Excalibur. Durandal. Flamberge. Et tant d’autres ! Comment ne pas être frappés de constater que des épées font encore partie de notre « environnement culturel », alors même que ces objets ne font plus partie de notre quotidien – enfin, je ne sais pas pour vous, mais, en ce qui nous concerne, pas le début du commencement d’une épée à la maison – ? Et, plus encore, d’observer que ce n’est pas propre à l’Europe, mais touche la totalité des continents et des cultures, pratiquement sans exception.
Les premières épées apparaissent à l’âge de bronze. On aurait pu imaginer des épées avec des lames en cuivre, mais la rareté de ce métal à l’état natif explique sans doute qu’on l’ait employé essentiellement pour des objets de taille plus réduite (couteaux, lame de haches, alènes, épingles… L’épée, avec sa lame d’au moins trente centimètres de long, n’était pas encore d’actualité !
À l’âge du bronze, donc, puis à l’âge du fer, l’épée gagne progressivement. Mais, complexe et coûteuse à produire, difficile à maîtriser, elle conquiert très vite un statut aristocratique. Et, tout aussi rapidement, elle devient symbole. L’épée elle-même est un symbole militaire, alors que le glaive – et le sabre dans la culture musulmane – désignent plutôt la justice.
Sur le champ de bataille, elle gagne progressivement sa place ; pendant l’Antiquité, même si elle est encore dominée par différentes formes de couteaux longs, comme les scramasaxes (que certains sont tentés d’appeler « épée courte », mais qui n’appartient pas, stricto sensu, au groupe des épées). C’est au Moyen Âge que l’épée s’impose définitivement.
Les techniques de fabrication s’améliorent. On voit alors apparaître de véritables centres spécialisés, autour de savoir-faire jalousement gardés – ce qui n’empêche pas l’espionnage industriel avant l’heure ! -, à Tolède, Damas, puis, plus tard, à Solingen ou Klingenthal… Ainsi, à Solingen, il est de notoriété publique qu’un artisan qui partait « vendre » les secrets de fabrication prenait le risque de graves sanctions, y compris contre les membres de sa famille, mais cela n’en a pas empêché quelques-uns d’aller participer au développement du site de Klingenthal…
Puis, avec le développement de nouvelles technologies, et notamment des armes à feu, l’épée perd progressivement sa place sur le champ de bataille. Et cela se traduit à la fois par une évolution de l’armement du soldat, mais aussi de la tactique militaire, ainsi que de la conception des fortifications. Cette évolution se déroule tout au long de l’époque moderne – autrement dit, entre 1492 et 1789 -. À partir du XIXe siècle, l’épée n’est plus qu’un symbole, avant de revenir sous sa forme sportive.
Ainsi, ce qui est extrêmement frappant, c’est que, finalement, l’épée, qui a surtout été l’arme du Moyen Âge, a toujours été nimbée d’une aura particulière. Prestige, pouvoir, justice, l’épée incarne tout cela, dans le monde matériel, mais également dans la sphère spirituelle. Ainsi, les chevaliers de la Table Ronde méritent leur épée autant parce qu’ils luttent pour la veuve et l’orphelin, mais également parce qu’ils se battent – parfois avec succès ! – contre leurs propres faiblesses, traquant les illusions mauvaises. On se rappellera ici qu’avant d’être adoubé, un aspirant chevalier passe une nuit de méditation, de purification, soulignant que le combat est au moins autant intérieur que sur le champ de bataille. On retrouve cette idée de lutte contre les illusions dans la tradition indienne et extrême-orientale – l’épée de Vishnu, flamboyante, incarne la connaissance.
Une autre figure moins courante, mais néanmoins répétitive est celle de l’épée « gardienne » de la chasteté que le chevalier place entre lui et la femme dont il partage la couche. Ainsi, Tristan et Iseut, mais aussi Sigurd et Brynhild – dans la Volsunga-Saga scandinave -, dans certaines versions de la légende allemande de Wolfdietrich, ainsi que dans les Mille et une nuits – Seyf-el-Moulouk, ayant libéré la princesse Badiath-el-Jamal, l’emmène sur un radeau, mais prend soin de placer une épée nue entre eux -.
Dernier point remarquable : le nombre des épées, réelles ou légendaires, est impressionnant. Alors que l’on ne connait en général que quelques exemples pour les autres armes – et, souvent, d’une notoriété moindre : citez donc, rapidement, quelques exemples d’arcs, de lances et de haches légendaires ! Il en existe, mais en nombre bien moins important… -, les épées dont le nom ou la réputation ont traversé le temps se comptent par dizaines.
