Aventures, Récit historique, Roman noir

Les Loups de Tanger

Chronique de Les Loups de Tanger, de Jacques de Saint-Victor.

« Je la sentais timide, elle aussi. Elle ne me fixait pas en parlant, mais ce n’était pas par indifférence. Plutôt par embarras. Elle cherchait ses mots. À un instant, elle aperçut Nadine, l’autre serveuse, la blonde, qui quittait le Venezia d’un pas décidé. De là où nous étions, elle ne pouvait pas nous voir, mais Livia frémit. »

Jacques de Saint-Victor, Les Loups de Tanger, Calmann-Lévy, 2025, p. 99.

Motivations initiales

Ce livre nous a été prêté. Et, je ne sais pas pour vous, mais rien que le nom de Tanger, ça génère tout un imaginaire… de mystère, de cosmopolitisme, un brin sulfureux… Alors, forcément, Les Loups de Tanger, ça questionne, ça donne envie. Mais de quoi parle donc ce livre ?

Synopsis

Théo est étudiant, il vient de terminer un diplôme d’études supérieures de droit (un ancien diplôme, qui, en droit, permettait d’accéder au doctorat), mais il ne sait pas vraiment quoi faire de ce diplôme. Ses enseignants le poussent à commencer une thèse. Mais pour quoi faire après ? Poursuivre une carrière universitaire ? Faire de la politique ? S’orienter vers le journalisme ?

De manière générale, d’ailleurs, il ne sait pas bien quoi faire de sa vie… dans sa vie personnelle, il s’est laissé séduire par Anne, mais n’est pas totalement certain d’être prêt à s’engager réellement.

Par son oncle, qui l’accueille tous les étés à Naples et lui prête son appartement parisien le reste de l’année, il rencontre Max, reporter spécialisé dans le grand banditisme. Et, justement, le sujet du mémoire de Théo, sur la piraterie et la baraterie l’intéresse. Un vieux cargo, chargé d’une cargaison de cigarettes américaines, en partance de Tanger pour rejoindre Malte, vient d’être attaqué… mais Max, par ses informateurs, pense qu’il y a plus derrière cette histoire…

Alors, direction Tanger.

Avis

Ce livre a tout pour me plaire. A priori. Et pourtant, il y a un « mais… ». Ou, plus exactement, plusieurs petits « mais… ». Commençons tout de même par les bons côtés de ce roman. Il y a, d’abord, Tanger. Qui, au début de ce roman, est un personnage à part entière. À la fois majestueuse, fascinante, torride, crapuleuse, mystérieuse.

Théo a tout à découvrir, tout à apprendre. Il est à la fois naïf, curieux, rempli de certitudes. Il n’a, notamment, aucune conscience du danger qu’il peut y avoir à enquêter sur le grand banditisme. Heureusement, il a un bon guide, Max, qui, lui, est un habitué, et qui l’embarque dans les milieux interlopes du port franc.

L’idée, c’est de tirer les fils de cette affaire : le Combinatie a été attaqué, quelques mois plus tôt, mais cela dissimulerait autre chose. C’est comme cela que Max et Théo se retrouvent au Venezia, restaurant à la mode, mais surtout repère de toute une faune qui gravite autour de Monsieur Jo. Le restaurant est tenu par Manouche – une grosse femme, « habillée à la mode orientale et emmaillotée dans une avalanche de voiles et de gazes qui dissimulaient ses formes volumineuses » -, mais on retrouve, parmi les actionnaires, l’ex-maîtresse du général von Stülpnagel, chef des forces allemandes d’occupation en France ; l’une des serveuses est l’ex-maîtresse de Doriot. Mais il y a également Livia. Qui est également serveuse. Et pour qui Théo craque complètement au premier regard.

L’enquête de Max progresse en parallèle de l’aventure que Théo vit avec Livia, jusqu’au point de rupture. On est à la moitié du livre, quand, subitement, les deux hommes doivent quitter Tanger, devenu bien trop dangereuse pour eux. Et Livia disparait pratiquement au même moment.

De retour à Paris, Théo hésite. Il vient de voir toute une partie de son existence s’effondrer. Soutenu par Anne, qu’il a retrouvé, il s’apprête à se lancer dans une thèse, mais reçoit soudain une lettre de la disparue, désormais en Corse, chez son oncle. Aussitôt, Théo prend sa décision : son sujet de thèse, ce sera l’étude de la vendetta, en Corse. Bonne raison de partir pour quelques mois sur l’île…

Mais, ainsi que je l’indiquais dès le départ de cet avis, il y a des bémols. Le premier est probablement le plus simple à expliciter. Jacques de Saint-Victor est un universitaire, auteur de nombreux ouvrages sur les mafias, récompensé, pour l’un d’entre eux, du prix de l’essai de l’Académie française. Et, parfois, dans ce livre qui est en réalité son premier roman, il semble parfois céder à la tentation de l’ouvrage académique. La précision et les détails prennent alors le pas sur l’intrigue, quitte à alourdir le récit.

De ce point de vue, autant la première partie, celle qui se déroule à Tanger, ressemble assez furieusement à un roman d’aventure(s) – le s faisant référence au fait que Théo y vit une aventure professionnelle, avec Max, mais également son aventure avec Livia -, autant certains passages en Corse paraissent plus empesés. Cela n’empêche pas encore de beaux morceaux de bravoure, mais intercalés entre des pages plus proches de l’essai historique.

Et puis il y a un élément de forme que j’ai trouvé assez perturbant. Certains pourront trouver que c’est un détail. Plusieurs chapitres sont intitulés « Extrait du carnet n°X de Max ». Et ce ne sont pas 2 ou 3 chapitres, mais plus d’une quinzaine. Ces chapitres sont typographiés en italiques, comme pour insister sur le fait que ce sont des extraits, des citations. Pourtant, ce sont des passages très écrits, pas du tout ce que l’on pourrait attendre du carnet de notes d’un journaliste. Mais peut-être est-ce une erreur d’interprétation de ma part.

La fin, en revanche, est très belle. Je ne la raconterai pas, pour des raisons évidentes. Mais la conclusion de cette aventure, presque 50 ans plus tard, est très émouvante et amène les lecteurs à réfléchir. On retrouve le souffle de l’aventure, et c’est vraiment très agréable…

Pour en savoir plus

Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

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