Fabien Cerutti avait accepté, voilà plusieurs semaines, de se livrer à l’exercice de l’interview. Mais, plongé qu’il était dans le 4e opus des aventures du Bâtard de Kosigan, il n’avait pas encore eu le temps d’y consacrer le temps nécessaire, mais c’est désormais chose faite, et nous l’en remercions encore !

Chiffres
• Naissance : 29 mars 1339, en Champagne
• Agrégation d’histoire : juillet 1895
• Création de scénarios du Bâtard de Kosigan pour Neverwinter Night I : 2003-2008
• Bande dessinée avortée : 2009
• Traduction anglaise des modules : 2005-2014
• Parution du premier roman sur le Bâtard de Kosigan: février 2014
• Parution du tome 4, volume final du premier cycle : mai 2018
Mots
1) Vous êtes professeur agrégé d’histoire, avec, visiblement, un certain goût pour l’époque médiévale. Cela remonte à l’enfance, et à la lecture de romans de chevalerie, à vos études et au travail sur les sources historiques, ou à autre chose encore ?
À tout cela, mais aussi au fait que j’ai eu, dès le CM1, une maîtresse géniale passionnée d’histoire, nommée Mme Chevalier ; dont le travail de sape a été complété en 5e par un professeur de la même matière du nom de M. Perceval…
2) Que trouvez-vous de particulier à cette période ? Quelles sont vos références (historiques) et les auteurs qui vous inspirent dans ce genre (s’il y en a) ?
C’est l’époque parfaite pour mon imaginaire: lorsque les frontières qui séparaient le réel, le magique et le religieux étaient les plus ténues. Quant aux références, côté professionnel je dirais Colette Beaune, dont les cours sur la vie quotidienne au Moyen Âge étaient passionnants ; et côté loisir, Les Rois maudits et Le Trône de fer.
3) Vous avez, avant d’attaquer la rédaction de ce roman, travaillé dans le domaine du jeu vidéo, en écrivant plusieurs aventures pour Neverwinter Nights. En quoi l’écriture pour le jeu vidéo et pour un roman sont-elles différentes ? Avez-vous repris une partie des trames imaginées pour le jeu ?
Chaque support, chaque media, implique une manière différente de raconter les histoires. Dans un roman, pas question qu’un personnage vous livre trop d’informations à la fois ou vous confie 3 ou 4 missions différentes comme on peut le trouver dans un jeu informatique. De même, pas de choix multiples. Ce dernier point a été une vraie calamité pour moi qui adorais confronter les joueurs à des décisions terribles dont les répercussions courraient parfois d’un scénario sur l’autre et pouvaient complètement bouleverser leur destin.
En revanche, un roman va se révéler beaucoup plus riche dans son contenu, il permet de raconter une seule histoire, mais de la peaufiner, de jouer sur le suspense, de creuser les personnages, leur personnalité, de doser les révélations progressives etc.
En ce qui concerne les trames, le tome 1 des roman était entièrement inédit ; le tome 2 correspond au module Les Lions diffamés, et les tomes 3 et 4, à Exil à l’est. Évidemment aucun des scénarios pour Neverwinter Night ne comportait d’aventure au XIXe siècle.
4) Dans la série, vous menez une double intrigue en parallèle, celle du Bâtard de Kosigan, au Moyen Âge, et celle de son descendant, Mickaël Konnigan, au tournant du XIXe et du XXe siècle. Pourquoi ce saut dans l’histoire ? Ne craignez-vous pas de perdre certains lecteurs dans ces « sauts temporels » ?
On dirait bien que si, et c’est bien dommage car ce saut temporel est nécessaire à l’intrigue et à son extension tout au long des 4 tomes de la quadrilogie. Évidemment pour en découvrir l’intérêt, il est nécessaire de lire la série jusqu’au bout :-).
À la fin du premier tome, l’intrigue du XIXe siècle n’en est qu’à sa phase d’exposition, elle sert juste à mettre en valeur la partie médiévale et à faire germer l’idée que tout cela a peut-être réellement existé. Dans le tome 2, on commence à faire des découvertes plus importantes, mais le XIXe reste encore secondaire, en revanche dans le 3° et le 4° épisode on découvre qu’il représente le cœur de toute cette histoire/manipulation, il y a de l’action, des personnages de plus en plus attachants et des révélations à la fois cohérentes et vertigineuses. C’est un peu le clou du spectacle de ce premier cycle (même si le Bâtard continue à se tailler la part du lion, comme à son habitude) .
Il s’agit d’une uchronie basée sur le préalable suivant : et si la magie et les races anciennes avaient véritablement existé ? Si le monde que décrit le Bâtard de Kosigan était réellement le nôtre ?
Encore une fois, il faut lire jusqu’au bout pour avoir un véritable avis sur l’histoire du XIXe (et du XXe) siècle :-).
5) Cette double intrigue renvoie à des questionnements de l’ordre de la mémoire, de la transmission (ou non), des différences pouvant exister entre les faits, ce que l’histoire en retient, et l’histoire officielle – pour ne pas évoquer le roman national et ses débats –, ce qui rappelle un petit peu la trame et la thématique de Tigane, de Guy Gavriel Kay. Bref, des questions centrales dans votre discipline. Quelle est votre position sur ces sujets ?
Je ne suis ni pour, ni contre, bien au contraire :-).
