Le temps… les temps morts, le temps perdu, le temps des cerises, le temps qu’il fait, le temps qui passe, le beau ou le mauvais temps… finalement, il est probable qu’il soit juste impossible de trouver un livre, un poème, qui ne soit pas consacré au temps. C’est pourquoi nous allons restreindre à certaines de ses acceptions la notion de temps, pour nous concentrer sur la dimension temporelle.
Est-ce parce que nous sommes pris dans le cours inexorable du temps qui passe, et qui nous emmène fatalement vers une issue funeste que nous semblons être aussi préoccupés de ne pas perdre le temps qui nous est accordé ?
Les fabricants de montres semblent en être persuadés, qui ont, pour beaucoup, renoncé à donner une forme ronde aux montres et aux horloges – forme traditionnelle de la roue, de la rosace – pour donner à leurs cadrans une forme rectangulaire, censée nous donner inconsciemment l’illusion de pouvoir reprendre un contrôle qui nous échappe sur le temps ?
Quoi qu’il en soit, depuis Platon, on peut dire avec lui que « Le temps est l’image mobile de l’éternité immobile », rappelant que notre vie, avec son début et sa fin, s’enroule autour d’un pivot qui induit la possibilité d’une « mesure » de ce temps qui passe. Mais, on le ressent aisément, une telle représentation induit presque automatiquement l’idée d’un éternel recommencement, d’une possible « boucle temporelle », idée reprise de façon récurrente par la littérature.
En architecture et en sculpture également, on s’attache à donner une représentation du temps et de son écoulement. Dans l’inspiration chrétienne, le Christ est le Maître du temps (chronocrator) ; dans la mythologie grecque, on peut distinguer trois divinités liées au temps, correspondant chacune à une façon distincte de considérer la question : Chronos, dieu primordial qui incarne le temps physique (à ne pas confondre avec Cronos, roi des Titans), dont un des attributs est le sablier ; Kairos, au contraire, est le temps de l’occasion, qu’il faut savoir saisir – la représentation du dieu présente, à cet effet, une touffe de cheveux qui doivent permettre de l’attraper au passage -, mais qui n’est pas linéraire ; enfin, Aiôn, qui est plutôt l’incarnation de l’éternité et de la propsérité, ou, au moins, du temps long qui transcende nos existences.
Pour ceux qui voudraient creuser ce dernier aspect dans la mythologie grecque, ils peuvent se reporter à l’article de Joachim Lacrosse, paru en 2003 dans le deuxième numéro de la Revue philosophique de Louvain, « Temps et mythe chez Plotin », et, en particulier, à la deuxième partie de l’article, intitulée « … au mythe du temps ».
Signalons simplement, pour conclure sur la mythologie grecque qu’au-delà des trois dieux cités précédemment, il faut rajouter un groupe de déesses, les Heures, qui incarnent les divisions du jour, marquant clairement l’importance pour l’homme de découper pour mesurer l’écoulement du temps.
L’art est parfois présenté comme une façon, pour l’homme, d’échapper à sa destinée, de dépasser ses limitations. Ainsi, Laura Codrina-Ionita, dans « L’œuvre d’art comme forcement des limites » (revue Agathos, n°1, 2010), écrit que « le phénomène de l’art […] devient une expression et un essai de dépassement des différentes limites de l’homme ». Lors du colloque de l’Association Ferdinand Gonseth, consacré, en 2007 au Défi du temps, l’une des contributions s’est attachée à explorer la façon dont la science-fiction s’est emparée de cette question. Et l’auteur, François Rouiller, propose douze façons de traiter (ou maltraiter) la notion de temps, en le désarticulant, en le modifiant, en l’inversant, en le multipliant… Il évoque l’emploi par certains auteurs de paradoxes temporels dans leurs histoires.
Le temps dans nos lectures
On peut distinguer quatre grands groupes de livres, avec quatre façons de considérer le rapport au temps.
Le plus frappant est peut être le principe des boucles temporelles. On en trouve un bon exemple dans un film, Un jour sans fin, dans lequel un journaliste se retrouve coincé dans une boucle temporelle qui fait que, chaque matin, il se réveille le même jour, en l’occurrence, le jour de la marmotte. On retrouve également ce principe dans Miss Peregrine et les enfants particuliers, dans lequel une boucle temporelle permet de protéger la communauté des « enfants particuliers ».
Dans d’autres livres, le temps est arrêté – ou, du moins, c’est l’objectif – : commençons par un autre film qui met en scène ce type de chose. Nous le citons bien que le scénario ne soit pas tiré d’un livre. Ce film, c’est Cashback, film de Sean Ellis sorti en 2006, dans lequel un étudiant, à l’occasion d’une rupture, arrête de dormir, ce qui lui fait acquérir – sans que l’on sache pourquoi – la capacité à arrêter le temps, ce dont il profite parfois pour contempler la plastique d’une collègue… Dans le dessin animé Les Simpson, Bart dispose d’une montre qui lui permet également d’arrêter l’écoulement du temps. Dans un style totalement différent, même si on aboutit au même résultat, dans Le portrait de Dorian Gray, le portrait se charge de vieillir, en lieu et place du véritable Dorian Gray. Dans une de nos récentes lectures, Cox ou la course du temps, Cox est un horloger anglais qui fabrique des horloges pour tenter de capturer le temps. Enfin, dans En attendant Godot, le temps est suspendu à la survenue d’un personnage qui n’arrivera jamais.
On peut évidemment encore penser à Hermione Granger, dans Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban, à qui le professeur McGonagall remet un retourneur de temps, qui lui permet de suivre plusieurs cours qui se déroulent en même temps. Cette capacité à tordre le temps se rapproche du voyage dans le temps, que l’on retrouve classiquement dans une série de livres, à commencer par La machine à remonter le temps, de H. G. Wells. La machine est d’un type différent mais le principe est le même dans la série des films Retour vers le futur, dans laquelle la machine est une DeLorean DMC-12… Parmi les écrivains à avoir utilisé le principe du voyage dans le temps, il serait dommage de ne pas citer Andreas Eschbach : dans Jesus Video, on retrouve dans une tombe ancienne la documentation technique d’un caméscope dont le modèle a seulement été annoncé, mais qui n’est pas encore disponible sur le marché. Il faudra, pour résoudre l’énigme, voyager dans le temps… Mais la littérature pour enfants s’est également emparée de ce principe, comme dans les deux séries de Philippe Ébly, Les conquérants de l’impossible (une vingtaine de romans), et Les évadés du temps (une dizaine), mais également la série de La cabane magique, de Mary Pope Osborne, qui compte une cinquantaine d’histoires. Dans les trois cas, des enfants ou des adolescents se retrouvent en situation de découvrir l’histoire en voyageant au travers de différentes époques.
Enfin, la littérature est l’occasion, pour les auteurs, de « capturer » le temps. Ce sont, en quelque sorte, des spécialistes des « madeleines » qui cristallisent des souvenirs. Et, au nombre de ceux-ci, naturellement, Proust figure en bonne place. Les sept tomes d’À la recherche du temps perdu constituent une exploration des souvenirs du narrateur, mais aussi, plus largement, une réflexion sur la littérature, la mémoire, et le temps : tout est déjà dans le titre…