Chronique de Intime décision, de Patrick Hamon.
« Cette lutte m’a tenu lieu de moteur pour continuer à vivre sans notre unique fille. J’ai entendu à la radio qu’une femme policier avait retrouvé et éliminé le bourreau de nos enfants et quelqu’un m’a dit que c’était vous. Je dois vous dire, au nom de tous les enfants et de tous les parents que porte cette terre, un grand merci pour les avoir sauvés. »
Patrick Hamon, Intime décision, Atlande, 2025, p. 248.
Motivations initiales
Sur mon lieu de travail, les échanges de livres sont presque devenus un rituel. On se passe des titres comme on partage des confidences. Alors, lorsque l’historien spécialiste de Napoléon de la Fondation me recommande l’un de ses coups de cœur, je n’hésite jamais. Intime décision m’est ainsi arrivé entre les mains, auréolé de l’enthousiasme de quelqu’un qui sait reconnaître un récit solide, documenté, ancré dans le réel. Je savais que je ne tarderai pas à l’ouvrir.
Synopsis
Laure, capitaine à la brigade criminelle, vient à peine de prendre ses marques dans les locaux du 36 rue du Bastion, nouvelle adresse de la PJ. À ses côtés, Besnard, son chef bientôt retraité, cultive une nostalgie tenace pour l’ancien 36 quai des Orfèvres, comme si la mémoire des lieux pouvait encore guider les enquêtes. Tous deux partagent un même sérieux, une même droiture, et surtout une même détermination face à des crimes qui ne cessent de gagner en sauvagerie : agressions gratuites, mutilations, tortures, viols collectifs. La noirceur semble se répandre plus vite qu’ils ne peuvent la contenir.
Lors d’un trajet banal, Laure croise Lucas, un ancien collègue qui avait quitté la PJ après avoir passé à tabac un meurtrier. L’homme porte désormais une conviction inébranlable : lorsqu’un système judiciaire échoue, il faut parfois s’y substituer. Et il met sa théorie en pratique. Lucas abat un multirécidiviste connu pour ses attaques au marteau, un prédateur que Laure tentait désespérément de faire tomber. Cette mort résonne en elle comme un soulagement inavouable. Mais elle sait que ce geste les place tous deux sur une ligne dangereusement poreuse entre justice et vengeance.
Dès lors, Laure vacille. Doit-elle dénoncer Lucas, révéler qu’un ancien flic se transforme en exécuteur ? Ou céder à l’idée qu’une justice plus expéditive pourrait, parfois, sauver des vies ? Elle avance dans un territoire moral gris où chaque choix semble l’éloigner un peu plus d’elle-même, et où la vendetta menace de devenir une pente glissante que l’on ne remonte pas.
Avis
Patrick Hamon plonge son lecteur au cœur d’une zone de turbulences psychologiques où s’entrechoquent devoir, empathie, rage et impuissance. Ce roman ne s’inscrit pas dans la tradition du whodunnit : l’identité du coupable importe moins que la manière dont un être humain doté d’une sensibilité “normale” parvient – ou échoue – à se tenir debout face à l’inhumain. L’enjeu n’est pas de démasquer un assassin, mais d’observer ce que le contact répété avec la violence provoque chez ceux qui ont pour mission de la combattre.
La force du texte réside dans sa précision. Hamon, qui connaît intimement les rouages de la machine policière, écrit avec une acuité presque chirurgicale. Il expose les doutes, les déviations possibles, les mécanismes d’autoprotection, mais aussi le risque constant d’un glissement vers une justice personnelle qui n’a plus rien à voir avec la loi. Chaque scène est tendue, habitée, immergée dans une réalité dont on sent le poids.
Laure est profondément humaine. Elle incarne ce tiraillement que l’auteur met au centre du roman : comment continuer à faire confiance à un système qui semble perdre en efficacité, tout en refusant la tentation d’endosser soi-même le rôle de juge et bourreau ? Sa lutte intérieure est saisissante. On ressent sa fatigue, sa colère, son empathie, mais aussi cette inquiétante facilité avec laquelle une frontière peut se brouiller.
Ce qui frappe le plus, toutefois, c’est cette impression d’immersion totale. J’ai eu le sentiment de rejoindre la Brigade criminelle, de marcher dans ces couloirs où les dossiers s’empilent, de sentir monter la tension lorsque l’horreur s’invite encore et encore. Intime décision est un roman noir, âpre, dense, mais d’une justesse rare. Il interroge sans relâche ce que nous attendons réellement de la justice, et ce que nous sommes prêts à tolérer ou à sacrifier pour qu’elle fonctionne.
Une lecture qui bouscule et qui va probablement me marquer pour longtemps…
Pour en savoir plus
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