Fantastiques, Roman

Le Dit du Vivant

Chronique de Le Dit du Vivant, de Denis Drummond.

« Se rapprochant de la falaise comme on ouvre un grand livre, Sandra explique le caractère immuable de la chronologie. Elle prend pour exemple les strates de couleurs différentes qui se superposent dans un ordre permanent, inchangeable, qui est le cours du temps : ce qui est au-dessus est plus récent, ce qui est en dessous est plus ancien ; on ne peut revenir en arrière, ni projeter ce qui a été dans un futur qui n’est pas encore. »

Denis Drummond, Le Dit du Vivant, le cherche midi, 2021, p. 60.

Motivations initiales

Plusieurs fois, ce livre m’avait fait de l’œil sur les réseaux sociaux, je l’avais vu passer… Du coup, à l’occasion d’une discussion avec Benoît, du cherche midi, je le lui ai demandé…

Synopsis

À l’occasion d’un tremblement de terre, près de Sapporo, au Japon, un village a été entièrement détruit, englouti par la chute d’un pan de montagne. Mais la catastrophe a également mis au jour une vaste sépulture ancienne… très ancienne, même, puisque les premières datations réalisées semblent indiquer que les squelettes seraient vieux d’environ… 13 millions d’années ! Pourtant, le principal squelette semble être celui d’un Homo sapiens sapiens. Voila qui est tout simplement de nature à remettre en cause toutes les connaissances sur la Préhistoire…

Les meilleurs spécialistes sont sollicités. Sandra Blake, paléogénéticienne, est appelée par Kenji Tanaka. Ils se sont rencontrés, des années, plus tôt, pendant leurs études à Oxford ; avec Marc, le mari de Sandra, volcanologue disparu sur le terrain, et Makoto, ils formaient une sacrée équipe… Sans Marc, mais avec Tom, son fils autiste, elle rejoint donc le groupe d’experts, reformant, pour un temps, l’équipe d’Oxford.

Mais ce séisme n’est pas que géologique : il est bien plus large, et, en même temps, touche intimement chacun des protagonistes…

Avis

Que dire de ce livre ? Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas une lecture ordinaire. L’ambition est immense : l’auteur nous propose en effet une plongée dans le temps, ni plus, ni moins. Car le séisme qui est à l’origine de cette incroyable « aventure » n’ébranle pas qu’une montagne, qu’une région. Il menace de mettre à bas les fondements même de certaines de nos sciences. Et, dans un même mouvement, il opère également un mouvement profond dans chaque individu.

Ce n’est donc pas que d’un séisme qu’il est question ici. Et ce livre n’est pas qu’un livre de science-fiction – ce qui serait déjà très bien.

Car la réflexion développée ici, et qui donne matière à réflexion, n’est ni purement scientifique, ni purement archéologique. Elle est essentiellement géopolitique, et, même, politique, au sens propre du terme. L’auteur met par exemple en scène les pays africains qui, menacés de se voir « voler » leur statut de « berceau de l’humanité », font appel à l’ONU pour éviter de perdre ce titre ! Alors qu’ils ont accepté d’être spoliés de leurs ressources naturelles, ils semblent ici s’accrocher à cette distinction, alors même que, même sans avoir besoin d’un Homo sapiens sapiens de 13 millions d’années, on pourrait trouver un jour la trace d’un homme ou d’une femme plus ancien(ne).

J’ai appris beaucoup de choses, sur l’autisme, sur l’ADN, sur la façon dont certains enjeux scientifiques sortent du simple cadre de la recherche… J’ai appris que l’autisme pouvait s’atténuer « tout seul », voire pratiquement disparaître – j’ai été vérifier après, tellement cela me paraissait incroyable. J’ai aussi appris des choses sur les estampes japonaises, puisque le seul survivant de la catastrophe est un peintre, qui vivait à l’écart du village enseveli avec sa petite-nièce et la fille de celle-ci.

Pourtant, je dois avouer que la structure de ce livre m’a parue un peu artificielle. Avec six parties, chacune composée de cinq chapitres – toujours les mêmes, dans le même ordre : Récit ; Journal de Sandra ; Chroniques, articles et correspondances ; Le Dit de Tom ; Le Dit du Vivant -, on se retrouve face à quelque chose d’assez rigide, mais, surtout, d’une structure qui introduit une alternance assez mystérieuse. Dans les chapitres appelés Récit, on a le déroulé de l’histoire, raconté comme par un narrateur. Le Journal de Sandra, Le Dit de Tom et le Dit du Vivant sont, à leur échelle, à leur hauteur, les visions de Sandra Blake, de son fils autiste et de celui dont la sépulture a été retrouvée. Des témoignages, donc, partiels et parcellaires, donnant des points de vue forcément distincts, ne serait-ce que dans le temps. Et puis, dans les chapitres Chroniques, articles et correspondances, ce sont encore des éclairages complémentaires, avec des Chroniques qui sont plutôt des éclairages scientifiques, des Articles censés être extraits de la presse mondiale et des Correspondances entre les différents protagonistes. Mais tout cela est morcelé, parcellaire.

Ce choix de structure, évidemment, est du ressort de l’auteur. Et, avec ce choix très affirmé – et très particulier -, Denis Drummond se démarche clairement d’un « simple » roman de science-fiction, qui se concentrerait sur les parties de récit, qui nous raconterait juste l’histoire. Mais, là où je dois avouer avoir eu du mal, c’est que cette mosaïque est en plus totalement asynchrone, ou achronologique. On passe son temps à changer de ligne temporelle, allant de 13,4 millions d’années avant le séisme jusqu’à une bonne vingtaine d’années après. Dès le deuxième chapitre, on retrouve des événements qui se sont déroulés avant d’autres décrits dans la partie précédente. Dans cette première partie, d’ailleurs, on assiste, dans Le Dit de Tom, à l’enterrement de Sandra – sa mère, donc -, alors qu’elle sera le personnage principal de l’ensemble du livre.

Tout cela est assez déstabilisant. Et, par moment, a contribué à m’égarer, sans que je parvienne à identifier le sens additionnel que cette construction et ces allers-retours sont censés apporter.

Bref, j’ai beaucoup apprécié l’idée autour de laquelle ce livre est construit, moins la façon dont elle a été mise en forme. Et du coup, c’est un livre que je conseillerai, mais pas à tout le monde, parce que je pense qu’il est susceptible de laisser du monde sur le bord du chemin…

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