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Miroir

Justus von Liebig n’a pas inventé que le bouillon Kub… Ce chimiste allemand du XIXe siècle (1803-1873), en effet, est crédité de progrès majeurs en chimie organique, dont toute une partie s’est appliqué dans le domaine de l’agronomie (il a travaillé sur les engrais et est considéré, à ce titre, comme l’un des fondateurs de l’agriculture industrielle). Mais on lui attribue aussi l’invention des miroirs dans leur forme actuelle !

Pourtant, l’idée même du miroir n’est pas nouvelle, loin de là. Une étendue d’eau étale permet de se mirer dans l’eau : Narcisse, dans la mythologie grecque, en fait l’amère expérience. Extrêmement beau, il découvre un jour son reflet dans l’eau, et tombe éperdument amoureux de lui-même. Il reste alors à se contempler, et finit par dépérir.

Les hommes ne tardent pas à chercher un moyen de se regarder. On retrouve de premiers dispositifs, fabriqués en terre et en obsidienne, il y a 8000 ans, en Anatolie. En Mésopotamie et en Égypte, on a retrouvé des miroirs en cuivre poli, entre 3000 et 4000 ans avant Jésus-Christ. Vers -2000, on retrouve des miroirs en pierre polie en Amérique du sud, et en bronze, en Chine et en Inde.

Au Ier siècle après JC, l’auteur romain Pline l’Ancien signale des miroirs en verre, qui seraient fabriqués en Phénicie. Mais il semble que les miroirs, à ce moment-là, aient encore été majoritairement en bronze, en étain ou en argent en Italie : c’est du moins l’idée que défend Roger Lambrechts, de l’université de Louvain, dans sa communication à l’Académie royale de Belgique en 1995, publiée sous le titre « Les miroirs étrusques et prénestins » dans le Bulletin de la Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques, VI, 1995, pp. 29-57, auquel on pourra se reporter pour plus de détails sur les miroirs étrusques. Il faut attendre l’époque impériale romaine (au IIIe siècle) pour voir le miroir en verre, constitué d’une plaque de verre dont la face arrière est recouverte d’un film métallique, devenir plus courant. Mais sa qualité reste encore médiocre, et il faut attendre le Ve siècle en Chine pour voir apparaître des amalgames argent-mercure, de meilleure qualité. En Europe, c’est à la Renaissance que l’on voit apparaître des miroirs de grande qualité, employant un amalgame d’étain et de mercure. Si l’on ignore où et quand exactement cette invention fut faite, Venise en est reconnue comme la grande spécialiste, avec deux autres acteurs, l’un français, la Manufacture royale de glaces de miroirs (qui deviendra Saint-Gobain), et les verriers de Bohême, dans le Saint-Empire. Avec une production qui s’accroît, le prix chute : alors qu’il fallait précédemment employer des matières premières coûteuses (métal, et parfois or et argent), on peut désormais réduire les coûts. C’est alors le cadre qui entoure le miroir qui devient l’objet décoratif !

Enfin, en 1835, Justus von Liebig, donc, remplace l’amalgame toxique au mercure par le procédé de l’argenture, qui permet, par réduction chimique, de déposer une fine couche d’argent sur le verre.

