis j’ai décidé de l’ouvrir…

Synopsis

Grégoire est ébéniste. Il est associé à Giancarlo, un luthier avec qui il fait, pratiquement, atelier commun – leurs espaces respectifs communiquent par une simple porte de séparation. Leur collaboration permet au premier d’accéder à divers travaux auprès des artistes et concertistes avec lequel travaille le second.

C’est en procédant à la restauration d’un étui à violoncelle que Grégoire découvre, dissimulée sous la doublure, une partition qui pourrait se révéler être la 556e sonate de Domenico Scarlatti. Entrent alors dans la danse une claveciniste de renom, Manig Terzian, un professeur d’université imbu de lui-même, expert de Scarlatti, Rodolphe Luzin-Farge et un riche collectionneur belge, Joris de Jonghe.

L’apparition de cette sonate, authentique ou non, va constituer une déflagration dans la vie de tous ces personnages.

Avis

La première chose que j’ai envie de signaler, c’est que je connaissais, avant de lire ce livre, le nom de Scarlatti, mais sans être en capacité de lui attribuer une œuvre, sans pouvoir préciser à quelle époque il a vécu et composé, et sans avoir la moindre idée des étapes de sa vie. J’ai donc décidé de profiter de cette lecture pour explorer tout cela, et j’ai accompagné ma lecture des enregistrements des 555 sonates connues de Scarlatti proposés – en podcast – par France Culture, dans divers lieux emblématiques, dont certains apparaissent effectivement dans le livre, comme le château d’Assas.

Je n’ai aucune connaissance musicale. Je n’ai jamais pratiqué aucun instrument, ma compréhension du solfège s’arrête au peu que j’ai eu l’occasion d’apprendre en cours de musique au collège. Bref, je suis incapable du moindre point de vue technique sur le sujet.

Pourtant, il m’a paru évident, en lisant ce livre, qu’il est construit en réalité comme une partition. Il se divise en « parties », chacune constituée de six « chapitres », pour chacun des personnages : Grégoire Coblence, Giancarlo Albizon, Manig Terzian, Rodolphe Luzin-Farge, Joris de Jonghe, et un sixième personnage dont, au démarrage, on ne sait rien. Et je me représente aisément cette construction comme une partition avec une ligne mélodique pour chacun des instruments qui, ici, sont nos personnages.

Ces personnages ont, chacun, leur ligne de fracture : Grégoire ne s’est pas remis du départ de sa femme ; Giancarlo, malgré son talent, est soumis à des addictions qui lui pourrissent la vie, le jeu et les conquêtes ; Manig voit l’arthrose s’attaquer à ses articulations et, en particulier, à ses mains, et sait que la fin de sa carrière approche ; Rodolphe, qui a dû se battre pour se hisser à la position enviable qu’il occupe – professeur à la Sorbonne, professeur invité à Harvard -, n’a plus grand-chose à se mettre sous la dent ; Joris, dévasté par la mort de son épouse et constatant tout ce qu’il n’a pas su faire pour les siens, n’est plus guère qu’une coquille vide – riche, mais vide.

Mais ce qui est le plus marquant, c’est que ce livre est tout entier consacré à l’amour. Ou, plutôt, à tout ce que l’on peut faire par amour. Se donner. S’oublier. Se taire. Se venger. Se perdre. S’aveugler. Se battre. Se dissoudre. Se rendre. Se tromper – soi-même, ou l’autre. Mentir et se mentir. Mais aussi revivre, oublier, partager, grandir, souffrir. Bref, l’auteure joue de toute la palette qui accompagne ce sentiment si inclassable, tellement difficile à définir.

Alors, oserez-vous pousser la porte de l’atelier de Grégoire ou de Giancarlo, et plonger dans les senteurs de bois et de vernis ?

Pour en savoir plus

Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

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