Chronique de Sur toutes les vagues de la mer, de Guy Gavriel Kay.
« Nos vies changent en permanence, pourrait-on dire. De fait, même l’absence d’importance peut avoir une incidence. La personne que l’on ne rencontre pas, que l’on manque de peu. La chapelle où l’on décide de ne pas entrer, alors qu’y pénétrer et lever les yeux, peut-être vers une mosaïque sur une coupole, aurait pu nous anéantir puis nous refaçonner. Une réponse sincère donnée ou retenue, susceptible de causer – ou d’éviter – une catastrophe. »
Guy Gavriel Kay, Sur toutes les vagues de la mer, L’Atalante, 2025, p. 237.
Motivations initiales
La sortie d’un nouveau livre de Guy Gavriel Kay, qui plus est à L’Atalante, reste pour moi, comme dans la citation que j’ai choisie et qui figure juste au dessus, l’un de ces événements qui peuvent changer une vie, une rencontre qui peut marquer un tournant, une occasion de s’anéantir ou de se refaçonner. Mon binôme le sait bien et a acheté ce nouvel opus sans une hésitation…
Synopsis
Dans Comme un diamant dans ma mémoire, nous avions déjà eu l’occasion de rencontrer certains des protagonistes de cette histoire – Folco d’Acorsi, Guidiano Cerra, Antenami Sardi… – qui n’est pas à proprement parler une suite, mais davantage un prolongement.
Le théâtre des opérations, cette fois, se déplace ; il s’élargit, en réalité. On retrouve nos cités-états, Florence, Sienne, Venise, mais dans ce nouveau récit, on écarte les frontières. Désormais, le centre de la carte se situe sur cette Méditerranée autour de laquelle Kay fait graviter l’essentiel de son œuvre. Et l’on parcours le Majriti (Maghreb), l’Espéragne (Espagne), la Ferrière (France), et les implications des actions des uns ou des autres vont jusqu’à Asharias (précédemment Sarance, Constantinople).
Rafel ben Natan et Lenia Serrana sont associés. À bord du Sillage-d’argent, ils transportent des marchandises, mais remplissent également d’autres contrats, parfois en marge de la stricte légalité. Et, en effet, on les découvre alors qu’ils participent, pour le compte des frères ibn Tihon, califes de Tarouz mais, surtout, corsaires craints et respectés, à une opération qui pourrait faire basculer l’équilibre du Majriti.
Tous deux sont des exilés. Rafel, membre du peuple kindath, a vu sa famille contrainte de fuir l’Espéragne. Lenia, elle, originaire de Batiare, a été faite prisonnière à l’occasion d’un raid de pirates, vendue à un homme qui, au-delà de la mettre dans son lit, a eu l’excentricité de la faire former au métier des armes, pour qu’elle soit son garde du corps.
Mais, parfois, les soldats de fortune sont plus que cela. Et leurs actes ont des répercussions qui s’apparentent davantage à de puissants tremblements de terre, voire, en mer, à des tsunami…
Avis
Définitivement, Guy Gavriel Kay n’est jamais meilleur que quand il fait arpenter à ses personnages – en même temps qu’il les place sous nos yeux alternativement ébahis, amusés, humides, admiratifs ou brillants – ce pourtour méditerranéen qu’il dissimule à peine sous un voile chatoyant. C’est brillant, c’est érudit, c’est épique. Et, surtout, c’est beau. C’est humain.
Certes, il s’agit d’un récit de combats, parfois âpres, et dont souffraient toutes les populations civiles confrontées au pillage, au viol, à l’esclavage considérés comme d’inévitables à-côtés. Et l’on ne peut s’empêcher d’établir un parallèle avec le retour – quand ce n’est pas la permanence -, sur certains continents, d’une sauvagerie qui n’a rien à envier à ce que G.-G. Kay couche ici sur le papier.
J’ai souri, au début de ce livre, à ce que je considère comme une coquetterie de l’auteur. Je n’ai pas souvenir qu’il ait déjà usé de ce procédé qui consiste à prendre à témoin le lecteur de son travail d’écrivain. Or, ici, voilà qu’il nous interpelle, faisant mine de s’interroger sur la façon de lancer son récit. « Il est aussi bien des façons d’entamer un conte. Quelle voix, quelle vie pour commencer ? (Quelle mort ?) […] Ces informations sont importantes pour qui lit ou écoute l’histoire, de même que pour qui la raconte… » (p. 20). Car l’auteur ne peut pas sincèrement ignorer qu’il fait partie de ces conteurs (je l’avais signalé, déjà, dans la chronique signalée plus haut, pour Comme un diamant dans ma mémoire) qui, précisément, savent parfaitement vous faire plonger dans leur récit, ne vous laissant d’autre choix que de vous y abandonner. Mais, après tout, un petit peu de cabotinage ne pourrait faire de mal…
Et puis l’intrigue se déploie. Et vous voilà emportés dans un tourbillon, d’un port à un autre, d’une injustice à une autre, d’une fourberie à un complot. Et c’est parfaitement jouissif !
G.-G. Kay possède également ce talent rare de parvenir à moduler sans cesse le niveau de son histoire. Parfois, vous êtes à l’échelle du récit historique, dans les secrets des alcôves des palais, au cœur des allées du pouvoir. Et, quelques pages plus loin, ce sont des problématiques bien plus intimes qui tiennent votre attention en éveil. Sans cesse sur une ligne de crête qui sépare des abimes sans fonds. Des débats géostratégiques aux ressorts de l’âme humaine, l’auteur semble jongler avec aisance.
Ah et puis… une fois encore, que pourrait-on imaginer comme critique pour l’habillage de ce livre, encore magnifiquement édité par L’Atalante ? Rien que la cover vous prépare déjà à lever l’encre…
Et vous prétendriez ne pas encore être en train de vous équiper pour rejoindre au plus tôt votre librairie préférée ?
Pour en savoir plus
Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

