Drame, Roman

L’Allègement des vernis

Chronique de L’Allègement des vernis, de Paul Saint Bris.

« Bien sûr, il n’était pas un de ces conservateurs coincés au XIXe siècle en gilet et foulard en soie, qui fument la pipe ou lisent l’heure sur une montre à gousset. Mais derrière ses vestes bien coupées, ses cols roulés en mérinos et son apparente décontraction, à l’intérieur il se savait comme eux, la fantaisie en moins. Il comprenait tout à fait que l’on puisse se lasser de lui. Cela faisait un moment qu’il ne s’était pas surpris lui-même. »

Paul Saint Bris, L’Allègement des vernis, Éditions Philippe Rey, 2023, p. 114.

Motivations initiales

C’est d’abord cette première de couv’ qui a attiré mon regard. Puis ce titre, dont je n’aurais pas su dire ce qu’il signifiait véritablement. Je ne connaissais pas cette expression, je ne savais pas que l’allègement des vernis est une des façon de restaurer une œuvre en retirant certaines couches du vernis qui la protège mais, en général, assombrit également les couleurs. Je ne connais pas particulièrement le monde des musées, cette plongée dans les arcanes du Louvre m’a donné envie !

Synopsis

Appartenant au corps des conservateurs du patrimoine, Aurélien dirige le département des Peintures du Louvre. En général, le président du musée est, lui-même, un conservateur. Aussi lorsque le dernier en date a pris sa retraite, Aurélien a présenté sa candidature, mais sans conviction, et sans véritable envie. D’autres collègues ont fait de même, avec plus de mordant… mais c’est finalement, à la surprise générale, une femme, jeune de surcroît, et sans background de conservateur, qui a finalement été nommée, après avoir été la directrice des relations extérieures du musée.

Aussitôt aux commandes, elle lance de grands projets, avec une approche très « marketing ». Et voilà qu’un cabinet de conseil suggère d’engager la restauration de la Joconde, un sujet souvent évoqué mais jamais mis en œuvre, parce que considéré comme trop dangereux. En effet, une restauration comporte toujours un risque, celui d’abîmer la peinture, ou de trahir l’équilibre donné par l’artiste. Ce qui est considéré comme un risque acceptable lorsque la pièce est abîmée (lorsque le support, toile ou panneau de bois, est en mauvais état et met en danger l’œuvre, par exemple) l’est beaucoup moins lorsqu’il s’agit « seulement » d’éclaircir la peinture dans une approche essentiellement « cosmétique ».

Mais Aurélien n’a rapidement pas le choix : la restauration est actée, il faut se charger d’identifier celui ou celle qui en sera chargé(e), et mettre en place toute la procédure…

Avis

Je dois l’avouer, j’ai eu peur un temps que ce roman ne surfe trop sur la vague un peu facile autour de thèmes comme « le marketing, ce n’est quand même pas très propre », « les cabinets de conseil sont méchants », « faire du profit, c’est sale ». Mais assez rapidement, le lecteur peut observer qu’au-delà des quelques coups de griffe, il n’y a pas de volonté affichée de s’appuyer sur les mécontentements actuels pour faire le buzz.

Ensuite, il faut dire que l’on prend une véritable leçon de restauration d’une œuvre. Et c’est tout à fait passionnant, à la fois sur les aspects techniques, mais également sur les enjeux artistiques, picturaux… et, évidemment, dans notre monde tel qu’il est désormais, commerciaux, communicationnels et marketing.

Et puis, on a surtout très rapidement une galerie de portraits qui se met en place – admettons que c’était bien le moins pour nous raconter une histoire qui se déroule dans un musée -. Daphné, la présidente, à ce côté parisien branché qui permet d’agacer comme il faut ; Homéro, un curieux homme d’entretien, qui entretient avec les œuvres qui figurent dans les pièces du musée qu’il nettoie un rapport particulier ; Hélène, la régisseuse en mal d’amour qui se laisse émouvoir par Homéro…

Mais c’est essentiellement autour d’Aurélien que l’histoire se déploie. Lui, qui se décrit comme sans fantaisie – la citation citée au début de cette chronique le concerne -, est d’abord et avant tout le fils de sa mère. Une femme qui, subrepticement, a tout réglé de sa vie et qui, en mourant alors qu’il venait d’avoir 40 ans, l’avait empêché de se rebeller, de tenter même d’échapper à l’emprise – c’est le mot qu’il emploie – qu’elle a sur lui. Elle l’a forgé à son image, lui a inculqué « l’exigence de la beauté », a écarté les petites amies qui ne lui convenaient pas… Bref, elle a pris et conservé le contrôle de sa vie. C’est ainsi qu’il s’est jeté dans les bras de Claire, devenue sa femme, dont il est amoureux mais qui s’éloigne progressivement de lui, parce que leur couple repose sur un malentendu, un mensonge.

Alors qu’elle a finalement quitté le domicile familial, Aurélien se retrouve à partir en Italie, chercher Gaetano, un restaurateur de renom, dont il a un temps suivi l’enseignement. Gaetano, un homme libre, qui vit dans son repère avec deux femmes, libres également. Bref, tout l’inverse d’Aurélien. Et c’est alors que l’on commence à saisir que ce n’est pas tant les vernis de La Joconde dont il est question dans ce livre, mais bien des vernis dans lesquels la vie d’Aurélien a progressivement été vitrifiée. Et qu’il va falloir alléger.

Cet homme qui ne s’est jamais véritablement autorisé à vivre sa vie va soudain être confronté à une réalité simple : il est seul, mais il est vivant. Il a le droit de poser ses propres choix. À la seule condition – mais ce n’est pas rien – de les assumer. Et, le cas échéant, d’en payer le prix. Et, dans cette réflexion sur ce que c’est que vivre, tout le monde peut se retrouver. Finalement, on se rend compte que c’est en réalité ce que chaque personnage du livre est amené à faire : choisir de vivre sa vie. Homéro, Hélène, Claire, Daphné, Gaetano, Guiseppina, Lucrezia : tous cherchent, au-delà du rôle social qui leur a été assigné, et qu’ils ont, pour certains, accepté, comment vivre leur vie.

C’est joliment écrit, c’est souvent amusant, mais surtout, cela nous parle de nous, de la difficulté que l’on peut avoir à prendre son envol… Alors, êtes-vous prêts à tenter la grande aventure de l’allègement des vernis ?

Pour en savoir plus

Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

2 réflexions au sujet de “L’Allègement des vernis”

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