Drame, Prix littéraires, Roman

Les Sentinelles

Chronique de Les Sentinelles, de Jayne Anne Phillips.

« Là, au bord de cette rivière oubliée qui coulait cachée entre les buissons et les herbes fleuries, il savait qui il était. Ailleurs, il n’était jamais un mais deux hommes, le premier visible, le second invisible, sa force était double, son attention aiguë et discrète à la fois, comme si l’un des deux luttait pour la survie de l’autre. »

Jayne Anne Phillips, Les Sentinelles, Éditions Phébus, 2025, p. 70.

Motivations initiales

Ce livre – qui sort aujourd’hui même – nous a été proposé par les Éditions Phébus. Occasion de découvrir une auteure – dont la 4e de couverture nous indique qu’elle est considérée comme une des figures majeures de la littérature américaine contemporaine -, et ce livre, qui s’est vu décerner, l’année dernière, le prestigieux prix Pulitzer. Merci aux Éditions Phébus pour cette opportunité !

Synopsis

En Virginie-Occidentale, après la guerre de Sécession. Dans cet État « frontalier » (cinq États américains situés entre les États du sud, sécessionnistes, et les États du nord, membres de l’Union, dans lesquels la population était relativement partagée, mais qui ont tous les cinq opté pour rejoindre l’Union), les traces de la guerre fratricide sont encore bien visibles. Et les cicatrices encore à vif.

ConaLee, 12 ans, vit avec sa mère depuis que son père s’est enrôlé dans les troupes de l’Union, avant sa naissance. Grièvement blessé à la tête, amnésique, celui-ci ne se souvient plus qu’un foyer l’attend. Mais le danger rôde, avec des soldats, ou d’anciens soldats qui sont en maraude : la vie n’est pas tendre avec les femmes isolées, dans une société encore pétrie de violence…

Un ancien soldat s’introduit dans leur foyer, prenant l’ascendant sur la mère de ConaLee, à qui il fait trois enfants. Celle-ci se renferme sur elle-même, sombrant dans le mutisme. Puis l’homme décide de reprendre la route, non sans emmener avec lui toutes leurs possessions, et déposant ConaLee et sa mère à l’asile de Trans-Allegheny, où elles se font passer pour une femme de la bonne société, frappée de mutisme depuis l’incendie de sa propriété, et sa dame de compagnie.

Mais l’endroit devient finalement le creuset de toute cette micro-société… 

Avis

Je ne peux pas ne pas signaler que, pendant les 100 premières pages de cette lecture, j’ai régulièrement perdu le fil du récit. Les cinquante premières pages, alors que l’on ne sait pas encore ce qui est important, décrivent la vie de ConaLee et sa mère alors qu’elles sont sous la coupe de celui que la première doit appeler Papa, jusqu’au moment où il dépose les deux femmes devant l’asile où il les abandonnent, avant l’aube.

Puis les cinquante pages suivantes forment un lonf flash-back à l’occasion duquel on découvre, parfois à demi-mot, les liens qui unissent Eliza, la mère de ConaLee, le père de cette dernière, Dearbhla, une guérisseuse d’origine irlandaise qui est ce qui se rapproche le plus d’une grand-mère pour la fillette. On y apprend également comment, pendant la bataille de la Wilderness, le père est grièvement blessé, pour finalement être remis sur pied et quasiment adopté par le médecin qui l’a soigné.

Mais la construction du livre, tout en flash-backs et en imbrications floues, n’aide pas à comprendre clairement tous les enjeux… d’autant plus que pratiquement tous les personnages féminins semblent, à un moment ou un autre du récit, s’appeler Eliza. J’exagère, mais tout de même…

Il y a également deux ou trois passages à l’occasion desquels j’ai eu l’impression que l’auteure revenait sur des éléments déjà décrits – sous un autre angle – précédemment dans le livre. Ce n’est peut-être pas le meilleur exemple, mais c’est le seul que j’ai réussi à retrouver : à partir de la page 155, l’amnésie du père de ConaLee est évoquée entre lui et son infirmière. Mais nous le savions déjà, puisqu’en page 82, alors que l’auteure nous décrit les combats à l’occasion desquels il est blessé, elle écrit « Des étincelles de lumière l’enveloppèrent aussitôt, marquant le début d’une nouvelle existence où il ne saurait plus qui il était, ni à ce moment-là ni durant les semaines qui suivirent ». Puis, en page 87, ce sont cette fois Dearbhla et Eliza qui parlent, la guérisseuse ayant comme des « visions » dans le feu, qui lui disent qu’il est vivant mais grièvement blessé et perçoit déjà qu’il pourrait être empêché de les rejoindre.

Mais une fois ces 100 pages passées, le récit se simplifie, le cadre est posé – essentiellement, celui de l’asile -, et la prose devient tendre et poétique. L’auteure, dans ses remerciements, évoque son respect et sa gratitude à Thomas Story Kirkbride, le médecin quaker à l’origine du déploiement aux Etats-Unis du « traitement moral » des aliénés qui, sans être encore réellement une approche moderne de la maladie mentale – en tout cas, c’est l’impression que j’en ai, sans être spécialiste de la question… -, propose une alternative qui permet enfin la prise en compte de l’individu, plus que sa contrainte.

Même les personnages les plus marqués par leur époque et par les croyances du temps font preuve d’une humanité et d’une ouverture d’esprit peu commune. Et c’est ce qui en fait des « sentinelles », dans ce monde en guerre ou encore tellement marqué par les traces du conflit…

C’est une lecture relativement exigeante, qui se mérite, mais qui propose un voyage dans des contrées qui offrent de beaux paysages. Alors, cela vous dit de faire un tour en calèche avec Miss Janet (Eliza) et Miss Connolly (ConaLee) ?

Pour en savoir plus

Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

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