Chronique de Place du Paradis, de Xavier-Marie Bonnot.
« Vingt-cinq ans de service, une petite retraite et quelques médailles. Mais pas de quoi se tailler une vraie conscience de la vie, une cause qui vaut la peine. On ne devient pas un homme par contrat. À la guerre, un ennemi est une raison de vivre. Il faut être à sa hauteur pour ne pas paraître indigne. Exister sans ennemi, c’est ne plus se dépasser, perdre le respect de soi-même. »
Xavier-Marie Bonnot, Place du Paradis, Éditions Récamier, 2024, p. 159.
Motivations initiales
Après avoir lu Berlin requiem, il y avait peu de doute que nous continuerions à suivre le parcours d’écriture de Xavier-Marie Bonnot. L’occasion s’est présentée lorsque les éditions Récamier nous ont proposé de recevoir Place du Paradis. Qu’allait-il en être de ce nouveau roman ?
Synopsis
Pierre Déjean est photographe. Photographe de guerre. Pas vraiment par choix, plutôt par hasard, parce que son parcours l’a amené là, mais aussi parce qu’un jour il ne s’est plus senti totalement connecté au monde occidental dont il est issu. Au Caire, il a suivi la chute de Moubarak. Et puis il est parti vers l’Orient, sur un coup de tête. En chemin, à Venise, il a rencontré Ester, qui a souhaité lui faire découvrir son pays natal, la Syrie, et Raqqa, dont personne encore ne connaissait le nom. À Raqqa, la place du Paradis.
Et puis il est reparti, vers d’autres commandes, vers d’autres pays, laissant Ester. Et Raqqa. Jusqu’à ce que cette dernière fasse la une des quotidiens du monde entier. Lorsque les kurdes reprennent la ville des mains de l’État islamique, il est là, et c’est ainsi qu’il rencontre Marie, une jeune française venue rejoindre son petit copain, Fabien, français également et radicalisé. Il l’a prend en photo.
De retour en France, il est convoqué par la juge d’instruction. Marie a également été rapatriée pour son procès, mais elle a demandé à le voir, condition pour accepter de parler. Il hésite, il y va. Pourquoi ?
Avis
Comme il est difficile de parler de ce livre… Je voudrais tout dire, et en même temps, ce ne serait pas lui rendre hommage que de redire, moins bien, ce que Xavier-Marie Bonnot a déjà écrit. Je vais donc seulement tenter de vous dire ce qui m’est passé par la tête pendant ma lecture, cela me semble le plus juste.
Ce qui me marque le plus, après avoir refermé ce livre, c’est l’empreinte qu’il laisse. Toute une trame de questionnements, dont, probablement, personne n’a les réponses. En effet, ce roman n’est pas uniquement une façon de retravailler ce qui s’est passé depuis le Printemps arabe, l’Hiver islamiste – et la montée de l’État islamique. Certes, on suit Marie et les étapes qui l’ont amenées à partir rejoindre Fabien en Syrie – elle l’a ensuite épousé et ils ont eu un fils -, mais ce n’est pas un essai sur la radicalisation. Si l’on voit comment le fait que sa mère ne s’est, elle, jamais vraiment intéressée à ses origines influe négativement sur la capacité de Marie à se construire, peut-on considérer que l’explication serait aussi simpliste et universelle ? Évidemment non !
Pierre, lui, présente un profil très différent, certes, mais lui aussi, à son échelle, se débat avec ces mêmes questions de l’identité, de l’histoire familiale, de la transmission – ou non – entre les générations. Que lui a finalement laissé son père, qui a combattu auprès de René Char, le poète, dans les maquis de la Seconde guerre mondiale ?
D’une certaine façon, on a l’impression que ce roman est comme une psychanalyse de Pierre, qui, par association d’idées, construit un parcours dans son passé, dans ses souvenirs, dans ses croyances, dans ses a priori. Et l’on suit la façon dont, par la photo, par le témoignage, par l’image, il tente de donner accès non seulement à ce qu’il voit mais également à ce qu’il est.
La relation qui s’instaure entre ces deux êtres déchirés, rassemblés un temps par les clichés de Pierre, à la fois de Marie lors de son arrestation mais également d’Adam, le fils de Fabien et Marie, est faite de fêlures. De celles qui lézardent les murs de Raqqa et font s’écrouler les bâtiments, mais également celles qui peuvent détruire une âme.
C’est, vous l’aurez compris, une vision très désenchantée de notre monde que nous livre ici Xavier-Marie Bonnot. Celle d’une société qui n’en est plus réellement une, éclatée, jusque dans ces cellules familiales qui sont censées être notre ciment le plus puissant.
Les deux personnages centraux, Marie et Pierre, laissent également de l’espace à plusieurs personnages secondaires, tout aussi complexes. Georges, un combattant français qui a rejoint le bataillon international des YPG – unités de protection du peuple kurde -, dont j’ai repris des propos en citation ; Mazlum, un étudiant français qui a rejoint le même bataillon, mais dont on découvre que les combats l’ont fait vriller et qui est probablement perdu pour la vie « normale » ; Laurence, la mère de Marie, entre déni et culpabilité…
Un livre fort, percutant, qui ne laisse pas indifférent, et d’autant plus puissant qu’il est émaillé de témoignages empruntés aux accusés et aux victimes des attentats du 13 novembre.
Pour en savoir plus
Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.


C’est vrai que c’est difficile de parler de ce livre tellement il est riche des réflexions qu’il suscite ! En tout cas, c’est vrai aussi, c’est un grand roman !
J’aimeJ’aime