Drame, Roman noir

L’unique goutte de sang

Chronique de L’unique goutte de sang, d’Arnaud Rozan.

« Le père de Janyce donna le signal que la pendaison pouvait commencer. Il désigna de son index la branche tordue dont l’écorce luisait sous le flamboiement des flammes s’élevant de la maison. Tels des puisatiers qui remontent leur seau de boue des tréfonds de ma terre, les deux hommes se suspendirent à la corde de tout leur poids. La tresse de chanvre pénétra dans la chair d’Ella et Eula, et leurs petits pieds s’agitèrent au-dessus du tapis de fleurs blanches. Leur dernier souffle s’étouffa dans le cri qu’elles poussèrent au moment d’être arrachées à la terre. »

Arnaud Rozan, L’unique goutte de sang, Éditions Plon, 2021, p. 55.

Motivations initiales

Encore un immense merci aux Éditions Plon qui nous ont donné l’occasion de découvrir les ouvrages de leur rentrée littéraire. D’autant que c’est l’occasion, ici, de découvrir le premier roman d’Arnaud Rozan.

Synopsis

Dans le Tennessee ségrégationniste des années 20, deux fillettes blanches suivent Sydney, un adolescent noir, et s’émeuvent de le voir se baigner nu dans une rivière. Elles prennent l’habitude de le suivre et de l’épier… jusqu’au jour où l’une d’elle chute dans un buisson de ronce. Surpris, il vient cependant les aider, mais, élevées dans la peur des Noirs, elles s’affolent, s’enfuient, et, pour expliquer à la fois leur retard, leurs vêtements déchirés et les taches rouge sang, provoquées par des mûres écrasées, affirment qu’il les a agressées.

Aussitôt, c’est l’emballement, la surenchère. Il ne faut pas prévenir le shérif trop vite, qui serait obligé de suivre la procédure. Non, pendons-le, pendons-les ! Car Sydney vit avec son père, sa mère et ses deux petites sœurs. Finalement, le seul à survivre, grâce à l’intervention du shérif adjoint, c’est Sydney, avec cette culpabilité qui lui fait perdre la mémoire. Ses deux petites sœurs et son père sont pendus ; sa mère, enceinte, est violée à mort par plusieurs hommes.

Soigné, il rejoint Chicago, puis l’Arkansas, et enfin New-York, au gré des soubresauts de l’histoire agitées des noirs américains et de celles et ceux qui se sont élevés contre leur oppression.

Avis

Voilà typiquement un livre que j’adorerais adorer. Parce que, s’appuyant sur une histoire, réelle ou inventée, mais dont on se doute qu’elle a dû se produire et se reproduire, ce livre met en scène les idiots haineux qui, renforcés par la présence du groupe, oublient leur humanité. Et, naturellement, cela n’est pas sans rappeler notre actualité, quand des polémistes s’appuient sur la peur et la bêtise pour se pousser du col ; quand, au nom d’une religion, d’autres s’apprêtent à imposer un joug de fer à la moitié de la population et que les autres pays détournent le regard ; quand, face à une pandémie, de pseudo-intellectuels se posent en victimes, surfant sur les rumeurs, sans prendre seulement le temps de se renseigner.

Mais, ici, les personnages m’ont consciencieusement tenus à distance. Ne croyez pas, cependant, que je sous-estime la difficulté de l’exercice auquel Arnaud Rozan s’est attaqué. Comment raconter, en effet, la pendaison de deux fillettes qui n’ont rien demandé, rien fait ? L’une des options est évidemment d’en faire un récit de fureur et de sang, âpre, brutal, aux reflets métalliques. Arnaud Rozan a fait un autre choix, comme le montre la citation choisie au-dessus : l’image de ces puisatiers avec leurs seaux de boue, et ces fleurs blanches, comme un odieux contraste. Et, lors de la lecture, là où j’imaginais la fureur du groupe, comme une chape de silence. Cela aurait pu fonctionner, cela, sans aucun doute, fonctionne pour d’autres lecteurs, mais cela n’a pas marché pour moi. Pour moi, ce décalage n’a pas rajouté à l’horreur, il a créé de la distance.

Et à partir de là, je n’ai plus compris les choix posés par Sydney. L’histoire se déroulait sous mes yeux mais sans provoquer en moi les sensations qu’elle aurait dû, de colère, d’inquiétude pour Sydney, de chagrin…

Cela s’appelle passer à travers. Je m’en excuse, Monsieur Rozan.

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