Chronique de Le Jeu du pendu, d’Aline Kiner.
« L’odeur était revenue, plus forte que jamais. Il l’avait sentie ce matin en descendant chercher des pommes dans la cave, douceâtre, écoeurante. Et la nuit dernière, il avait entendu un bruit. Ce bruit, il lui semblait l’avoir reconnu »
Aline Kiner, Le Jeu du pendu, Éditions Liana Levi, 2011, p. 172.
Motivations initiales
J’ai toujours été sensible aux récits qui mêlent mystère et mémoire collective. Et quand une intrigue se déroule dans le Nord-Est, au cœur du bassin minier, je ne peux que m’y intéresser. Le Jeu du pendu m’a attiré par cette promesse : un polar ancré dans l’histoire, une enquête qui réveille les fantômes du passé.
Motivations
Tout commence avec la découverte d’un corps pendu dans un ancien village minier de Moselle. Rapidement, l’affaire prend une tournure étrange : le lieu du drame, une ancienne galerie effondrée, cache des secrets bien plus anciens. En enquêtant, les personnages mettent au jour les traces d’une histoire oubliée, faite de silences, de trahisons et de blessures collectives.
Le roman navigue entre plusieurs époques : la Seconde Guerre mondiale, la fermeture des mines, la désindustrialisation. Chaque période apporte sa part de vérité, son lot de drames humains. Les habitants, marqués par la disparition des mines, vivent encore dans l’ombre de ce passé. À travers les témoignages, les lettres, les archives, l’enquête devient peu à peu un voyage dans la mémoire d’un territoire.
Avis
En refermant ce livre, j’ai eu ce mélange d’apaisement et de bouleversement : l’impression d’avoir suivi une enquête, certes, mais surtout d’avoir été témoin d’un monde qui se fissure, d’une mémoire qui hurle silencieusement. Le Jeu du pendu ne se contente pas de raconter un mystère : il creuse les plaies du passé, interroge les silences, et rend visibles les ombres que l’on pensait disparues.
Ce que je retiens d’abord, c’est la justesse de ton de l’autrice. Elle n’en met pas plein les yeux, elle n’enjolive pas la souffrance, mais elle la montre avec élégance. Le suspense est présent, mais il n’est jamais outrancier : il s’installe progressivement, à la manière d’un brouillard qui envahit peu à peu le décor. On n’est pas ici dans un thriller haletant à chaque page, mais dans une tension sourde, sous-jacente, qui ronge l’esprit du lecteur autant que celui des personnages.
Les personnages, justement, sont le cœur battant du roman. Le commissaire muté et la lieutenante qui connaît le pays natal, chacun porte ses contradictions, ses blessures, ses désillusions. La manière dont ils s’imbriquent dans l’histoire du village et des anciens mineurs est touchante : on sent que les non-dits, les rancœurs, les traumas hérités sont presque des personnages à part entière. Ils pèsent sur les âmes, sur les histoires familiales, sur les terres mêmes.
Ce que j’ai particulièrement apprécié, c’est cette capacité de l’histoire à mêler le collectif et l’intime. On ne lit pas seulement une affaire de meurtre : on lit les fragilités d’un territoire, les ruines des mines, les récits qui ne sont plus racontés, les vies qui se sont brisées en silence. Le roman interroge la mémoire collective : qu’est-ce qu’un territoire quand ses forces vives ont disparu ? Quelle trace laissent les ouvriers, les guerres, les villages condamnés par le temps ? C’est un roman enraciné, qui parle de ce que l’on oublie, de ce que l’on tait.
L’ambiance est une force. La Lorraine, ses paysages, ses versants boisés, ses vallons, ses anciennes mines, tout cela devient presque un personnage à part entière. Certaines scènes m’ont donné le frisson : un chemin froid, des galeries abandonnées, le poids des pierres et du passé… Tout cela est rendu avec sobriété, sans surenchère, mais avec un souci constant de vérité.
Si j’ai un petit bémol, ce serait peut-être que l’intrigue, parfois, prend quelques détours introspectifs un peu lents — j’aurais souhaité que certaines révélations soient un peu plus abruptes. Mais ce “ralentissement” n’est pas un défaut : c’est celui d’un roman contemplatif, qui veut ancrer ses émotions. Ce qui faisait aussi sa force.
Au final, Le Jeu du pendu est une lecture marquante. Il ne cherche pas à épouser les codes du polar classique, il les transcende. J’ai ressenti l’histoire, j’ai cheminé avec les personnages, j’ai compris que les véritables drames ne sont pas toujours dans le sang, mais dans les oublis, les blessures invisibles, les silences. C’est un livre qu’on lit non seulement avec l’esprit, mais avec le cœur.
Pour en savoir plus
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