Aventures, Récit historique, Roman

La Pierre d’Orso

Chronique de La Pierre d’Orso, de Xavier Champenois.

« Lorsqu’il ouvrit les yeux, Orso fut en proie à l’émerveillement. Au-dessus de sa tête, sur une paroi crayeuse baignée de soleil, des ombres de branchages dansaient dans la brise matinale. Une danse chaude où balançaient les rameaux inégaux d’un pin que la perspective enchevêtrait. Ce réseau de stries formait une palette de gris, des dégradés aux lignes fluctuantes, où le noir intense des maîtresses branches au centre s’estompait vers les brindilles périphériques en filigrane doré, presque translucides. »

Xavier Champenois, La Pierre d’Orso, Éditions Récamier, 2023, p. 25.

Motivations initiales

Ce livre, qui nous a été envoyé par les Éditions Récamier, propose une plongée dans les États italiens du XVIIe siècle, entre guerres, peste, traque des sorcières par une Inquisition fortement remise en question. Ce deuxième roman de l’auteur est donc, pour nous, l’occasion de le découvrir.

Synopsis

Orso, un jeune garçon qui a assisté, au travers des brouillards de la fièvre, au supplice de sa mère, se retrouve pris en charge dans un couvent, où l’on tente de l’éveiller à la vie spirituelle. Une fois établi le fait qu’il ne deviendrait pas moine, il est envoyé chez un artisan luthier, dont on espère qu’il saura faire fructifier son incroyable talent inné pour le dessin.

C’est le début d’une errance, dont Orso va penser qu’elle est une quête pour retrouver la sépulture de sa mère, afin d’y déposer une stèle mortuaire, sur laquelle il croit retrouver son visage. Mais quel peut bien être le sens d’une telle quête, en ce début de XVIIe siècle ?

Avis

Disons-le d’entrée, je n’ai probablement pas lu ce livre au bon moment, et, partant, dans les bonnes conditions. Sans rentrer dans les détails, les dernières semaines ont été un long rush pour finir une thèse, qui a absorbé les dernières réserves d’énergie qui me restaient, il m’aurait donc probablement fallu une histoire survitaminée capable de m’entraîner, et non un récit essentiellement contemplatif à l’occasion duquel j’ai été le spectateur de la longue errance d’Orso en restant sur le bord du chemin… Ma lecture n’est donc probablement pas celle que j’aurais pu en faire dans d’autres circonstances, mais bien un « passage à travers ».

Les défauts de ce livre sont aussi ses qualités – ou réciproquement -. L’écriture est très poétique, comme le montre la citation qui figure en haut de cette chronique et qui décrit le mouvement des branches d’un pin dans le vent. Mais, quand vous n’êtes pas « dedans », certaines scènes deviennent rapidement très ésotériques, comme le « procès » final dont je n’ai longtemps pas réussi à déterminer s’il était réel ou fantasmé.

Ce qui ressemblait donc au récit d’une errance, qui aurait également pu être une quête – celle de la sépulture de Mammina -, s’avère finalement être, en réalité – du moins est-ce ainsi que je l’ai compris -, le parcours du deuil d’Orso. Pris sous cet angle, l’espèce d’indolence d’Orso, qui parait se laisser entraîner par le flux plutôt que de jouer un rôle actif, peut sans doute mieux s’entendre. Comme si le parcours réel, les rebondissements, les personnages rencontrés, n’avaient finalement pas réellement d’importance, le véritable trajet étant intérieur et intériorisé. Orso ne semble pas bien savoir lui-même ce qui le meut, ce qui le motive à avancer, et, d’ailleurs, il passe une bonne partie du livre à ne pas avancer, mais à attendre qu’un événement extérieur le contraigne. Et, finalement, la résolution de l’histoire se fait plus par hasard qu’autre chose.

En sortant de ce livre, je me demande encore ce que l’auteur donne comme sens à certaines scènes. Je ne doute pas qu’il y en ait un – de sens -, mais je n’ai pas réussi à le capter, comme, par exemple, le moment où Orso se retrouve enfermé à l’Arsenal de Venise, ou quand, blessé, il est recueilli par une femme dans sa chaumière. Ces passages m’ont fait l’impression de « tunnels hallucinés » dans lesquels la réalité est déformée, mais je ne sais pas au profit de quel message.

Enfin, sans vouloir spoiler une partie de l’histoire, je sors de cette histoire en ne comprenant pas vraiment pourquoi, toutes ces années, certains des protagonistes de l’histoire laissent, d’une certaine façon, Orso se débattre seul dans les filets de cette intrigue, plutôt que de venir lui en donner les tenants et les aboutissants. Pourquoi adopter cette posture de transcendance, plutôt que de venir, en le traitant comme un être humain, lui laisser la possibilité de prendre le contrôle de sa propre existence ? Je ne perçois peut-être pas tous les enjeux, mais ce choix de l’auteur m’interroge.

