Depuis l’apparition de l’homme sur Terre, les façons de se nourrir ont profondément évolué. D’abord dans le choix des aliments eux-mêmes, et, naturellement, dans la façon de les préparer. Nous n’effectuons naturellement ici qu’un très bref survol d’un sujet sur lequel des milliers de pages ont été écrits… Mais si cela peut vous mettre l’eau à la bouche…
Ainsi, Lucy et ses congénères, il y a trois millions d’années et des poussières, étaient très dépendants de ce qu’ils pouvaient ramasser sur place, et consommaient leurs aliments crus, naturellement. Et cela a duré un bon moment, puisque, même si le débat n’est pas tranché en spécialistes, le feu n’a pas été domestiqué par l’homme avant -790 000 (pour les plus optimistes), voire même, pour certains, avant – 400 000. Les traces les plus anciennes remontent à environ 1 million d’années, mais l’équipe américaine qui en a trouvé les traces ne sait pas dire si les hominidés concernés étaient capables d’allumer le feu, ou s’ils se contentaient de le conserver.
Quoi qu’il en soit, l’impact de cet usage du feu est considéré comme central. En effet, le premier usage du feu est la cuisson des aliments, pour la consommation immédiate mais aussi pour conserver (par fumage) les aliments. Cela a deux effets majeurs : les hommes sont moins touchés par les parasites qui prolifèrent dans la viande crue, et, plus digeste, la viande cuite à un meilleur rendement métabolique. La conjugaison de ces deux phénomènes rend possible l’augmentation du volume cérébral, qui marque l’évolution de l’humanité. De plus, au-delà de ce phénomène purement physique, les paléologues soulignent également le fait que, avec le feu, apparait le concept de repas : le « foyer » devient un haut lieu de sociabilité. Pour comparaison, rappelons que le feu n’est employé pour fabriquer des outils qu’à partir, au plus tôt, de – 75 000, la poterie vers – 20 000, la métallurgie vers – 7 000…
Bref, avec le feu apparait le concept de cuisine et de repas. Et qui dit cuisine dit recettes ! Mais on est encore largement dépendant des aliments disponibles. Il faut en effet attendre – 9 000 pour que l’homme commence à pratiquer agriculture et élevage, c’est à dire à « programmer » la disponibilité d’aliments qu’il choisit.
Mais, par manque de sources, nous ne savons pas comment les civilisations les plus anciennes préparaient leurs aliments. On a longtemps pensé que le De re coquinaria (L’art culinaire), recueil de conseils d’Apicius, était la trace la plus ancienne de gastronomie, jusqu’à la découverte, par des chercheurs de l’Université de Yale, de tablettes mésopotamiennes, qui décrivent une quarantaine de recettes – du bouillon de gazelle aux oiseaux cuits au vinaigre et à la bière -, ainsi que trois cents variétés de pain.
En Égypte, on sait qu’ils fabriquaient de la bière et du vin. Mais on ne dispose d’aucune recette de cuisine. On peut seulement imaginer la variété des plats servis à Pharaon.
De la gastronomie en Grèce, on ne sait a priori pas grand chose non plus, sinon que pour la majorité des habitants, la frugalité est au menu. Peu de viande, du poisson, des fruits et des légumes, avec une base composée de céréales, l’alimentation des grecs reflète alors les difficultés de l’agriculture grecque. Les dieux montrent la voie, néanmoins, en se nourrissant d’ambroisie. Les banquets, dont la littérature conserve la trace, sont l’occasion de la vie sociale, mais la nourriture reste plutôt simple. La frugalité est élevée au rang de vertu, l’excès de nourriture étant présenté comme un signe de mollesse. Ainsi, les Perses sont considérés comme décadents ; la colonie grecque de Sybaris, d’une grande richesse, est également moquée pour son goût du luxe et les excès alimentaires – on en conserve aujourd’hui le terme « sybarite » -.
Il faut attendre Rome pour voir la gastronomie acquérir ses lettres de noblesse. Apicius, déjà évoqué propose un recueil d’environ 400 recettes. Se nourrir est considéré comme une façon d’accéder au plaisir, et on voit se développer le goût pour les épices, le sucré-salé. Pâtés, quenelles, flans, gâteaux témoignent d’un savoir-faire déjà très élaboré.
Le Moyen Âge reste très fortement inspiré par la cuisine romaine. La principale évolution est l’augmentation de la part de la viande dans l’alimentation, en tout cas chez les élites. Autre différence : le saindoux remplace l’huile d’olive… Les tartes et les tourtes, que l’on faisait cuire dans le four du boulanger, sont à l’honneur. Le service à table commence à être codifié : pour les repas de cérémonie, le service à la française s’impose, avec quatre à douze services de plusieurs plats.
