Chronique de Le Courage des lâches, de Wendall Utroi.
« Quelques personnes se mirent à courir, d’autres à hurler, les gens se jetaient dans les fossés, s’abritaient derrière les troncs, s’arrêtaient, statufiés. J’eus à peine le temps de cogner à la vitre arrière de la camionnette, d’alerter mes amis, qu’un Stuka allemand nous survola, à peine plus haut que la cime des arbres. Une trentaine de mètres plus loin, il usa de ses mitrailleuses. »
Wendall Utroi, Le Courage des lâches, Éditions La Trace, 2024, p. 120.
Motivations initiales
Nous avons déjà eu l’occasion de parler de précédents livres de Wendall Utroi, ici, et là. Alors quand l’auteur a proposé de découvrir son nouveau livre, nous n’avons pas hésité ; et nous devions, à l’occasion de sa présence à Quais du polar, le rencontrer. Ce dernier aspect est aujourd’hui, à quelques jours du festival, compromis. Mais le livre est lu, c’est donc l’occasion de faire un retour !
Synopsis
Dans les années 30, à Liévin, près de Lens. Pierre, Radek, Gontran – alias Bouboule -, Auguste et Martin sont tous les cinq les élèves de Monsieur Leblanc, un instituteur de la vieille école. Rapidement, et malgré des débuts difficiles, ces cinq garçons deviennent amis, et intègrent dans leur groupe Eugénie, la petite sœur d’Auguste. Ils forment la bande à Bouboule.
À la fin de l’année, qui est également marquée par le départ en retraite de l’instit, chacun poursuit son chemin : Martin continue les études, Radek devient apprenti-garagiste, Gontran apprenti-boucher… Mais les événements qui bouleversent l’Europe ne les épargnent pas. Avec la guerre qui gronde, la famille de Radek s’apprête à repartir en Pologne, et le nord de la France, rapidement, ne parait plus être un endroit très sûr.
Voilà alors la bande partie sur les routes dans une vieille camionnette que Radek a réparée sur son temps libre. Direction, le Vercors, où Auguste et Eugénie ont une tante…
Avis
Une remarque avant d’entrer dans le vif du sujet. Il semble y avoir une sorte de mode qui fait que l’on voit un nombre croissant de titres en forme d’oxymores ; on peut penser au livre du regretté Luca di Fulvio, Les Prisonniers de la liberté, à la bande dessinée d’Ayroles et Guérineau, L’ombre des lumières… ; et ce nouveau roman de Wendall Utroi entre clairement dans cette catégorie…
Ce nouveau livre nous donne d’abord à voir comment les amitiés se forment. Au départ, en effet, rien ne prédestine Pierre, garçon effacé et solitaire, Radek, jeune polonais fier et courageux, Gontran, costaud et respecté dans la cour d’école, Auguste, déjà frappé par le malheur, à se rencontrer, à se découvrir. Mais leur amitié apparait comme pratiquement inéluctable, au-delà des hasards qui les rassemblent.
Et puis il y a Eugénie, la sœur d’Auguste. Eugénie dont Pierre tombe, presque immédiatement, amoureux. Et qui, dans le livre, va à diverses reprises, rappeler le questionnement éminemment classique de la possibilité même de l’amitié entre femmes et hommes… et, plus largement, interroger les relations entre femmes et hommes. À plusieurs reprises, en effet, les garçons font en sorte, notamment lorsqu’ils décident de s’engager dans la Résistance, de tenir Eugénie de côté, pour la « protéger », sans tenir compte de ses souhaits ou de ses convictions.
En effet, le groupe se retrouve rapidement sur les routes, en plein exode. Et, comme l’évoque la citation retenue en haut de cette chronique, ils subissent les attaques des avions allemands qui s’en prennent aux files d’exilés qui louvoient sur les routes. La rage au cœur, Gontran et Radek ne rêvent que de se battre contre l’occupant. Pierre, lui, suit ses camarades essentiellement parce qu’il est plus inquiet de rester seul qu’exalté à l’idée de partir.
Mais la question qui traverse tout le livre, et que, probablement, chacun de nous, au-delà des rodomontades, s’est un jour posée, c’est de savoir ce que, plongés dans de tels événements, nous aurions fait. Comment réagirions-nous à la torture ? Serions-nous courageux ou lâches ?
Et puis… ce livre souligne aussi remarquablement la façon dont les silences, les non-dits, entre amis, entre amants, entre parents et enfants, peuvent avoir des conséquences terribles. Et comment, parfois, les mots peuvent être instrumentalisés. Mais je ne veux pas spoiler…
Et vous, êtes-vous prêts à accompagner Petit Pierre, Bouboule, Eugénie et Radek sur les routes de l’exode, et sur le plateau du Vercors ? Oui ? Alors graissez votre pistolet, affûtez votre poignard…
Pour en savoir plus
Retrouvez la présentation de ce livre sur le site de l’éditeur.