J’ai conscience de ne pas rendre hommage à ce livre. Mais n’hésitez pas, si vous l’avez lu et avez un autre éclairage à apporter, à le faire ici, en commentaire !

Pour en savoir plus

Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

4 réflexions au sujet de “La Pierre d’Orso”

  1. Merci pour cette critique, où je retrouve (pas toujours en bonne part) les effets impressionnistes, que j’ai tenté de faire passer dans l’écriture d’Orso.
    Orso est souvent en prise aux fièvrex (scène d’ouverture, Venise, procès…) et son imagination s’emballe. Il a peu d’empathie pour le monde extérieur (la psychiatrie moderne l’aurait sans doute casé quelque part dans le spectre autistique). Il est taraudé par le besoin de représenter le visage qu’il a aimé et dont le souvenir s’estompe. Son obsession est physique: retrouver un corps, projeter une figure.
    Le reste est subi, et les gens qui lui veulent du bien, sont traités avec ingratitude (dans ce sens il passe à côté de l’amour de trois femmes). De même pour la justice, son procès n’a d’intérêt que s’il peut le rapprocher de son but, et il se réjouit du témoignage du moine qui veut le détruire.
    Comme vous le remarquez bien, dans ce dix-septième siècle agité où tout lui est imposé, il est absolument incapable de prendre le contrôle de sa propre existence. Sa sourde obstination (obsession) le mène, fatalement, à son but.

    L’auteur
    (Tous mes vœux de succès pour votre thèse)

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  2. Merci pour cette critique, où je retrouve (pas toujours pris en bonne part) les effets impressionnistes, que j’ai tenté de faire passer dans l’écriture d’Orso.
    Orso est souvent en prise aux fièvres (scène d’ouverture, Venise, procès…) et son imagination s’emballe. Il a peu d’empathie pour le monde extérieur (la psychiatrie moderne l’aurait sans doute casé quelque part dans le spectre autistique). Il est taraudé par le besoin de représenter le visage qu’il a aimé et dont le souvenir s’estompe. Son obsession est physique: retrouver un corps, projeter une figure.
    Le reste est subi, et les gens qui lui veulent du bien, sont traités avec ingratitude (dans ce sens il passe à côté de l’amour de trois femmes). De même pour la justice, son procès n’a d’intérêt que s’il peut le rapprocher de son but, et il se réjouit du témoignage du moine qui veut le détruire.
    Comme vous le remarquez bien, dans ce dix-septième siècle agité où tout lui est imposé, il est absolument incapable de prendre le contrôle de sa propre existence. Sa sourde obstination (obsession) le mène, fatalement, à son but.

    L’auteur
    (Tous mes vœux de succès pour votre thèse)

    Aimé par 1 personne

    1. Bonjour Monsieur Champenois,
      Merci pour ce retour. Je n’avais effectivement pas perçu la dimension autistique et le manque d’empathie, qui éclairent en effet une partie du personnage et proposent une grille de lecture qui m’avait échappé. Je me rends également compte, a posteriori – et vous pourrez peut-être préciser si c’était intentionnel – que tous les personnages ont ce côté individualiste : ce que l’on sait, on le garde pour soi ; personne ne partage rien, ou presque. Chacun – et c’est peut-être les conditions du temps qui veulent cela – se préoccupe d’abord de sa propre existence, quoi qu’il se passe autour. Vouloir du bien à quelqu’un revient à tenter de lui imposer son propre modèle, son propre chemin.
      Et ce n’est pas pour me dédouaner, mais j’insiste sur le fait que ce n’était probablement pas le bon moment pour que je lise ce livre, ce qui a faussé sa réception…
      Les Ô Grimoiriens

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      1. Bonjour,
        Chaque personnage est mu par son intérêt propre, sa propre quête. C’est aussi vrai pour ceux qui confinent à la folie (Violetta chez les Capuçins, Don Agnello après avoir perdu la raison, le luthier Bertolotti qui veut placer son œil sur le crucifix, les mendiants à Rome, etc…) ; mais ceux-là, malgré leurs lubies, viennent en aide à Orso.
        C’est un biais anthropologique assez sombre. Mais je ne crois pas que cet individualisme soit l’apanage du dix-septième siècle. C’est peut-être même un pessimisme chronique, et anachronique, qui m’a fait greffer ce caractère moderne sur des personnages du passé.
        X. Champenois

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