Mais le miroir n’est pas qu’un objet technique, décoratif et coûteux. Il porte également le poids d’une symbolique forte. Ainsi, parce qu’il montre (presque) à l’identique ce qu’il reflète, le miroir est souvent associé à la vérité. C’est ainsi que le miroir de la méchante reine, dans Blanche-Neige, dit toujours la vérité, même si cela condamne la jeune fille à subir la colère de sa marâtre. C’est également la raison pour laquelle les miroirs sont supposés ne pas afficher le reflet d’un vampire, par exemple : en effet, la forme « humaine » du vampire n’est qu’une illusion, que le miroir ne saurait nous retourner. Mais le miroir peut également « inverser » l’image (même si, pour les physiciens, le terme est impropre). Ainsi, dans certaines histoires, on retrouve alors le miroir comme inversant la réalité, comme dans Don Quichotte, où l’on retrouve le personnage du Chevalier des miroirs, qui est en quelque sorte le double inversé, le négatif de l’Hidalgo. Enfin, et nous y reviendrons probablement dans la partie consacrée au miroir dans nos lectures, le miroir est aussi souvent considéré comme une porte, un passage vers un autre monde. C’est d’ailleurs dans ce sens qu’il est régulièrement utilisé comme moyen de divination : on parle alors de catoptromancie (parfois déformé en cataptromancie ou captromancie). On retrouve, dans les textes, des traces de ces pratiques dès l’Antiquité, en Mésopotamie, en Chaldée, ou en Grèce sous la plume de Pausanias le Périégète, et à Rome, sous celle de Spartianus. À la Renaissance également, des témoignages attestent l’emploi de cette pratique, par exemple, par les mages Cosme Ruggieri ou John Dee, respectivement attachés à Catherine de Médicis ou Elisabeth Iere d’Angleterre. Puis les mages ont laissé la place aux artistes, qui ont commencé à employer des dispositifs optiques pour accompagner leur travail. Les miroirs noirs, employés notamment par les peintres paysagers, porte aujourd’hui le nom de « miroir de Claude », en référence à Claude Gellée, dit le Lorrain, qui a notamment contribué à le rendre populaire en Grande-Bretagne au XVIIIe siècle (pour ceux que cet aspect de la question intéresse, vous pouvez vous reporter au très documenté Le miroir noir : Enquête sur le côté obscur du reflet, d’Arnaud Maillet, et à sa thèse, qui en est le prolongement.

Une autre capacité attribuée aux miroirs est celle de capturer une partie de l’âme de ceux qui se sont regardés dedans. Cela se traduit par la coutume qui voulait que l’on couvre les miroirs dans la maison à l’occasion d’un décès, afin que l’âme du défunt ne se retrouve pas piégée dedans. C’est également pour cette raison que le fait de casser un miroir est de mauvais augure : les âmes de ceux qui s’y sont contemplés pourraient subir la même cassure !

En psychologie, le miroir peut être défini comme « un révélateur psychoaffectif de l’enfant ». Si l’idée selon laquelle l’homme serait non seulement un animal doué de parole, mais également capable de reconnaître son image est aujourd’hui battu en brèche par plusieurs études montrant que plusieurs animaux sont capables, également, de reconnaître leur image, Jacques Lacan a abondamment développé l’idée d’un « stade du miroir » entre 6 mois et 18 mois, à l’occasion duquel se déroule une véritable humanisation de l’individu. Baldine Saint-Girons, dans « Un miroir spéculatif : le frontispice de La science nouvelle », paru dans Miroirs, XVe Entretiens de la Garenne Lemot, évoque le « je spéculaire », comme d’une étape décisive dans la construction d’une personnalité.

Le miroir dans nos lectures

Bien que ce ne soit pas une lecture régulière, la poésie emploie fréquemment l’image du miroir : Baudelaire, Verhaeren, Régnier, Mallarmé, Aragon… On retrouve également ce schéma chez Jean Cocteau, dans Orphée : celui-ci rejoint les enfers en traversant un miroir. Celui-ci a d’ailleurs repris l’idée d’un miroir qui constitue pratiquement une porte dimensionnelle, digne de la science-fiction, dans deux de ses films, Orphée et La Belle et la Bête.

Dans les contes justement, le miroir est régulièrement présent. On pense bien évidemment à Blanche-Neige, mais également à De l’autre côté du miroir, de Lewis Carroll, ainsi qu’à La Belle et la Bête, dans lequel un miroir magique permet à Belle de voir, à distance, celles et ceux à qui elle pense.

Dans Les Misérables, Victor Hugo utilise le miroir pour faire découvrir à Jean Valjean l’amour de Cosette pour Marius, un amour qui le crucifie, qui provoque chez lui un « effondrement intérieur ». Il est ici le révélateur, mettant Jean Valjean face à ses sentiments pour Cosette. Maupassant, pour sa part, emploie à plusieurs reprises la référence au miroir, dans Bel-Ami, dans Le Horla (pour travailler sur le double), dans Notre cœur également. Michel Tournier, également, dans Gaspard, Melchior et Balthazar, emploie l’image du miroir, ainsi que dans Vendredi ou les limbes du Pacifique, où Robinson se découvre différent de ce qu’il était, après son expérience de la solitude et de la déshumanisation.

