S’il faut en croire l’archéologie – et rien n’autorise à douter qu’elle dise vrai ! -, les tous premiers chevaux, apparus il y a environ 50 millions d’années, n’étaient pas plus grands que nos chiens actuels, et avaient des pieds griffus. Ils prennent une apparence proche de celle que nous leur connaissons aujourd’hui bien plus tard, il y a environ 4 millions d’années – le cheval de Przewalski, espèce spécifique à la Mongolie – bien qu’il n’en soit pas un descendant, est celui dont l’aspect s’en rapproche le plus.
En tout cas, il est l’un des sujets de prédilection des artistes préhistoriques. En effet, les décomptes des spécialistes montrent qu’il représente, à lui seul, 27 % des peintures rupestres. Mais rien ne permet d’affirmer avec certitude ce qui explique une telle prééminence, laissant la porte ouverte à des théories diverses. Ainsi, André Leroi-Gourhan voit une symbolique sexuelle (le cheval serait masculin, le bison et l’auroch féminins) ; Romain Pigeaud, pour sa part, dans un article paru en 2001 dans Archeologia, soutient l’idée que le cheval était symbole de pouvoir ; Jean Clottes, suivi par Marc-André Wagner et David Whitley, avance, lui, l’hypothèse d’un rôle chamanique du cheval (La revue pour l’histoire du CNRS, n°8, 2003). Le seul point, en la matière, sur lequel ils se retrouvent, c’est que, probablement, cette énigme ne sera jamais tranchée…
Quoi qu’il en soit, on retrouve cette profusion, et cette variété dans l’interprétation, dans toutes les mythologies, toutes les religions, tous les folklores du monde. Ainsi, on connait de très nombreux chevaux mythiques ou légendaires, qui disposent de nombreux pouvoirs : certains savent parler, ou peuvent traverser les eaux, d’autres peuvent se déplacer entre les mondes (par exemple pour se rendre dans les Enfers, ou se déplacer dans le ciel). Certains sont bénéfiques, d’autres maléfiques.
Une de ses caractéristiques les plus fréquentes est liée à sa capacité de déplacement. Il accompagne les hommes dans leur voyage, devenant, de ce fait, non seulement leur ami le plus proche, mais aussi, pour reprendre Buffon, leur « plus noble conquête ». Ainsi, on retrouve, dans les mythes et dans la littérature, de nombreux chevaux que l’on a nommé, leur attribuant de fait un statut particulier. On peut penser ici à Pégase, le cheval ailé de la mythologie grecque, mais aussi à Veillantif, le cheval de Roland dans la chanson de geste qui porte son nom ou encore à Rossinante, le cheval de Don Quichotte.
Par extension, il peut également accompagner des voyages bien plus intérieurs, avec toujours la même variabilité dans l’interprétation. Ainsi, en psychanalyse, Sigmund Freud voit dans le cheval une image paternelle, alors que Carl Gustav Jung en fait l’archétype de la mère, qui porte son enfant comme le cheval porte son cavalier. On peut ainsi retrouver le cheval associé à chacun des points cardinaux, au soleil mais également à la lune, aux quatre éléments… Cela fait dire à Gilbert Durand que « le cheval est relié à toutes les grandes horloges naturelles », l’auteur en déduisant que le point commun serait « l’effroi devant la fuite du temps » (Structures anthropologiques de l’imaginaire, 1960).
Beaucoup estiment que l’origine du mythe du centaure pourrait résider dans la perception qu’auraient pu avoir des peuples n’ayant pas domestiqué le cheval lors de leurs premières rencontres avec des cavaliers. Mais, métaphoriquement, le succès de ce mythe tient probablement à l’association qu’il incarne entre animalité et humanité, entre instinct et raison, entre force et intelligence. Ainsi, Bruno Bettelheim, dans son ouvrage consacré à la Psychanalyse des contes de fées, voit dans l’attirance des petites filles pour les jouets représentant des chevaux – et encore n’avait-il pas encore pu observer le raz-de-marée de My Little Pony… – et pour l’équitation une façon de contrôler l’animalité et la part de masculinité qui est en elles.
Les communicants du XXe et XXIe siècle continuent d’ailleurs à utiliser le rôle symbolique du cheval. Olivier Domerc, cité par Catherine Bastides-Coste, précise que le cheval possède une image de « passeur » à la fois forte et universelle, qui permet de l’employer pour tout type de message, et tout type de produits…
Ainsi, le cheval peut être un « véhicule », celui qui porte, suivant sa propre volonté ou celle de celui qui le monte. Dans le monde physique, cela se comprend bien, mais également sur un plan psychique, dans un rôle chamanique, ou par la possession (dans le vaudou, par exemple). Certains voient un lien entre la canne chamanique à tête de cheval et le balai de la sorcière…
Le cheval peut également être associé à la mort, soit comme messager ou présage, comme démon chargé de porter la mort, ou comme guide des âmes après le décès. On pense ici aux Valkyries de la mythologie nordique, qui trouvent leur équivalent germanique avec le Schimmel Reiter, mais également dans d’autres cultures. Cette relation particulière établie entre le cheval et la mort se retrouve également dans la symbolique du cheval (les cavales du char d’Hadès, ou, en Chine, un génie à tête de cheval qui assiste le juge des enfers). Avec le chien, le cheval est aussi l’un des premiers animaux que l’homme enterre.
