Chronique de L’ours et le rossignol, de Katherine Arden.
« La roussalka vit le prêtre la première. Ses yeux luisirent.
– En voici un qui serait bon à manger. »
[…]
– Pourquoi ?
– Il est plein de désir. De désir et de peur. Il ne sait pas ce qu’il désire et il n’admet pas qu’il a peur. Mais il ressent les deux, assez fort pour en étouffer. »
Katherine Arden, L’ours et le rossignol, Éditions Denoël, Folio SF n° 653, 2021, p. 147.
Motivations initiales
Vu un beau jour, dans notre librairie. Les histoires « inspirés de contes russes », on n’en croise pas si souvent, alors c’était l’occasion de retrouver le chemin des grandes plaines, des hivers froids, des maisons à pattes de poule… Et je n’ai vu qu’après qu’il s’agit du premier tome de la Trilogie d’une nuit d’hiver.
Synopsis
Piotr Vladimirovitch est un boyard, un seigneur du Nord. Il vit loin de Moscou, loin des fastes de la cour, à Lesnaïa Zemlia. Il a pourtant épousé la demi-soeur du Grand-Prince Ivan Ivanovitch, Marina, dont il est tombé fou amoureux la première fois où ils se sont rencontrés. Mais elle est morte après avoir donné naissance à leur quatrième enfant, Vassilissa.
Vassilissa – que beaucoup appellent aussi Vassia – adore les histoire de Dounia, la vieille servante. Surtout celles avec des démons, avec le roi du Gel, Morozko… Mais, surtout, Vassia voit les esprits protecteurs du foyer ou de la nature, le domovoï, le bannik, le vazila, la roussalka, le vodianoï, le bolotnik…
Quand Piotr se remarie, c’est avec Anna Ivanovna, la fille du Grand-Prince. Malheureusement, celle-ci voit des démons partout, et souhaitait rentrer au couvent…
Avis
Cela commence comme dans les contes russes. Et l’on est très vite dans l’ambiance : la neige, le froid, la glace sont au rendez-vous à Lesnaïa Zemlia. Il faut attendre que les rivières soient gelées pour pouvoir rejoindre – en deux semaines – Moscou.
À Moscou, justement, lorsqu’il s’y rend pour se remarier, et trouver un bon parti pour sa fille, il tombe sans le savoir dans une sorte de traquenard politique : en effet, le pouvoir souhaite à la fois éloigner Anna Ivanovna, la fille d’Ivan Ivanovitch, qui a des visions, et éviter que le Prince de Serpoukhov ne puisse revendiquer le trône. Aussitôt, on propose à Piotr d’épouser Anna et au Prince d’épouser Olga, la fille de Piotr.
Et puis arrive à Lesnaïa Zemlia Konstantin Nikonovitch, un prêtre, peintre d’icones, aux vastes ambitions. Et, dans la Russie devenue chrétienne, ce dernier se croit investi d’une mission : traquer les anciennes croyances, et les extirper des terres les plus reculées.
Tout est alors en place : la jalousie d’une femme pour une femme plus jeune et qui attire davantage le regard ; le désir inavouable – y compris à lui-même – d’un prêtre ; la tentation de le transformer en une lutte féroce contre les démons. Ces thèmes sont en réalité d’une actualité brûlante : ce qu’une religion peut masquer, l’oppression des femmes par la tradition – désormais, on serait tentés de dire « le sort des femmes sous le joug du patriarcat » -.
Il y a eu, pour moi, un passage un petit peu plus « mou », vers le milieu du livre, en gros de la page 150 à la page 250. Certains passages sont assez elliptiques – ou mon imagination n’est pas suffisamment slave pour me permettre de visualiser ce qui se passe. L’âme slave, justement, avec sa mélancolie, sa lenteur brutale, sa cruauté douce, traverse toutes les pages.
Mais, arrivés à la fin, on a très envie de savoir qui, de Morozko, le roi de l’hiver et des morts, ou de son frère, l’emportera. Et si Vassia, dont, probablement, les véritables origines ne nous seront révélées que plus tard, trouvera cette liberté qui l’anime… Quoi qu’il en soit, et surtout lorsqu’il s’agit du premier tome d’une trilogie, arriver au bout et avoir envie d’en savoir davantage, c’est carrément bon signe, non ?
Alors si vous aussi vous avez comme un goût pour les steppes gelées, les polevik et les liechi, ou si vous avez envie d’une bonne scène bien gore mettant en scène une oupyre… ne cherchez pas ! Un ours, un rossignol, habillez-vous chaudement, et en route !

1 réflexion au sujet de “L’ours et le rossignol”