Chronique de Berlin requiem, de Xavier-Marie Bonnot.
« Berlin. Mars 1946.
Le cinéma aux armées, aux militaires américains envoyés en Allemagne :
Vous verrez de beaux paysages, ne les laissez pas vous tourner la tête. Vous êtes dans un pays ennemi.
Le parti nazi est peut-être dissous mais la façon de penser nazie, le dressage nazi et la tricherie nazie demeurent.
Quelque part dans cette Allemagne, il existe deux millions d’officiers, tous ex-nazis. Ils n’ont plus de pouvoir, mais ils sont toujours là et ils réfléchissent à demain.«
Xavier-Marie Bonnot, Berlin requiem, Éditions Plon, 2021, p. 252.
Motivations initiales
Encore un livre de la rentrée littéraire des Éditions Plon, occasion de découvrir un auteur dont nous n’avions, jusque là, pas eu l’occasion de lire les écrits. Merci encore aux Éditions Plon pour cette belle occasion qu’ils nous ont offerte !
Synopsis
Des années 30 jusqu’à 1954, on suit les destins croisés du maître Wilhelm Furtwängler, chef d’orchestre de génie, de Christa Meister, cantatrice et de son fils Rodolphe. Outre la musique, ces trois êtres, et ceux qui les entourent, partagent une autre caractéristique : allemands, leurs vies ont été broyées par l’épisode nazi qui a plongé le monde dans l’horreur.
Pourquoi Furtwängler est-il resté dans cette Allemagne nazie ? Comment Rodolphe, expatrié à Paris avec sa mère en 1938, a-t-il vécu ce déracinement ?
Xavier-Marie Bonnot, en s’appuyant sur les faits historiques et en y adjoignant habilement des éléments de fiction, nous embarque dans ces histoires liées à la grande Histoire…
Avis
J’évoquais, voilà quelques jours, un phénomène curieux de liens : après avoir vu une série évoquant des diamants de sang, voilà qu’avec Marchands de mort subite, je retrouvais une thématique proche, avec des minerais de sang. Et bien voilà que cela se reproduit, même si c’est un peu plus à distance : après avoir vu déjà apparaître Wilhelm Furtwängler dans Le Stradivarius de Goebbels, en début d’année, le voilà cette fois-ci au centre de ce livre. Et, toujours au rang des liens entre livres, il faut peut-être citer L’offrande grecque, de Philipp Kerr.
En effet, l’une des questions soulevées par ce livre est clairement celle de la responsabilité de Furtwängler, accusé par les américains, notamment, mais, plus largement par les alliés, de ne pas avoir quitté l’Allemagne pendant la guerre, et donc d’avoir implicitement mis son talent au service des nazis. Pourtant, on voit nettement, dans l’histoire que nous raconte Xavier-Marie Bonnot, qu’il n’existe aucun « bon choix », quand l’Histoire vous joue le tour de cochon de vous placer dans une telle situation. Fuir, c’est laisser la place libre, et donc faire preuve de lâcheté ; rester, et survivre, c’est pactiser.
Ainsi, comme Bernie Gunther, Wilhelm Furtwängler apparait comme un de ces allemands qui ont été broyés par l’histoire de leur pays. Quitter l’Allemagne, on le voit d’ailleurs au travers des personnages de Christa et de Rodolphe, ce n’est pas non plus l’assurance de vivre bien. Et rester, c’est prendre le risque d’effleurements qui pourraient un jour être considérés comme coupables.
Également très intéressante, l’attitude des américains après la défaite du Reich. La citation qui figure au début de cet article, je l’ai choisie parce qu’en lisant ce passage, j’ai eu l’impression de lire quelque chose que les nazis auraient pu écrire des juifs : « dressage », « tricherie », « ils sont toujours là et ils réfléchissent à demain »… je trouve cela glaçant. Et quand on lit (pages 245 à 260) la façon dont le général Robert McClure, et le major Steve Arnold, s’arrogent le droit de juger sans tenir compte des avis et des témoignages – par exemple, la lettre de Yehudi Menuhin, venant défendre le Maître -, alors même que les mêmes américains n’inquiètent pas Herbert von Karajan, qui, lui, avait pourtant demandé et obtenu sa carte du NSDAP… et, surtout, qu’ils sont en train de faire leurs « courses » parmi les scientifiques nazis. Ainsi, l’opération Paperclip a consisté à exfiltrer et embaucher près de 1500 scientifiques allemands ayant contribué à la mise en place du complexe-militaro-industriel nazi. Realpolitik, peut-être… mais surtout pas très propre !
Et puis, évidemment, on suit ce jeune Rodolphe. Il a 8 ans quand les nazis prennent le pouvoir, il est impressionné par les uniformes, l’ordre, le décorum. Il n’a jamais connu son père, et sa mère refuse de lui dire de qui il s’agit, si elle le sait seulement – certaines périodes de sa vie sentimentale ont été agitées -. Elle le laisse souvent, lorsqu’elle part donner un concert, à la garde d’Eva, une jeune allemande fraîche et séduisante, dont il tombe amoureux, et à qui il jure de l’épouser, plus tard. Décidée à quitter l’Allemagne, elle part finalement pour Paris, mais les nazis, ne supportant pas qu’elle ne se plie pas à leurs exigences, lui trouvent un grand-père juif. Finalement arrêtée, elle est envoyée à Drancy, puis à Birkenau, d’où elle revient brisée.
Je me rends compte que cette chronique n’est pas très organisée, voire même carrément décousue. Mais, en y réfléchissant, il me semble que c’est peut-être normal. Ce roman est parcouru de sentiments, de sensations, et d’une quête – chaque personnage a la sienne. L’auteur parvient, par les mots, à faire vivre la musique et la tentative des chefs d’orchestre de faire revivre le génie des grands compositeurs, par une vibration, par un silence, par un temps suspendu. Et, cela, comment le raconter ?
Ce livre est un très beau livre. Il donne envie d’aller écouter la 9e symphonie de Beethoven, et Tristan et Isolde, sous la direction de Furtwängler… Il me semble que c’est précisément le signe que Xavier-Marie Bonnot a réussi son pari… Et vous, serez-vous sensibles à la plume de Bonnot, à la baguette de Furtwängler, à la détresse de Rodolphe ?
Pour en savoir plus
Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

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