Chronique de Six versions, de Matt Wesolowski.
« J’avais… trente ans quand je les ai rencontrés. C’était un beau samedi, au mois de mai, j’allais déjeuner au pub, j’ai l’habitude. Le Hare and Hounds. Je m’installais souvent là-bas avec un livre. Ce que je préférais, c’était le jambon fumé et les navets en sauce. Quand je les ai croisé dans la rue, ils étaient seulement quatre : deux garçons et deux filles. Ils avaient l’air sympas, alors je les ai tout de suite aimés. »
Matt Wesolowski, Six versions, Éditions Points, 2024, p. 70.
Motivations initiales
Vous l’aurez compris, nous sommes en train d’avancer dans les lectures pour le Prix du meilleur polar des Éditions Points, et les chroniques se succèdent. Voici donc le volume 1 de Six versions, Les Orphelins du Mont Scarclaw.
Synopsis
Sur le mode de nos émissions qui font aujourd’hui la part belle aux meurtres non élucidées et aux tueurs en série, Scott King, dans son podcast Six versions, propose de redécouvrir – en 6 épisodes – une affaire non élucidée, en consacrant chaque épisode à un personnage, qui vient donner sa version.
Pour ce premier volume, il s’agit de revenir sur une affaire vieille de 20 ans : la disparition de Tom Jeffries, un adolescent de 15 ans, dont le corps avait été retrouvé, un an plus tard, a moitié immergé dans les marécages.
Qui étaient « les Coureurs », un groupe d’adolescents qui avaient l’habitude de se retrouver sur le Mont Scarclaw, avec l’assentiment de leurs parents qui, à tour de rôle, les encadraient ? Tom Jeffries, la victime, Eva, Charlie, Anyu, Brian, étaient présents lors du dernier séjour, celui pendant lequel le premier a disparu. Le père d’Eva, Derek Bickers, était l’un des adultes qui avaient lancé le groupe et qui étaient présents également. Haris Novak, alors âgé d’une trentaine d’années, était lui de la région, et avait été présenté, dans les journaux, comme « l’idiot du village ». Chacun va être au centre de l’une des émissions.
L’objectif affiché : que ces témoignages permettent de faire ressortir des éléments qui étaient restés dans l’ombre au moment de l’enquête et, surtout, permettre à chaque auditeur de se faire sa propre idée…
Avis
Signalons d’abord que chacun des volumes de cette série – prévue en six volumes, sans doute pour boucler la boucle : six volumes de Six versions, avec six épisodes centrés autour de six acteurs des six affaires en question… – semble être consacré à une affaire différente, mais avec ce même dispositif en six épisodes, avec six principaux témoins de chacune des affaires. Un dispositif somme toute innovant, ce qui excite naturellement la curiosité. Mais seul le volume 1 fait partie de la sélection du prix, nous nous concentrerons donc sur celui-ci, Les Orphelins du Mont Scarclaw.
Dans une région assez inhospitalière, ou, du moins, assez sauvage de l’Écosse, un jeune homme a disparu, avant d’être retrouvé, mort, un an plus tard, dans un marécage. On imagine bien que, l’affaire étant restée non élucidée, cela a naturellement suscité de nombreux commérages, des accusations ont fusé, des « coupables parfaits » ont été pointés du doigt. Il est facile d’imaginer, sur certaines affaires emblématiques, comment une telle contre-enquête, vingt ans plus tard, pourrait rencontrer son public…
L’histoire est construite, efficace, les fils des témoignages s’entrelacent intelligemment. Bref, tout est réuni… Et l’auteur, inexorablement, nous emmène vers un retournement de situation assez brillant.
Tout va donc bien. Mais, en fait, non. Ou, plus précisément, si, sur le fond, ce roman est tout à fait réussi et l’histoire bien ficelée, c’est sur la forme que j’ai des réticences. Et, d’une certaine façon, ce qui devait être la force de ce livre, avec ce dispositif inédit, lui donne aussi ce qui pour moi est une faiblesse irréductible. Cette construction en épisodes radiophoniques de nature a être réunis en un podcast amène à passer de façon permanente d’un personnage à un autre, d’un témoignage au suivant.
Il n’est pas rare que, sur deux pages, on ait deux, voire trois acteurs amenés à s’exprimer. Le passage d’un personnage à un autre étant marqué par un changement de police. Or j’apprécie d’avoir le temps de « m’installer » avec chaque personnage. Et là, il n’y a jamais moyen, le « montage » le rend impossible. Vous êtes sans cesse baladés de l’un à l’autre. Alors, évidemment, cela donne beaucoup de rythme à l’ensemble – on pourrait même dire que c’est trépidant ! Mais, précisément, c’est trop pour moi.
J’ai parfaitement conscience que cette critique est éminemment personnelle. De nombreux lecteurs et lectrices trouveront sans doute qu’en menant ainsi cette enquête tambour battant permet de maintenir le suspense à un niveau élevé. Mais cela ne m’a néanmoins pas empêché de m’interroger et de me faire une idée des culpabilités relativement tôt… je n’ai donc conservé que l’inconvénient du côté speed instillé par ce montage…
Bref, autant le fond m’a convaincu, autant la forme n’est pas mon kif…
Pour en savoir plus
Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