Il faut attendre la Renaissance pour que les grands navigateurs ramènent en Europe de nouveaux aliments : pommes de terre, dinde, chocolat, café, thé, tomate, haricot, courge et courgette. Les fruits et légumes retrouvent une place importante dans la gastronomie. On invente le champagne, la mayonnaise, la crème chantilly…
La création des premiers restaurants « modernes » est un résultat inattendu de la Révolution : des chefs de cuisine dont les maîtres se sont exilés pour fuir les persécutions s’installent à leur compte.
Mais ce n’est qu’au XIXe siècle que la cuisine française s’impose comme la véritable référence de la gastronomie mondiale, avec des recettes sophistiquées et des plats du terroir. Elle se réinvente dans les années 70 avec le mouvement de la « Nouvelle cuisine », portée par des chefs devenus de véritables hommes d’affaire, en plus d’être de grands artistes des saveurs.
La cuisine dans nos lectures
Les livres ne manquent pas dans lesquels une partie de l’histoire se déroule à table, mais il ne s’agit souvent que d’un « décor ». Ainsi, il n’est pas rare, dans les livres traitant de l’époque romaine, de voir une partie de l’intrigue prendre place à l’occasion d’un banquet. De la même façon, dans les romans se déroulant à l’époque médiévale, le repas est souvent évoqué. On peut, sans chercher plus loin, penser à Game of thrones, et à l’épisode des Noces pourpres, où le banquet de mariage est l’occasion d’un carnage dans le clan des Stark ; à l’occasion du mariage de Joffrey Baratheon et de Margaery Tyrell, le premier est empoisonné.
Plus rares sont les livres dans lesquels la gastronomie occupe une véritable place, presque celui d’un personnage. Mais ce sont naturellement ceux-là qui nous intéressent ici.
La saga Savoisy, écrite par Michèle Barrière, historienne de la gastronomie, en est peut-être l’exemple le plus complet et le plus abouti. En neuf tomes, on découvre l’histoire d’une véritable dynastie, couvrant la vaste période allant de 1393 à 1933… Du même auteur, la série des Enquêtes de Quentin du Mesnil – cinq tomes à ce jour – propose de suivre les aventures du maître d’hôtel de François Ier. On l’aura compris, ces deux séries, si elles se rattachent au grand champ du polar, proposent une très forte dimension gastronomique.
Dans un style radicalement différent, On n’a pas toujours du caviar, roman d’espionnage de Johannes Mario Simmel, paru initialement en 1965, est une sorte d’OVNI. Les aventures de Thomas Lieven, banquier d’affaire pris dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale et que les circonstances contraignent à devenir agent triple, sont émaillées des menus qui les rythment.
Le lien entre polars et gastronomie s’est fortement renforcé avec Pepe Carvalho, le personnage de Manuel Vázquez Montalbán. Ce détective privé barcelonais, amateur de bonne cuisine, décrit la préparation des plats qu’il prépare. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, il a pour habitude d’allumer le feu sur lequel il va cuisiner en brûlant un livre de sa bibliothèque. On peut soit le découvrir au travers des 17 tomes de la série, soit avec la bande-dessinée dont le premier tome est sorti récemment…
Dans le même genre, on peut penser au héros de Valerio Varesi, le commissaire Soneri, dont la passion pour la gastronomie n’est pas sans rappeler celle de Pepe Carvalho, mais dans un cadre différent. Avec Valerio Varesi, c’est Parme que l’on découvre, que l’on parcourt, que l’on explore. Trois tomes seulement ont été traduits en français, parus chez Agullo, mais douze sont déjà parus en italien…
Dans une moindre mesure, mais tout de même, le personnage de Jean-François Parot, Nicolas le Floch, commissaire au Châtelet. Celui-ci, avec ses acolytes, ne dédaigne pas de prendre un bon repas. L’un des intérêts de cette série est de donner une vue assez exacte de ce que pouvait être la gastronomie de l’époque, avec des gargotes qui préfigurent ce que seront ensuite les restaurants…
Au rayon manga, citons l’Artiste, qui se déroule dans le milieu des grands restaurants parisiens.
Plusieurs bandes-dessinées se sont également emparées de ce sujet, mais nous ne les avons pas – encore – lues… Et vous, vous aimez lire et manger ? Quels sont les livres que vous avez aimés qui traitent de gastronomie ?