Anticipation, Dystopie, Roman noir

La Situation

Chronique de La Situation, de Karim Miské

« Il y a dix-huit mois encore, Nacéra Mokadem, brillante ingénieure en intelligence artificielle, était cheffe de projet chez InGirum, le géant du jeu vidéo made in France. Son domaine de prédilection était l’heroic fantasy. Sa réincarnation en avatar féminin du sous-commandant Marcos est un sacré retournement. En même temps, je la comprends. Pour mener la révolution du nouveau millénaire, mieux vaut s’inspirer des révoltés mexicains que de Bilbo et Gandalf. »

Karim Miské, La Situation, Éditions Points, 2024, p. 22.

Motivations initiales

Encore une lecture dans le cadre du Prix du meilleur polar des Éditions Points, et nouvelle occasion de découvrir un auteur que nous n’avions jamais lu. Ici, c’est Karim Miské, réalisateur de documentaires et écrivain. Il s’était notamment fait remarquer avec un roman publié en 2012, Arab Jazz.

Synopsis

La France, en 2030. Après que des membres de la Ligue française, un parti d’extrême-droite, ont pris d’assaut, avec le soutien de la police, le palais Bourbon, tué huit députés « non blancs » et pendu la première femme noire présidente de l’Assemblée nationale, Albertine Kouadio, la guerre civile a éclaté. La Ligue tient certains territoires. Le président Humbert, replié à Chartres, joue un curieux jeu. Enfin, le Front uni, coalition de gauche qui rassemble diverses factions – depuis des afro-muslins jusqu’aux écolos, en passant par divers mouvements wokistes… – tente de maintenir le cap, autant face à l’extrême-droite que face à ses dissensions internes.

Kamel Kassim, scénariste de son métier, a fait le choix de s’enfermer et de ne pas sortir de chez lui, à Belleville. Plusieurs années après la mort de sa femme, il ne s’en est pas réellement remis. Sa fille, Daphné, qui a longtemps été le centre de son univers, s’est un peu éloignée. Mais quand sa meilleure amie, Éminé, le convainc de descendre en bas de son immeuble pour prendre un verre, cela se finit par un drame : la terrasse est attaquée, Éminé meurt. Ce déclic amène finalement Kamel à s’engager…

Avis

Bon. Disons-le d’emblée, cette lecture est une grosse déception. Que dis-je ? Une énorme déception. Peut-être parce que le sujet me semblait, justement, intéressant et important, mais que je trouve le traitement qui en est proposé ici simpliste et vraiment trop superficiel, ce qui amène à mobiliser tous les clichés possibles… je vous laisse imaginer lesquels, puisque cette dystopie s’appuie sur quelquechose qui ressemble assez fortement à notre situation politique actuelle.

Je ne peux pas – pour être crédible dans ma critique – ne pas spoiler une partie de l’histoire et, notamment, la fin. Avis, donc, à celles et ceux qui auraient l’intention de lire ce livre : ne lisez pas la fin de cet avis (c’est aussi pour cela que je vais aussi directement au but dès le démarrage de cet Avis. C’est bon, ceux qui souhaitent décrocher l’on fait ? Alors allons-y.

Le « twist » final, schématiquement, c’est que tout était programmé. Le président Humbert aurait tout programmé, ou au moins laissé faire pour, finalement, rendre acceptable une alliance avec l’extrême-droite et livrer une France « nettoyée » au futur. Le tout joué par des personnages qui n’ont aucune profondeur, ou, du moins, dont la profondeur n’a pas été explorée par l’auteur. Dans la psychologie aussi, on a droit à tous les clichés : l’homosexuelle ambitieuse, l’avocate retorse mais au bon fond… La citation proposée en haut de cette chronique, sur l’un des personnages-phare de la guerre civile, Nacéra Mokadem, est peut-être la description psychologique la plus fouillée de tout le livre !!!

Dans ce même registre, il n’y a pas de cheminement pour le personnage central, ce Kamel Kassim qui, de renfermé sur lui-même, se change soudain en acteur impliqué. L’image peut paraître surprenante, mais j’ai eu l’impression de revoir la façon dont Peter Jackson, dans sa version cinématographique du Seigneur des anneaux, nous présente les Ents, ces arbres-gardiens des forêts. C’est à dire en faisant de ces êtres qui, dans les livres de Tolkien, sont d’une profonde intelligence, conscients de l’importance des mots et détachés du diktat de la gesticulation, des créatures égoïstes et véléitaires. Kamel, donc, ne voulait pas sortir de chez lui, ne voulait pas s’engager. Mais une fois sa meilleure amie tuée, le voilà qui s’engage ? À tout le moins, cela aurait mérité de développer son état d’esprit, ses motivations…

Bref, à mon sens, la dystopie est un exercice trop sérieux pour la pratiquer de manière aussi superficielle. Fermez le ban !

Pour en savoir plus

Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

1 réflexion au sujet de “La Situation”

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