Bandes dessinées, Historiques

Chiens Bleus, Chiens Gris

Chronique de Chiens Bleus, Chiens Gris, de Jean-Luc Régeard et Leyho.

« – Pfff ! Y vont nous faire creuser comme ça jusqu’à Berlin !? Moi j’suis pas v’nu ici pour jouer les tapues, la nuit en plus ! C’que j’veux, c’est buter des boches ! Autant que j’pourrai, pour venger mon frangin !

– T’inquiète la bleusaille, t’en verras bien assez tôt des boches, même que tu s’ras p’têt mort avant d’en avoir vu la queue d’un, tellement qu’on prend sur la gueule en première ligne ! »

Jean-Luc Régeard et Leyho, Chiens Bleus, Chiens Gris, Locus Solus, 2019, p. 28.

Motivations initiales

Une bande dessinée avec un soldat, visiblement consacrée à la Première Guerre mondiale, il n’en faut pas plus pour que, si le résumé est un tant soit peu stimulant, l’album se retrouve dans notre petit panier, puis dans notre PAL – non, en fait, nous n’allons pas à la librairie avec un panier, mais bon… vous voyez l’idée ! Et c’est donc ce qui s’est produit avec celui-ci.

Synopsis

Dans cet album, trois fils historiques nous sont proposés.

On suit, d’un côté, Francis Régeard. Instituteur à Paris, mais originaire de Bécherel, en Ille-et-Vilaine, il fait son service militaire à Rennes quand éclate ce qui va devenir la Première Guerre mondiale. Comme beaucoup, il pense que c’est l’affaire de quelques mois, voire de semaines, et qu’ils vont rapidement leur faire leur affaire, aux allemands ! Avec Mimile, camarade de régiment, les voilà en route vers la Champagne, avec d’autres jeunes gens. Là, ils se retrouvent d’abord à avancer, puis reculer, au gré d’une tactique peu lisible, du moins depuis leur poste d’observation. Et puis ce sont les premières échauffourées. Début 1915, direction l’Argonne ; Francis est sergent, et, désormais, la guerre se déroule dans les tranchées, en première ligne. Et Mimile y reste, alors que Francis est blessé. Direction l’hôpital militaire, à Toulouse, puis un dépôt militaire à Douarnenez, le temps de la convalescence. À Douarnenez, Francis rencontre Suzanne, la fille d’un gros négociant, ils sont amoureux, la guerre parait si loin… mais bientôt il faut repartir, direction la Marne… Cette partie de l’histoire, on la découvre grâce au carnet de Francis, retrouvé sur son cadavre.

Deuxième ligne narrative, en 1921. Francis est mort au front. Et son corps va être rapatrié à Bécherel. C’est sa sœur, Henriette, qui a mené les démarches, qui a reconnu le corps, et qui a récupéré le carnet. Henriette, elle est triste, mais elle est aussi en colère. En colère contre ceux qui ont jeté en pâture les jeunes hommes comme son frère. En colère, aussi, contre les politiciens qui tentent, plus ou moins adroitement, de récupérer l’histoire…

Et puis, troisième fil que l’on tire, aujourd’hui, une descendante de la famille, qui nettoie les tombes avec Zakaria, un étudiant à qui elle loue une chambre. Et qui va lui raconter l’histoire de Francis, et celle d’Henriette.

Naturellement, la colonne vertébrale de l’album, c’est l’histoire de Francis, la façon dont, au fil du temps, il évolue, comment, parti pour quelques semaines, il rencontre l’amour avant de le perdre, et avec, l’amour, comment il perd l’espoir puis la vie…

Avis

Signalons d’abord que cette bande dessinée a suivi un chemin qui n’est pas si commun. Inspiré par l’histoire familiale de l’auteur – peut-être ne l’avez vous pas noté au passage, mais l’auteur s’appelle Jean-Luc Régeard, et le personnage central Francis Régeard. De plus, il est précisé à la fin que cet album est en fait le fruit d’une collaboration père-fils, puisque le dessinateur-illustrateur, Leyho, s’appelle de son vrai nom Léo Régeard… La première édition se fait en auto-édition, en 2018, grâce à un financement participatif au travers de la plateforme Ulule. Ce n’est qu’à l’occasion de la deuxième édition qu’un éditeur est entré dans la boucle, en l’occurrence Locus Solus, maison d’édition indépendante installée en Bretagne.

Eh bien, merci à cet éditeur. En effet, ainsi que l’avaient souligné certains des participants à la souscription sur Ulule, cet album assure un véritable travail de mémoire.

Sa construction « en poupées russes », chaque fil narratif étant, de fait, imbriqué dans celui qui le suit chronologiquement, permet d’aborder, parfois sans détailler, beaucoup de sujets. Ainsi, l’intervention, même si elle est à la marge, de Zakaria, musulman d’origine marocaine, fait évidemment sens quand on évoque ce conflit et ses conséquences. L’idée, également, de cette sœur, Henriette, qui, en 1921, fait resurgir le dossier : non seulement cela semble être en ligne avec la réalité historique, mais cela permet également de créer une mise en abimes intéressante sur la façon dont ces événements ont finalement été intégrés au « roman national ».

Et puis, il y a ce parcours de vie, celui de Francis. Rien ne le destinait à mourir dans une tranchée de la Marne. Il se destinait à l’enseignement. Mais l’époque en a décidé autrement. Il aurait pu ne jamais rencontrer Suzanne, et ne jamais être confronté au « rejet de classe » qu’il subit de la part du père de la jeune fille, qui fait tout pour les séparer…

C’est intelligent, c’est un bon rappel des drames que provoquent l’exclusion et la guerre.

Alors, êtes-vous prêts à venir rencontrer Francis, et à suivre ses pérégrinations ?

Pour en savoir plus

Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

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