Le cheval peut aussi avoir un rôle maléfiques, soit en dévorant des hommes (Bucéphale, les cavales de Diomède, les juments de Glaucos…), soit en étant associé au Diable – la plupart des commentateurs voient là une volonté de l’église, pendant le Moyen Âge, de lutter contre la sacralisation dont il était l’objet précédemment. Mais on retrouve également dans de nombreux textes des chevaux de « cauchemar » : avec les Cavaliers de l’Apocalypse, naturellement, mais aussi étymologiquement, jument se disant mare ou märhe dans différentes langues (proche de nightmare, cauchemar en anglais).
Le cheval est également un symbole de pouvoir. Georges Dumézil dit de lui qu’il est « l’animal de guerre par excellence ». Il est symbole royal, mais aussi prolongement du corps du guerrier. Les nombreuses statues équestres de rois et de militaires témoignent de la force de ce symbole.
Enfin, on observe fréquemment un glissement : symbole de force, le cheval devient alors symbole de fécondité, et, de fait, de sexualité. Les déesses celtiques Éponna, Rhiannon et Macha, sont des déesses-juments. On retrouve alors l’idée de l’animalité, de la puissance, qui marque alors une énergie sexuelle libérée.
Dernier point à souligner : si, dans les mythes grecs, scandinaves, japonais, le cheval est souvent issu de l’eau, on trouve également, dans d’autres cultures, un lien fort entre le cheval et le vent, soit avec des chevaux ailés (hittites, assyriens, chinois, africains), ou avec des chevaux de vent (en Inde, en Grèce, dans les pays arabes…).
Le cheval dans nos lectures
Comme sur les murs des grottes préhistoriques, les chevaux sont fréquents dans nos lectures (même si, intuitivement, on ne s’en rend pas forcément compte immédiatement.
J. K. Rowling est peut être celle qui emploie le plus fréquemment l’image du cheval, et de différentes façons. Des sombrals (des chevaux ailés, que seuls ceux qui ont vu la mort peuvent voir). Des palominos ailés (qui tirent le carrosse de Madame Maxime, la directrice de Beauxbatons, et ne boivent que du whisky pur malt). Des licornes, dans la forêt interdite, qui incarnent la pureté. Des centaures (Bane, Firenze…), également, qui, eux sont brutaux, impulsifs, profondément marqués par leur animalité. Des hippogriffes (Buck), enfin, hybrides de cheval et d’aigle.
Dans un style radicalement différent, dans Game of throne, les dothrakis, peuple nomade qui vit dans de grandes plaines, vit à cheval. Lors du mariage entre Khal Drogo et Daenerys, cette dernière mange le cœur d’un cheval : cette coutume vise à renforcer la fertilité de la jeune épousée.
Encore dans un autre style, dans la Belgariade, de David Eddings, on voit apparaître des Hrulgae, qui sont des espèces de chevaux, agressifs et carnivores.
Guy Gavriel Kay également convoque l’image de chevaux. Dans Les chevaux célestes, les chevaux sardiens sont une marque de pouvoir. En offrir un revient à récompenser quelqu’un immensément. En offrir quatre ou cinq est une façon de l’élever au dessus de ses pairs. Et le héros de l’histoire s’en voit offrir 250, ce qui revient à le placer au cœur de toutes les jalousies, de tous les complots…
Dans Cavalier Vert, Kristen Britain décrit un groupe de messagers royaux, qui entretiennent un lien particulier, chacun, avec leur monture. Karigan G’ladheon, jeune fille enfuie de son école, se retrouve investie d’une véritable mission. Ici, c’est véritablement le lien cavalier / cheval qui est mis en avant, en exergue.
Tolkien, lui aussi, mobilise l’image des chevaux, en l’occurrence, les Mearas. Ces chevaux sont exceptionnels, à la fois par leur longévité, par leur rapidité et par leur endurance. Amenés de l’Ouest, ils ne sont en général montés que par les Rois de la Marche. Gripoil est le premier à déroger de cette loi, pour devenir le cheval de Gandalf. Mais il n’y a pas que Gripoil : 13 autres chevaux sont également désignés par leur nom dans l’ensemble des livres consacrés à la Terre du Milieu. Dans le Seigneur des anneaux, livre 1, les Nazgûl, sur leurs montures noires, sont arrêtés au gué de la Bruinen. Et, symbole, les flots qui les submergent ressemblent à des cavaliers sur leurs montures blanches.
La littérature pour enfants fait également une large part aux chevaux. On peut penser à Black Beauty (Anna Sewell), à l’Étalon noir (Walter Farley), à Mon amie Flicka (Mary O’Hara). Dans la bande dessinée, on peut citer Petit Tonnerre, le cheval de Yakari et Jolly Jumper, le cheval de Lucky Luke… et, naturellement, les Tuniques Bleues.
Enfin, on peut citer des romans dans lesquels apparaissent également des chevaux : Michel Strogoff, de Jules Verne ; Yeruldegger, de Ian Manook ; L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux, de Nicholas Evans.