Bandes dessinées, Historiques, Roman graphique

Octobre 17

Chronique d’Octobre 17, de Patrick Rotman et Benoît Blary.

« Nous ne devons rien attendre de ce gouvernement de la bourgeoisie, incapable de faire la réforme agraire et d’arrêter cette guerre impérialiste. Nous ne devons avoir qu’un seul mot d’ordre : tout le pouvoir aux soviets qui se dressent dans tout le pays ! »

Patrick Rotman et Benoît Blary, Octobre 17, Seuil-Delcourt, 2017, p. 28.

Motivations initiales

« Octobre 17 a fracassé l’histoire » : cette citation de l’auteur du scénario le dit suffisamment clairement. Le XXe siècle a connu deux points de ruptures, dont celui d’octobre 1917. Un basculement qui ne peut pas ne pas intriguer, par la rapidité avec laquelle tout un pays se donne à des bolcheviks qui, huit mois plus tôt, sont fortement minoritaires. Et si la date nous est connue, les événements de ces quelques semaines restent, pour beaucoup d’entre nous, largement méconnus. Cela suffit évidemment à éveiller la curiosité de tout lecteur curieux d’Histoire… une curiosité largement partagée, chez Ô Grimoire…

Synopsis

Pendant toute la première moitié du XIXe siècle, la Russie est dirigée d’une main de fer par l’empereur Nicolas Ier, qui étouffe toute contestation. Son successeur, Alexandre II, engage de grandes réformes libérales, et notamment l’abolition du servage. Mais il en est bien mal récompensé, car les opposants, maintenus sous le boisseau jusque-là, donnent de la voix, alors que plusieurs mouvements révolutionnaires s’organisent en Russie. La fin du siècle voit le recours de plus en plus fréquent au « terrorisme individuel », dont Alexandre II sera l’une des victimes.

Dans ce contexte, à l’occasion d’un congrès clandestin réuni à Minsk, est créé le Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR), alors que le futur Lénine est en exil en Sibérie. En 1903, une scission voit d’un côté s’organiser la faction bolchevique, alors majoritaire au sein du POSDR, de l’autre les mencheviks. La première tentative révolutionnaire, en 1905, échoue, et les leaders sont déportés en Sibérie (Staline, Kamenev…) ou exilés (Lénine, en Suisse puis à Paris ; Trotski, à Vienne ; Zinoviev…).

En 1914, la Russie, engagée par des traités qui la lie à la France, entre dans la guerre. Mais la famine, le refus de se battre pour des alliés lointains font de nouveau monter la contestation. En février 1917, de grandes grèves sont lancées et le tsar abdique le 2 mars, laissant la place à un gouvernement provisoire, composés de membres de partis modérés, « bourgeois ». Les bolcheviks, très minoritaires, jouent le compromis. Mais bientôt, Lénine revient d’exil : dès son arrivée, le 3 avril, il annonce la couleur, il ne veut pas s’en tenir là…

Avis

Ce roman graphique nous raconte ces semaines incroyables qui, du 3 avril au 25 octobre, vont voir le mouvement de bascule complet de la Russie, qui, dans la même année, passe du tsarisme au bolchevisme, avec un bref passage par un gouvernement provisoire qui rêvait d’installer une monarchie parlementaire. On y découvre comment les bolcheviks, fortement minoritaires en février, finissent par s’emparer du pouvoir en octobre, un pouvoir que, nous le savons, ils ne lâcheront pas de sitôt !

C’est le roman de l’habileté politique, de la manipulation, et, peut-être, d’une des premières utilisations massives de la presse pour faire passer des messages, qui tiennent en deux slogans : « Tout le pouvoir aux soviets », et « Le pain, la paix ». Lénine et Trotski, qui n’a pas créé La Pravda pour rien, alors qu’il était en exil à Vienne, comprennent rapidement que ces slogans, qui ont fait descendre des centaines de milliers de russes dans les rues, sont aussi ceux qui pourraient les porter au pouvoir.

On croise aussi, au fil des pages, Maïakovski et sa muse, Lili Brik – sœur d’Elsa Triolet – dont la poésie accompagne la révolution ; Alexandra Kollontaï, militante marxiste féministe, qui sera la première femme de l’époque contemporaine à être nommée ministre, d’abord, puis ambassadrice.

On voit aussi, au fil des pages, se mettre en place, dès ces premières semaines, tous les ressorts de ce qui va tourner à la dantesque lutte pour le pouvoir entre tous ces acteurs, et qui verra, à partir de la mort de Lénine, en 1924, Staline éliminer systématiquement tous ses rivaux, pour régner sur le Kremlin jusqu’à sa mort, en 1953.

L’intelligence politique transpire à toutes les pages. Alexandra Kollontaï, par exemple, à l’occasion d’une réunion des principaux leaders bolcheviks, souligne l’un des ressorts de leur incroyable succès. « Tous les partis sont pour la guerre. Notre parti doit être le parti de la paix », dit-elle (p. 21).

Le 4 juillet 1917, un premier coup de chaud agite Petrograd. Mais c’est encore trop tôt, et Lénine le dit : « Nous ne pouvons pas être contre les masses. Nous ne pouvons pas être vraiment avec. Il est essentiel que les soldats, les marins, les ouvriers aient le sentiment que notre parti est avec eux. Mais si le coup de force échoue, nous ne devons pas être impliqués » (p. 41). Plus manipulateur, on ne peut pas. Et en effet, c’est un nouvel échec, les bolcheviks sont déclarés hors la loi, certains ont le temps de se cacher à nouveau, d’autres sont jetés en prison. Mais, comme un coup du sort, le général Kornilov, nouveau commandant en chef des armées russes, veut en finir avec la révolution, et attaque Petrograd, amenant le gouvernement provisoire à libérer Trotski pour mobiliser les troupes – une stratégie à courte vue, on le comprend aisément, puisque c’est le même Trotski qui, dans les semaines qui suivent, met au point le plan qui va assurer définitivement aux bolcheviks la prise du pouvoir -.

Ces événements, les connaissiez-vous ? C’est passionnant, de voir ainsi s’assembler pièce après pièce ce qui va constituer l’URSS, aux dépends des hommes de ce pays. Les dessins sont faits de telle manière à ce que l’on reconnaisse assez facilement les différents protagonistes. Bref, si une petite escapade à Petrograd vous intéresse, c’est par ici !

Pour en savoir plus

Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

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