Plus sérieusement, une chose est certaine, c’est que rien ne l’est… La « vérité » (historique, politique, financière, sociale, etc.) est, et a toujours été, subjective. Elle est souvent déformée par les vainqueurs des guerres ou les hommes de pouvoir, a minima elle peut être lue selon un prisme dont la géométrie varie en fonction des pays, des religions et des cultures.
Pour faire face aux risques contemporains de tout cela, il me paraîtrait nécessaire de former nos sociétés modernes à un jugement critique, tant sur l’histoire que sur la « communication », qu’elle soit d’état, « publicitaire », « d’opposition », « politiquement correcte », ou « politiquement incorrecte »…
Tous les éléments qui sont utilisés pour manipuler les masses s’appuient sur des faits/facteurs apparemment bien réels auxquels on ajoute du fantasme et de l’information déformée/exagérée/modelée/tronquée.
Avoir du recul, savoir raison garder, ne pas juger à l’emporte pièce, réfléchir par soi-même, tout cela serait nécessaire si l’on ne souhaite pas que les violences de l’histoire se répètent.
Je crains malheureusement que l’on ait pas encore atteint ce stade :-).
6) Longtemps, la fantasy a été, en France, considérée comme un sous-genre, contrairement à ce qui se passait en Grande-Bretagne, notamment (Tolkien, C. S. Lewis…). Comment voyez-vous l’évolution qui s’est produite (ou non) ces dernières années de ce point de vue ?
Selon moi, les choses n’ont pas tellement changé. Malheureusement. Il est vrai que la série télévisée Game of Throne ou les films tirés de l’œuvre de Tolkien ont su drainer le grand public vers la fantasy, mais ils n’ont pas réellement su l’entraîner à s’intéresser davantage aux œuvres littéraires françaises de ce genre. L’image dans les grands médias littéraires (magazines de presse écrite, télévisés ou radios) n’a guère changé, il n’est qu’à voir certaines personnes de ma famille qui me demandent, au vu de la manière dont j’écris, si une fois que j’aurai terminé ma série, je compte faire de vrais livres…
Les films du Seigneur des anneaux, le Hobbit et plus encore, dans un autre genre, Harry Potter, ont paradoxalement eu un effet affreusement pervers : ils ont contribué à coller encore plus qu’avant à la fantasy une étiquette enfantine ou au mieux adolescente. Elle n’avait vraiment pas besoin de ça… Déjà que le mot fantasy en lui même est affreux, il fait gamin, kitch, et arc en ciel en même temps… Il faudrait à tout prix en utiliser un autre, et j’adjure quiconque lira ces lignes de parler dès qu’il le peut de « médiéval fantastique » (je sais que ça ne correspond pas à TOUS les roman de fantasy, mais c’est à mon sens un crime/suicide de continuer à utiliser ce terme). On peut également parler de « littérature imaginaire », de façon plus générale, c’est bien aussi.
7) Parmi les races anciennes, celles qui ont disparu et que l’on a voulu effacer de la mémoire, lesquelles sont vos préférées ? Et avez-vous, dans vos veines, un peu de leur sang qui coule ? Est-ce une part de votre combat ?
Mon sang à moi serait plus ancien, et je vous invite à lire le tome 4 ( à paraître en mai 2018) pour en savoir davantage :-) .
8) Savez-vous déjà combien de tomes la série du Bâtard de Kosigan comptera ? Et, du coup, pensez-vous déjà à une autre série, d’autres personnages ?
4 tomes donc dans ce premier cycle, qui comportera fort logiquement 4 histoires : trois au XIVe siècle et une au XIXe qui sert de fil rouge tout au long des romans et qui voit son aboutissement (quasi) définitif à la fin de cette série.
Pour la suite, je vais d’abord respirer un peu car, pour dire la vérité, écrire des romans de cette intensité où tout doit retomber en permanence sur ces pieds et où il faut gérer sans arrêt dans les révélations, ce que les lecteurs peuvent savoir par eux-même, ce qu’ils ont retenu ou ce qu’ils ont oublié, est littéralement éreintant, et j’ai dépassé ma zone rouge depuis plusieurs mois déjà. Donc dans un premier temps du repos!
Ensuite, je compte m’occuper un peu de ce qui a déjà été produit et voir ce qu’il est possible d’imaginer pour cette première série (une adaptation BD ? Une traduction dans telle ou telle langue étrangère ? etc.).
Parallèlement, j’ai l’intention d’écrire quelques nouvelles dans l’univers du Bâtard. Et d’ici quelques années (cela aurait été plus rapide si écrivain avait été mon métier mais puisqu’il semble que cela ne soit pas possible, cela doit rester un loisir et ne plus empiéter sur le reste de ma vie comme cela l’a fait ces dernières années)… d’ici quelques années, donc, je me lancerai dans le second cycle des aventures du Bâtard de Kosigan, presque uniquement médiéval, et peut-être un spin off sur les tribulations de ses descendants au XXe siècle (oups, en aurais-je déjà trop dit ?)…
Des livres
• Le Bâtard de Kosigan – T1 : L’ombre du pouvoir
• Le Bâtard de Kosigan – T2 : Le fou prend le roi
• Le Bâtard de Kosigan – T3 : Le marteau des sorcières
• Le Bâtard de Kosigan – T4 : Le testament d’involution
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