Les papillons, ces frêles insectes de nos jardins, occupent, malgré leur légèreté et leur apparente fragilité, une place non négligeable dans de nombreuses mythologies. Et ce, à deux titres…
D’abord, en effet, parce qu’ils incarnent la légèreté. La légèreté associée à la grâce, comme au Japon, où ils sont une figure féminine. La légèreté et l’inconstance, comme l’illustre Rameau dans Les Indes Galantes, à l’occasion de la description de la fête des fleurs, idée que l’on retrouve dans une fable de M. Bridault, La rose et le papillon : il est alors souvent utilisé comme image de la séduction. Enfin, la légèreté peut être associée à la subtilité : le papillon représente ainsi, dans la mythologie aztèque, les âmes des guerriers morts au combat. On retrouve une figure proche dans les croyances populaires gréco-romaines, dans lesquelles le papillon représentait l’âme s’envolant du corps du défunt. Nous avons trouvé mention (sans pouvoir le vérifier) qu’en Irlande, au XVIIe siècle, il était interdit de tuer les papillons, censés être les âmes des enfants morts.
Mais la figure du papillon est souvent présente également en référence à la métamorphose : de chenille, il devient chrysalide ; de chrysalide il devient papillon. Ainsi, chez les amérindiens, la chenille et le papillon symbolisent le changement. On retrouve cette figure dans la mythologie irlandaise, avec Etain, fille de roi, dont le dieu Midhir tombe amoureux, mais que la première épouse de celui-ci transforme en flaque d’eau, de laquelle nait un ver qui se transforme alors en magnifique papillon. L’épouse du dieu, furieuse, fait alors se lever les vents, qui emportent le fragile insecte, jusqu’à la maison du guerrier Edar. Etain, sous sa forme de papillon, tombe dans le verre de l’épouse du guerrier, qui l’avale et tombe enceinte, permettant à Etain de renaître.
Ce thème est également présent dans les traditions de tribus africaines, comme les Baluba et les Lulua (République démocratique du Congo), pour lesquels l’homme suit le cycle du papillon. Petite chenille à sa naissance, il devient une grande chenille à sa maturité, puis chrysalide dans sa vieillesse. Sa tombe est le cocon d’où son âme sortira sous la forme d’un papillon, avant de pondre, ce qui marque sa résurrection et sa projection vers le futur.
La psychanalyse a repris ce dessin de la renaissance. Dans les rêves, un papillon blanc représente une transformation positive. On peut voir cela comme un juste retour, le terme même de psychanalyse venant de Psyché, princesse élevée au rang de déesse, et représentée comme une jeune fille munie d’ailes de papillon.
Notons enfin que le Sphinx-Tête de mort, un papillon de nuit, est censé, d’après la légende, avoir été libéré de la terre à l’occasion de la mort du dieu Pan.
Le papillon dans nos lectures
Paradoxalement, si l’on demande à des lecteurs si ils ont des souvenirs de papillons dans leurs lectures, la première réaction est plutôt négative. Et pourtant, en cherchant un peu, on en trouve finalement plusieurs, dans différents styles littéraires, et employés dans différents sens.
Ainsi, pour une vision infiniment plus complète et savante de ce sujet, vous avez la possibilité de vous référer au blog de Jean-Yves Cordier, sur lequel il y a une centaine d’articles consacrés aux papillons, sous différents angles (zoonymie, histoire des noms des papillons, les illustrateurs de papillons, les collectionneurs…), avec une dizaine d’articles regroupés au sein d’une rubrique intitulée « Les papillons et la symbolique, l’art et la littérature ». C’est sur ce blog que j’ai découvert que Nabokov n’était pas qu’un écrivain, mais aussi un lépidoptèriste, et que l’image du papillon se retrouve dans plusieurs de ses livres. Je dois avouer que la référence à Lolita ne me serait pas venue sur ce thème : cela ne m’avait pas marqué lors de ma lecture. L’histoire de Lolita est pourtant bien celle de la métamorphose d’une nymphette (nymphe faisant référence, dans le monde des lépidoptères, à la chrysalide).
Imaginons qu’il soit légitime d’oublier que l’on a lu Siméon le papillon, de Antoon Krings. Après tout, ce n’est peut être pas l’histoire la plus profonde que l’on ai eu l’occasion de découvrir.
Dans le domaine de l’heroic fantasy, évidemment, on peut penser à Tolkien, et à Gandalf, attirant et utilisant un papillon alors que, prisonnier de Saroumane, il est retenu en haut de la tour de ce dernier. Le papillon, léger, diaphane, devient le messager idéal, qui va permettre aux aigles de venir libérer Gandalf. On ne peut pas ne pas être frappé par cette idée que c’est le plus fragile des animaux qui va venir à bout du plus puissant des magiciens…
Dans un style radicalement différent, l’un des romans récemment chroniqués sur ce blog est nommé d’après les monarques, des papillons. Nous vous renvoyons à la chronique de ce livre de Philippe Rahmy.
On retrouve le fameux sphinx – tête de mort dans Le silence des agneaux. Sans avoir la certitude absolue que ce papillon soit présent dans le roman de Thomas Harris, qui pourrait oublier l’affiche de son adaptation cinématographique ?
Mais les ailes du papillon sont également l’un des attributs d’un personnage que l’on retrouve dans de nombreux livres : la fée. Dans Roméo et Juliette, de Shakespeare, le personnage de Mab, repris des histoires populaires anglaises, est la fée des songes. Edouard Brasey (L’encyclopédie des héros du merveilleux) nous la décrit comme vêtue de pétales de roses, et dotée d’ailes de papillon. Mais, naturellement, avec Walt Disney, les petites fées virevoltantes aux ailes de papillon deviennent la représentation classique de la fée…