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Vin

Vincent Martigny le dit clairement dans une revue scientifique consacrée à la pensée politique (Raisons politiques, n°37, 2010) : en France, la gastronomie est « un aspect de l’identité culturelle », autrement dit un marqueur du sentiment national. Et cela se retrouve en particulier autour de deux produits spécifiques de la cuisine française : le fromage, et, évidemment, le vin.

Mais le vin n’a pas attendu la France pour faire une entrée remarquée dans l’histoire de l’humanité ! Alors que le raisin apparaît il y a environ 65 millions d’années, sur des vignes vierges, les différentes civilisations se disputent la paternité du vin qui en est issu : à Zagros, en Iran, des amphores dans lesquelles subsistent des traces de vin sont datées d’environ 7500 ans ; vers – 4000, L’Épopée de Gilgamesh, récit babylonien, raconte comment Gilgamesh, parti en quête de l’immortalité, découvre au royaume du dieu Soleil une vigne enchantée dont le vin rend immortel ; dans la Bible, Noé est présenté comme le premier à cultiver la vigne : « Il planta une vigne et en but le vin » (Genèse, 9, 20/21). On retrouve également la trace du vin en Égypte, où des bas-reliefs représentent des scènes de vendange et de pressurage. Partout on voit la vigne s’implanter, et les hommes boire du vin, en Chine, en Grèce, en Phénicie, en Transcaucasie, en Palestine, en Mésopotamie, en Italie…

Avec une belle unanimité, également, le vin est d’abord présenté comme un privilège réservé aux dieux et aux puissants, symbole de pouvoir. Dans de nombreuses cultures, le vin est censé permettre d’accéder à l’immortalité. Il faut probablement voir là la force du symbolisme, le vin, de couleur rouge, étant souvent assimilé au « sang de la terre ».

Dans les textes mésopotamiens, on retrouve cette figure du vin immortel, dans l’Épopée de Gilgamesh, déjà évoquée, mais une autre légende, celle de Jamshid, montre comment on a découvert comment fabriquer le vin : une femme du harem du chah Jamshid, délaissée par ce dernier, veut mettre fin à ses jours, et boit le contenu de jarres censée contenir du poison, en l’occurrence du raisin fermenté, considéré comme tel à cause de l’odeur qu’il dégage. Mais elle n’y trouve que l’ivresse, qu’elle partage avec Jamshid, ce qui lui fait regagner ses faveurs. En référence à cette légende, le vin, en Iran, est encore appelé « poison agréable ».

L’analogie entre le vin et le sang est également une figure récurrente. En Grèce, le vin est considéré comme le sang de Dionysos ; dans le taoïsme également, le vin est assimilé au sang : dans certaines sociétés secrètes chinoises, il est employé comme substitut ; dans la Bible également, on retrouve cette même image, à l’occasion de la Cène.

Mais s’il est symbole de joie, le vin est aussi fauteur d’ivresse. Et, à ce titre, il est parfois présenté dans la Bible comme une marque de la colère de dieu face à l’égarement des hommes. C’est une figure que l’on retrouve chez Jérémie, Isaïe, mais également dans l’Apocalypse.

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Le vin dans nos lectures

On trouve de nombreuses références au vin dans la poésie. Sans vouloir en faire un inventaire – ceci n’est pas un travail académique –, on ne peut s’empêcher de penser à Apollinaire, dans Rhénanes :

« Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme ».

On retrouve évidemment l’indication de la consommation de vin dans de très nombreux livres. Il apparaît, d’abord, comme un marqueur de statut social. Dans Le père Goriot, Balzac fait dire à Madame Vauquer que son prix est trop important, mais que, si Monsieur Eugène le paye, elle offre le cassis. Dans Phobos, on retrouve cette image, où l’odieuse Serena McBee a échangé la grande cuvée de champagne offerte par l’un des sponsors contre du mousseux, car « comment pourraient-ils faire la différence, des laissés-pour-compte qui n’ont jamais bu de champagne de leur vie ».

C’est aussi la boisson de la fête, par excellence. Ainsi, dans Les frères Karamozov, Ivan insiste pour que l’on boive du champagne, pour fêter sa libération. Chez Flaubert, dans Madame Bovary, ou chez Dumas, dans La dame aux camélias, c’est lors des repas en joyeuse compagnie, ou lors des banquets au château que le champagne est servi. Chez Goethe, dans Faust, alors que Frosch déclare préférer le vin du Rhin, par fidélité à sa patrie, Brander, lui, réclame du champagne, car, « un véritable Allemand ne peut souffrir les Français, mais il boit leurs vins volontiers »…

Le vin – et le champagne – est aussi associé à la tentation, à la séduction. Ainsi, Lord Byron nous présente un Don Juan qui aime, au coin du feu, « une salade de homard, du champagne et de la conversation ». Chez Maurice Leblanc, le champagne est associé à ces trois dimensions : son héros, Arsène Lupin, ne manque ni de célébrer ses victoires au champagne, ni d’en abreuver ses conquêtes. Dans un tout autre genre, et plus récemment, EL James n’hésite pas à mentionner des vins – français : Pouilly, Sancerre ou Chablis – pour accompagner ses scènes érotiques : elle précise, dans une interview publiée dans Grazia (24 septembre 2013), que « Le vin joue un rôle important dans Fifty Shades of Grey, il ajoute de la sensualité qui imprègne un certain nombre de scènes ».

Thomas Lieven, dans On n’a pas toujours du caviar, roman d’espionnage à forte composante gastronomique, ne précise pas dans ses menus de quels vins les mets seront accompagnés. Mais le texte est explicite : il entre dans la composition des plats, et remplit les verres. Et on retrouve cela chez tous les enquêteurs-gastronomes, de Pepe Carvalho au commissaire Soneri, en passant par Salvo Montalbano. Michèle Barrière fait de son érudition – elle est historienne de la gastronomie – un atout dans ses deux principales séries de romans policiers historiques, La saga des Savoisy, et Les enquêtes de Quentin du Mesnil.

Enfin, on ne peut pas oublier que le vin est parfois employé par les auteurs comme médium, de façon à véhiculer, tout en le masquant, un poison. L’une des expertes en la matière est évidemment Agatha Christie. Dans sa thèse consacrée aux poisons (Le poison dans l’histoire : crimes et empoisonnement par les végétaux), Nicolas Simon rappelle que l’auteure a souvent employé – probablement parce que son passé d’infirmière de guerre lui avait permis d’améliorer ses connaissances en la matière – des poisons dans ses romans, en faisant la première cause de mortalité dans ses histoires, ouvrant la voie à tous les auteurs de romans policiers qui ont, depuis, abondamment creusé la veine…

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