« Lorsque le bousier bouge, lui avait dit Hosteen Nashibitti, sache que quelque chose le fait bouger. Et sache que son mouvement affecte le vol du moineau, que le corbeau oblige l’aigle à modifier son vol, que l’aile rigide de l’aigle infléchit la volonté du Peuple du Vent, et sache que tout cela nous affecte toi et moi, ainsi que la puce sur le chien de prairie et la feuille du peuplier. »
Tony Hillerman, Là où dansent les morts, Éditions Rivages, 1994 (20e édition), p. 82.
Motivations initiales
Quand vous avez déjà un faible pour la collection Rivages/Noir, que la couverture vous attire l’œil, que le résumé est énigmatique, à un moment ou à un autre, vous plongez. Et comme en plus vous avez noté au passage que le roman en question a reçu le prix Edgar Allan Poe du roman en 1974, vous vous dites que vous ne prenez pas un gros risque…
Synopsis
Joe Leaphorn est lieutenant de police, shérif adjoint du comté McKinley, dans l’État américain du Nouveau-Mexique. Il est également Navajo, un peuple amérindien proche des apaches. Le livre commence avec la disparition de deux garçons, un Zuñi (un autre peuple indien), et un Navajo. On a retrouvé la bicyclette du premier, et une mare de sang. Les deux étaient dans la même classe, et étaient amis. Le Navajo, lui, revient à l’école le lendemain matin, mais s’absente dans la matinée et disparait.
Bientôt, le corps d’Ernesto Cata, le Zuñi, est retrouvé. Pour compliquer un peu les choses, le jeune Zuñi était aussi celui qui devait incarner le Dieu du Feu lors des cérémonies de l’année. Et, surtout, le fait que les deux peuples indiens soient concernés se traduit par une rivalité entre services de police, ou, en tout cas, par un problème de juridiction.
Cette enquête est la première traduite en français (en 1986) dans laquelle apparait Joe Leaphorn, membre de la police tribale navajo, auquel Tony Hillerman a consacré une trilogie, qui se poursuit par douze autres enquêtes qui voient Joe Leaphorn travailler avec Jim Chee. Si l’on veut prendre l’ordre chronologique, il faudrait cependant commencer par un autre livre, La voie de l’ennemi.
Avis
> L’avis de T
Les enquêtes de Tony Hillerman sont bien ficelées, d’une trame assez classique. Mais ce qui fait leur intérêt majeur, c’est qu’elles ont aussi une dimension ethnologique, permettant de découvrir la culture des peuples indiens présents au Nouveau-Mexique, navajo, hopie, zuñie, notamment, avec, dans le décor, les mystères anasazis.
Les cérémonies et les coutumes de ces peuples sont fortement présentes et détaillées, en insistant notamment sur la dimension orale de leur culture, sur la place du chant dans les cérémonies, sur la façon dont la mort est perçue. Naturellement, les ravages liées à l’alcool, dans les populations parquées dans des zones « réservées » sont abordés, ainsi que les problèmes récurrents liés à l’intérêt porté par les entreprises aux réserves présentes dans certains sous-sols. On y retrouve également la dimension sacrée donnée par ces peuples aux montagnes, et on y découvre (en tout cas, ce fut mon cas) les « peintures » de sable, acte chamanique sacré destiné à obtenir une guérison. Cette dimension anthropologique, on peut la retrouver, pour les peuples crow et cheyenne, chez Craig Johnson, dans sa série mettant en scène le shérif Walt Longmire, qu’il faudra également traiter ici…
Les enquêtes de Tony Hillerman ne sont jamais menées tambour battant. Il faut savoir attendre, faire preuve de patience, et, surtout, accepter de se plier à des traditions qui nous sont inconnues. Comme le montre la citation donnée au début de cette chronique, il faut savoir décrypter, par delà l’agitation du monde, les vrais ressorts de l’existence… comme les mouvements des bousiers ! Mais le jeu en vaut vraiment la chandelle.
Alors, si vous voulez en découvrir davantage sur les amérindiens – j’avoue, mes uniques connaissances venaient, avant de lire Hillerman, de westerns dont la précision ethnologique est, pour le dire gentiment, inégale -, pas d’hésitation : rendez-vous dans votre librairie préférée, rayon des policiers, et demandez Là où dansent les morts (et Little Bird, de Craig Johnson, chronique à venir) !