Policiers, Récit historique, Roman

Les Enfants perdus

Chronique de Les Enfants perdus, de François Sureau.

« – Quand êtes-vous venu pour la dernière fois ?

More s’arrêta sur le seul de la cellule. Il parut, après un temps, sortir avec regret du grand silence qui, là-bas, enveloppe toutes choses et répondit :

– C’était en juin 1701, après l’incendie. Vous n’aviez pas encore fini de rebâtir. »

François Sureau, Les Enfants perdus, Gallimard, 2025, p. 154.

Motivation initiales

Mon binôme m’a tellement bien vendu ce livre, que je l’ai chipé à quelqu’un pour le lire en premier ! 

Synopsis 

Automne 1870. La guerre a éclaté entre la France et la Prusse, et la débâcle de Sedan a laissé un pays brisé, un empire à genoux, et des milliers d’hommes livrés à l’humiliation. Parmi eux : Thomas More. Officier de la Sûreté devenu prisonnier de guerre, parqué sur une presqu’île transformée en camp, à la merci de l’ennemi.

Mais ce huis clos oppressant va bientôt se transformer en théâtre de mystère. Lorsqu’un crime est commis au cœur même du camp, le pouvoir prussien — en quête d’ordre ou de spectacle ? — réclame l’aide de More pour mener l’enquête. 

Avis 1

Il y a des romans qu’on admire plus qu’on ne les aime. Les Enfants perdus de François Sureau en fait, pour moi, partie.

Ce livre, je l’ai abordé avec beaucoup d’attentes : le contexte de 1870, la défaite de Sedan, la France meurtrie, l’émergence de la Commune en toile de fond… Tout ce terreau historique me fascine. Et sur ce point, le roman est une vraie réussite : François Sureau déploie une atmosphère précise, tendue, presque feutrée, où l’on sent la violence du monde en train de basculer.

On suit Thomas More, officier de la Sûreté fait prisonnier par les Prussiens, contraint de mener une enquête au sein d’un camp militaire transformé en microcosme de la débâcle française. C’est une idée brillante : utiliser le roman policier comme prétexte à observer la déliquescence d’un empire, le flou moral des hommes en uniforme, la complexité des âmes piégées dans l’attente.

Et il faut le dire : c’est remarquablement bien écrit. Chaque phrase est ciselée, l’élégance du style est indéniable, avec ce sens du détail historique qui donne à chaque scène une texture presque palpable. C’est un roman qu’on lit en silence, en respectant le rythme lent mais maîtrisé de son auteur.

Cela dit, malgré ce cadre fort et cette qualité d’écriture indéniable, cette lecture laisse un peu sur sa faim côté émotion ou tension narrative. L’enquête, bien qu’intéressante sur le papier, manque parfois de souffle. Il y a comme une distance constante entre le lecteur et les personnages, un voile qui ne se lève jamais complètement.

Je n’attendais pas un polar haletant, mais peut-être un peu plus d’incarnation, un peu plus de chair dans les dialogues, dans les élans. Par moments, j’ai eu la sensation de lire un grand roman d’idées déguisé en intrigue policière — et si cela peut séduire certains lecteurs, pour moi, ça a plutôt limité l’interaction…

Avis 2

Ce roman est, je n’hésite pas à le dire, un petit miracle. Un petit miracle d’écriture, comme l’a indiqué l’avis qui précède, tout en finesse et en ciselures… et je ne peux m’empêcher de reprendre ici, simplement à titre d’exemple, la manière dont François Sureau sous-entend que son héros, Thomas More, aurait pu glisser à Rimbaud le titre de son recueil (pp. 60-61) :

« More laissa un peu de silence filer dans l’air du soir.

– Alors pourquoi poursuivre ? Vous avez déjà vécu une saison en enfer.

Le jeune homme tressaillit.

– Une saison en enfer… je m’en souviendrai. »

Mais ce livre est également un petit miracle pour Ô Grimoire. Cela faisait probablement plus de 5 ans que nous n’étions pas parvenus à lire le même livre, pour livrer, quasi-simultanément, deux avis sur un même ouvrage. Nos chemins de lecture peinent à se rejoindre, pour plein de raison. Pourtant, et les archives le montrent bien, pour celles et ceux d’entre vous qui n’étaient pas là au début de cette aventure, c’était l’une des idées de départ : deux avis, potentiellement divergents. Donnés sans préciser qui est l’auteur de l’avis 1 ou de l’avis 2 (y compris en terme de genre… alors que nous ignorions que ce sujet prendrait une telle importance dans le débat public). Petit miracle, donc, rien que pour nous.

Petit miracle, enfin, dans ce que ce livre nous dit. Certes, j’entends parfaitement la critique de ce premier avis, rien de trépidant, on est à l’opposé d’une littérature en mode page-turner. Les énigmes paraissent simples – mais ce n’est qu’une apparence. Elles sont, en réalité, d’une extrême complexité dès lors que l’on regarde leur véritable objet, qui n’est autre que l’âme humaine.

Je n’ai jamais lu François Sureau. Je ne sais pas s’il a des thèmes de prédilection qui traverseraient son œuvre. Mais j’apprécie de voir qu’un membre de l’Académie fasse le choix d’une forme éminemment populaire au sens noble du terme – le feuilleton policier – pour nous retracer les enquêtes de cet intrigant Thomas More. Car, vous l’aurez peut-être noté au passage, mon binôme a choisi une citation qui ouvre (alors que le livre se referme, d’ailleurs) des perspectives incroyables : Thomas More, dont nous avons lu les aventures qui se déroulent en 1870 (fin du Second Empire, défaite de Sedan) dit être venu pour la dernière fois à la Grand Chartreuse… en 1701.

Si ce que vous aimez, c’est le sang qui gicle, l’action, l’apnée, ce livre risque en effet de vous laisser sur votre faim. Mais si la question de savoir d’où vient la tentation de l’acte criminel, et comment l’âme humaine peut être déchirée jusqu’à envisager le passage à l’acte, alors vous pourriez trouver que chevaucher aux côtés de Thomas More présente quelque intérêt… À vous de voir !

Pour en savoir plus

Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

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