Chronique de L’offrande grecque, de Philip Kerr.
« Mon père disait que seuls les Autrichiens sont réellement faits pour être allemands. Il disait aussi que les Allemands, de leur côté, faisaient d’excellents Anglais, même si les uns et les autres rêvaient secrètement d’être italiens. C’était leur grand drame. Mais il aimait beaucoup les Allemands. »
Philip Kerr, L’offrande grecque, Éditions du Seuil, 2019, p. 240.
Motivations initiales
Depuis la mort de Philip Kerr, et sachant qu’il ne me restera plus, après celui-ci, que Metropolis, la dernière aventure de Bernie Gunther publiée – mais, chronologiquement, la première de toute, je rechignais à lire ce livre. Comme lorsqu’il vous reste un ou deux bonbons dans un paquet et que vous tentez de retarder le moment fatidique du « y en a plus ». Mais se priver d’un bon livre parce qu’il n’y en aurait pas d’autre après reste également éminemment discutable…
Synopsis
1957. Berlin étant désormais une enclave au cœur de la RDA, Bernie Gunther tente de se faire oublier, sous une fausse identité, à Munich. Il travaille à la morgue d’un hôpital : au moins, ses « clients » n’ont aucune chance de le reconnaître ! Mais un ancien policier, venu accompagner une famille pour identifier un corps, le reconnait, et le contraint à participer à ce qui ressemble fort à une arnaque qui, loin de l’aider à se sortir de la situation pourrie dans laquelle il est, risque de l’amener à se mettre à dos la STASI…
Déjouant les pronostics, Bernie parvient pourtant à se sortir du guêpier, et retrouve même un ami avocat, qui l’aide à se faire engager à Munich Re, solide compagnie d’assurance. Son rôle : enquêter pour éviter à l’entreprise de payer des primes dans des cas limites. Et, rapidement, le voilà à Athènes, pour déterminer si le naufrage d’un bateau doit faire l’objet d’une indemnisation.
Ce que Bernie ne sait pas, c’est que, derrière cette histoire, se cache un spectre qu’il connait bien…
Avis
Avant de vous parler de ce livre, j’ai envie de vous parler de Bernie Gunther. J’ai lu et je lis pas mal de romans policiers historiques, et j’aime bien avoir un héros récurrent à suivre. Frère Cadfael, le comte Childebrand et Erwin le Saxon, Nicolas le Floch, pour ne citer que quelques exemples… Pourtant, Bernie Gunther reste, pour moi, un personnage à part. Et, au moment de commencer cette avant-dernière aventure, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander pourquoi.
Bernie Gunther, c’est un héros profondément romantique, mais, surtout, un type qui se fait broyer par l’Histoire. Ses qualités de flic, dont on pourrait se dire qu’elles vont lui permettre de se tirer de toutes les situations, se retournent contre lui, parce qu’il est « utile ». Et qui dit utile dit utilisé. Et quand vous avez été utilisé par Göring, Eichmann et quelques autres, cela a furieusement tendance à laisser des traces. Mais que pouvait-il faire ? Dire « non » ? Est-ce si simple ? C’est très simple de décréter, depuis notre fauteuil, bien au chaud, bien nourris, que c’était la bonne réponse. Mais sur le moment, c’est sans doute bien plus compliqué. Et puis, forcément, il y a des moments dans la vie où l’on est plus faible, moins combatif. Quand on a perdu quelqu’un ; quand on a l’impression que plus rien n’a de sens.
Et puis, alors que la guerre est finie depuis plus de 10 ans, et que chacun, à sa façon, a tourné la page, Bernie Gunther donne l’impression d’être un des derniers à payer l’addition. Les américains ont tiré quelques marrons du feu ; les pays européens sont désormais plus soucieux d’organiser la CEE pour revenir sur ces vieilles histoires ; le chancelier Adenauer crée sa légende en faisant en sorte de gommer les zones d’ombre… Mais celui qui semble ne pas pouvoir s’extirper de tout cela, c’est encore et toujours Bernie.
Mais ce qui est peut-être le vrai tour de force de Philip Kerr, c’est qu’il parvient à placer Bernie juste en haut de l’arête, entre les deux précipices : d’un côté, le salaud, que l’on détesterai ; de l’autre, le gentil éternellement bon, le saint, que l’on admirerai. Mais Bernie reste sur la ligne de crête, toujours, ni salaud, ni saint, juste humain. Et, parfois, aigri, il en devient injuste. Mais c’est acceptable, parce que c’est humain.
Ici, chaque réplique est un bijou ciselé, d’humour noir, grinçant souvent. Bernie se méfie des femmes, et il en devient parfois presque misogyne. Mais on sent derrière la surface un profond respect, et, surtout, la volonté de ne s’imposer à aucune de celles qu’il croise. Ici, c’est Elli, avec qui on sent qu’il pourrait se passer quelque chose qui ne soit pas juste une aventure sexuelle. Mais, là aussi, comme dans tous les domaines de la vie de Bernie, le passé va le rattraper. Donnant l’occasion à Elli de faire un bon mot aussi cynique que désabusé, aussi fin que brutal.
« Maudit soit ce sale type. Il a su trouver le point faible. Pas le vôtre, le mien. Quelle ironie. En cherchant votre point faible, il a trouvé le mien. Je suis sincèrement désolée, mis je n’aime pas les hommes mariés. Surtout quand ils sont mariés avec quelqu’un d’autre. » (p. 445)
Alors ? Alors merci Monsieur Kerr de nous avoir permis de rencontrer Bernie… Et dieu que j’envie ceux qui n’ont pas encore lu les aventures de ce dernier !

Magnifique chronique ! Je ne connaissais pas, mais ça me donne envie de découvrir ce personnage.
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