Chronique de Royaume de vent et de colères, de Jean-Laurent Del Socorro.
« – C’est se jeter dans la gueule du loup, comtesse !
– La louve, c’est moi. Et je vais rappeler à ce chien de duc qui est le maître de la maute.
Je demeure interdit quand elle se tourne vers moi en me faisant un clin d’œil.
– Comme je vous sais perdu sans moi, chevalier, je vous autorise à m’accompagner. »
Jean-Laurent Del Socorro, Royaume de vent et de colères, Éditions J’ai Lu, 2017, p. 155.
Motivations initiales
Ce livre avait rejoint notre PAL… et puis il y est resté un moment. Toujours un plus beau, un plus jeune, un plus urgent, un plus séduisant lui faisait de l’ombre. Pourtant, la préface d’Ugo Bellagamba est élogieuse, et puis, tout de même, le Prix Elbakin 2015, ce n’est pas rien. Alors je l’ai ressorti une bonne fois pour toutes !
Synopsis
Le XVIe siècle, en France, est marqué par la montée des antagonismes entre catholiques et protestants, qui aboutissent aux huit guerres de Religion qui ravagent le royaume entre 1562 et 1598. Avec, en 1596, la prise par le roi de France, Henri IV, de la ville de Marseille, âprement disputée entre le duc de Savoie, la Ligue catholique, un temps soutenue par Philippe II d’Espagne, et tombée entre les mains de Charles de Casaulx.
Dans ce contexte, on suit, sur soixante ans – de 1536 à 1596 – les destinées de plusieurs personnages, qui, finalement, se retrouvent tous, au moment décisif, à l’auberge La roue de fortune. On retrouve là Victoire, orpheline élevée par sa grande sœur, devenue cheffe de la guilde des savonniers, qui met à disposition de ceux qui payent des assassins ; Axelle, qui a longtemps vécu dans la peur, devenue mercenaire, jusqu’à prendre la tête de la compagnie du Chariot, avant de reprendre l’auberge La roue de fortune ; Gabriel, chevalier de Saint-Germain, catholique depuis qu’il a abjuré la foi protestante, mais qui, protestant, était le duc Gabriel Nompar de Caumont ; Armand, magicien – Artbonnier -, pourchassé depuis qu’il a fui la commanderie hospitalière de Saliers avec son amant.
Avis
Voilà bien un drôle de roman chorale, raconté à cinq voix, essentiellement, puisqu’aux quatre personnages évoqués précédemment se rajoute Silas, lieutenant de Victoire, et assassin de son état, qui prend parfois la parole.
Les lecteurs peuvent être, d’abord, un peu désarçonnés par une construction – ou, devrais-je dire, une sorte de déconstruction -, qui donne l’impression d’un jeu de tesselles, dans un vitrail, avec les éclairages changeants au gré des successions de soleil et de nuages.
En effet, les chapitres très courts s’enchaînent à une vitesse qui donne parfois le tournis, chaque personnage apportant sa pierre à l’édifice.
Mais l’on ne passe pas uniquement d’un personnage à un autre, mais également d’un temps à un autre, puisqu’après un prologue à l’occasion duquel les personnages se mettent en place, préparant l’acte final, entre les murs de l’auberge La roue de fortune -, une première partie relativement brève – une cinquantaine de pages, dont l’action se déroule sur la première partie de la journée du 17 février 1596 -, on se retrouve ensuite chahuté, dans la deuxième partie, chaque petit chapitre (d’un maximum de 4 pages) étant consacré à un personnage, à des dates très variables (pouvant aller de 1536 à 1596).
C’est dans cette partie que nous découvrons les histoires de chacun des personnages, leur infinie richesse, leur immense humanité – ou pas -, leurs failles et leurs blessures. Et c’est un véritable tour de force auquel se livre l’auteur, qui parvient, malgré cette forme extraordinairement éclatée, a créer une impression d’ensemble. Précisément comme l’artiste vitrailliste crée, en assemblant des tesselles, une composition cohérente, qui capte la lumière pour la sublimer.
Et puis, dans une dernière partie en forme d’apothéose, la troisième partie, qui décrit la fin de journée du 17 février 1596, à l’occasion de laquelle chacun de nos personnages rencontre finalement son destin. Apothéose de sons, d’images, de couleurs, comme les derniers rayons du soleil viennent frapper nos parcelles colorées, avant de sombrer dans la nuit.
Est-il utile de vous préciser que je suis encore sous le charme de cette histoire, dont j’ai fini la lecture voila quelques heures ? Pourtant, j’y perçois quelques défauts, mais qui en font aussi toute la beauté. En effet, certains chapitres sont tellement courts que l’on aimerait les voir se prolonger encore… mais demande-t-on à une pièce d’un vitrail de nous raconter toute l’histoire de la scène représentée ? Évidemment, non. Alors, il suffit de se laisser emporter dans l’explosion des couleurs…