Hervé Lassalle, un psychanalyste, s’intéresse pour sa part au roman Le double de Dostoïevski. Comme son nom l’indique, il s’agit ici plutôt d’un double sans miroir, mais l’image du miroir réapparait à plusieurs endroits du livre. En effet, même sans que le miroir soit réellement là, le héros (Goliadkine) croit en voir un… Le contexte est ici celui d’un homme dont la santé mentale, déjà vacillante, va finalement se perdre dans cette image qui constitue, pour lui, une mise en abîme qu’il ne peut affronter.

Même s’il ne s’agit pas au sens propre d’un miroir, mais d’un tableau, la façon dont Oscar Wilde met en scène son Portrait de Dorian Gray fait bien référence au double, au reflet, lui aussi. À ce titre, le tableau sur lequel est peint son portrait sert bien à Dorian Gray de miroir.

Le miroir occupe également une place majeure dans la littérature érotique. Empruntons ici à Gaétan Brulotte, qui, dans le chapitre intitulé Reflet de son ouvrage Œuvres de chair : figures du discours érotique, signale le rôle central du miroir dans ce qu’il appelle l’érographie (et qui semble désigner les écrits de nature érotique). Il évoque, pour ce qu’il décrit comme un érotisme narcissique, les personnages de Nana et d’Ariane (respectivement dans Nana d’Émile Zola et dans Belle du Seigneur d’Albert Cohen), qui se mirent, se complaisent, voire s’embrassent dans le miroir. Il évoque également la scène centrale du Livre blanc de Cocteau, qui « repose sur un tel moment de plaisir solitaire devant une glace de salle de toilettes ». Il rappelle également les « chambres catoptriques », tapissées de miroirs, que l’on retrouve chez Sade, Restif ou Mirabeau, notamment.

On retrouve aussi des miroirs, magiques ou non, dans la littérature fantastique. Dans Harry Potter, on a naturellement le miroir du Riséd, miroir magique qui montre à chacun son rêve le plus fort. C’est dans ce miroir que Harry voit ses parents auprès de lui, alors que Ron se voit lui remporter la Coupe de quidditch comme capitaine de l’équipe, alors qu’il est préfet-en-chef. Dumbledore, lui, s’en est servi pour dissimuler la pierre philosophale dans le premier tome. Mais J.K. Rowling a également imaginé un jeu de miroirs à double sens, deux miroirs reliés qui permettent à deux personnes de se parler et de ses voir à distance. Enfin, il existe quelques miroirs parlants, dont l’un se trouve dans la maison des Weasley, et un autre au Chaudron Baveur.

On peut naturellement considérer que la pensine, dans laquelle Dumbledore conserve une collection de souvenirs, est une sorte de miroir, surtout en ce qu’elle est assez proche du Miroir de Galadriel que l’on retrouve dans Le seigneur des anneaux, bassin rempli d’eau qui offre à ceux qui ont l’occasion de le contempler des visions du passé, du présent et/ou du futur.

Dans La passe-miroir, enfin, la jeune Ophélie, qui vient de l’arche d’Anima – l’arche d’Artémis, maitresse des objets – possède d’incroyables dons. Elle appartient au groupe des animistes, qui ont des pouvoirs liés aux objets : certains peuvent leur insuffler la vie, d’autres les réparer, d’autres encore lire leur passé… Ophélie, quant à elle, peut « lire » les objets mais également utiliser les miroirs soit comme moyen de communication – dans le livre 2, alors qu’elle se trouve dans une situation périlleuse, elle donne des détails sur sa position à son valet –, soit pour se déplacer – mais attention, ce n’est pas sans risques : elle peut rester coincée ou bien se retrouver coupée en deux -.

miroirmagiqueharrypotter

 

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