On peut ainsi citer les neuf épées de Mahomet ; dans la Chanson de Roland, de nombreuses épées célèbres sont nommées, à commencer par Durandal (Roland), Joyeuse (Charlemagne), Hauteclaire (Olivier), Almace (Turpin), Murgleis (Ganelon), Précieuse (Baligant) ; les épées du Cid, Tizona et Colada ; Excalibur, mais aussi Caladin (Gauvain), Arondie (Lancelot) ; Balmung et Gram, épées de Siegfried, selon les versions…
L’épée dans nos lectures
On ne peut pas ne pas rappeler ici, même si cela a déjà été fait plus haut, que pratiquement chaque personnage de la Chanson de Roland est en possession d’une épée remarquable, Durandal, naturellement, tenant le haut du pavé en la matière.
À l’occasion de quelques recherches, un fait oublié est remonté à la surface. Dans les Trois mousquetaires, Alexandre Dumas indique le nom d’une épée. Quelqu’un s’en souvient-il et en connaitrait-il le nom ? Un petit indice, il s’agit de l’épée de Porthos… (la réponse est donnée en bas de page, pour ceux qui voudraient y réfléchir un peu !)
C’est peu de dire que, dans le champ du médiéval fantastique, on n’a que l’embarras du choix en terme d’épées… Pratiquement tous les personnages en portent, en croisent, en volent, en rêvent, en découvrent… Qu’elles soient l’objet d’une quête, qu’elles fassent partie d’un trésor – vous savez, le coffre sur lequel vous mettez enfin la main après avoir tué tous les monstres dans le souterrain -, qu’elles soient la marque du pouvoir.
On peut penser d’abord à toutes les reprises et réécritures des légendes arthuriennes, dans lesquelles on retrouve, a minima, Excalibur. Signalons ici la version de Mary Stewart, Le roi de lumière, celle de Guy Gavriel Kay, avec La tapisserie de Fionavar, et le cycle de Pendragon, de Stephen R. Lawhead. Et, dans un tout autre style – mais avec quel style ! -, Merlin, la bande dessinée commise par Joann Sfar et José Luis Munuera, absolument irrésistible !
Mais il serait tout aussi impossible de ne pas rappeler que Tolkien, dans le Seigneur des anneaux, reste fidèle aux traditions. Les épées magiques ne manquent pas dans la mythologie nordique, et on en retrouve ici. Angrist, qui, au Premier Âge, permet de retirer un silmaril de la couronne de Morgoth, mais, surtout, Narsil. Rappelons que Narsil est, au siège de Barad-Dur, entre les mains d’Elendil, qui combat Sauron. Ce dernier l’emporte, tue Elendil et brise Narsil. Le fils d’Elendil, Isildur, s’empare de l’un des tronçons, et coupe le doigt de Sauron, précisément le doigt qui portait l’Anneau unique. Désormais connue comme « l’épée brisée », Narsil est conservée par les elfes de Fondcombe, qui finiront par la reforger, au Troisième Âge, et la remettront entre les mains d’Aragorn, descendant d’Isildur, qui la renomme Anduril, « la flamme de l’Ouest ». Et il ne faudrait pas oublier, dans l’oeuvre de Tolkien, Glamdring, l’épée de Gandalf, Dard, l’épée trouvée par Bilbo dans Bilbo le hobbit, qu’il transmettra ensuite à Frodo, ou encore Orcrist, découverte par Thorin Écu-de-chêne…
On peut également citer le cycle L’arcane des épées, de Tad Williams, qui met en scène, dans les huit volumes de la version française, trois épées magiques, Peine, Épine et Minneyar (Clou-Radieux).
Dans le Trône de fer, Georges R. R. Martin sacrifie également à cette tradition, avec Glace, l’épée de Eddard Starck, Aiguille, celle d’Arya Starck, et Grand-griffe, l’épée de Jeor Mormont qui échoit finalement à Jon Snow. Robert Jordan, dans le cycle de La roue du temps, met en scène Callandor, une épée de cristal, et une épée marquée du héron, trouvée par Rand al’Thor. David Eddings, pour sa part, place entre les mains de Torak Cthrek Goru, dans la Belgariade. R. A. Salvatore n’est pas en reste : dans le cycle des Royaumes oubliés, Drizzt Do’Urden utilise deux cimeterres, Icingdeath et Twinkle. Chez Régis Goddyn également, dans Le sang des 7 rois, on trouve une épée, celle de Kradath…
Enfin, du côté des romans plus ados / young adult, on peut penser à Clarence, l’épée du traître, dans Les secrets de l’immortel Nicolas Flamel, de Michael Scott. Christopher Paolini, dans le Cycle de l’héritage, attribue Brisingr à Eragorn, Naeglig à Oromis, Unbitr à Brom et Zar’roc à Morzan.
On ne peut pas non plus oublier que dans la saga Harry Potter, l’épée de Godric Gryffondor permet à Albus Dumbledore, à Ron Weasley et Neville Londubat de détruire trois horcruxes, respectivement la bague des Gaunt, le médaillon de Salazar Serpentard et Nagini, le serpent…
Et vous, avez-vous en tête des épées magiques, renommée, dans d’autres livres ?
Note : l’épée de Porthos s’appelle… Balizarde !