Chronique de Ne reste que la nuit, de Rose Mallai.
« Dès que je le pouvais, reprend Lila, je me réfugiais dans la chambre d’Antoine. C’était la seule personne qui n’avait pas connu ma mère et qui ne m’en parlerait jamais. Je ne voulais plus m’en souvenir, ça faisait trop mal. »
Rose Mallai, Ne reste que la nuit, Éditions du Gros Caillou, 2025, p. 33.
Motivations initiales
Tout le monde en parle, il fallait que je me fasse mon propre avis !
Synopsis
Serge est commandant de police. Mais ce soir-là, derrière la vitre de l’interrogatoire, ce n’est pas un criminel qu’il affronte : ce sont deux silhouettes, jeunes, abîmées, figées dans une nuit qui a tout fait basculer. Lila et son frère Antoine portent sur eux le poids d’un drame dont ils sont à la fois les témoins, les victimes — et peut-être plus encore.
Face à Serge, Lila ouvre la première brèche. Elle raconte un père tyrannique, des coups qui pleuvent, des mots qui brisent plus sûrement encore. Puis, la mort de la mère, fracture irréparable qui transforme la violence en silence. Lila devient gardienne : protectrice de son frère, ancrée dans ce rôle unique qui lui donne une raison de tenir.
Puis vient Antoine. Sa voix, tremblante, dévoile une douleur plus sourde : celle d’un enfant né coupable, marqué dès le premier cri. Il parle de cette mère qu’il n’a jamais connue, d’un père qui ne pardonne rien, d’une grand-mère qui détourne les yeux. Et de Lila, la seule lumière dans cette maison où l’amour se paie toujours trop cher.
Au fil des mots, Serge remonte la piste d’un secret de famille étouffant. À mesure qu’il assemble les fragments, la nuit semble s’épaissir — comme si certains drames n’étaient pas faits pour être mis en pleine lumière.
Avis
Ne reste que la nuit s’appuie sur une mécanique narrative redoutablement maîtrisée. Rose Mallai choisit de ne rien laisser au hasard : en un peu plus de deux cents pages, elle impose un rythme sec, tendu, sans la moindre digression inutile. Chaque mot semble calibré pour entretenir ce climat oppressant où la vérité se dérobe sans cesse, se réinvente, se contredit.
La force du roman réside dans cette tension de tous les instants : l’air y est saturé de non-dits, de rancœurs muettes et de douleurs prêtes à éclater au détour d’une phrase. La plume de l’auteure est précise, nerveuse, et surtout efficace : elle va droit au but, sans sacrifier pour autant la profondeur de ses personnages. Chacun des trois protagonistes porte ses cicatrices comme un écho silencieux au drame qui s’est joué avant que la première page ne s’ouvre.
Et pourtant — et c’est là la limite pour un lecteur habitué aux arcanes du polar et du roman noir — la surprise n’est pas toujours au rendez-vous. À force de lectures du même genre, on finit par deviner la trajectoire : à peine un tiers du roman avalé que déjà, j’entrevoyais l’issue. Mais qu’importe, au fond. Car ce n’est pas dans le twist final que Rose Mallai place sa véritable force : c’est dans la façon dont elle l’amène. Son intrigue est tendue comme un fil qu’elle déroule avec assurance, sans jamais tomber dans la surenchère, ni user de la violence pour choquer à bon compte.
Ce qui frappe surtout, c’est la justesse avec laquelle elle aborde ses thèmes : l’enfance cabossée, le deuil qui ronge, la dépendance affective qui enferme plus sûrement qu’une serrure. Elle effleure aussi l’agression sexuelle, sans voyeurisme, avec pudeur mais sans détourner le regard. Sur un sujet aussi délicat, chaque faux pas pourrait être fatal — ici, tout sonne juste. Et pour moi, c’est sans doute le plus essentiel.
Si l’intrigue m’a paru prévisible, jamais cela ne devient ennuyeux. J’ai pris plaisir à observer l’auteure tirer ses fils, composer ses tableaux, creuser les failles humaines. Son chaos émotionnel est maîtrisé de bout en bout, comme si elle savait parfaitement jusqu’où pousser l’intensité sans la rendre artificielle.
Ne reste que la nuit est de ces romans qui, même sans grande surprise, laissent une trace — une ambiance sombre, une atmosphère qui colle à la peau bien après la dernière page. Rose Mallai prouve ici qu’elle sait raconter l’obscurité sans en faire trop, et c’est tout à son honneur. Pour moi, c’est une autrice à suivre, de près.
Pour en savoir plus
Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.


Ah, ta chronique met le doigt sur ce qui m’empêche de tenter ce roman : j’ai peur de ne pas être surprise…
J’aimeJ’aime
Je comprends. Et je viens de finir son premier roman ( et après, le silence) qui pour moi est bien bien au dessus de celui-ci.
J’aimeJ’aime