« Cependant, Gandalf était resté debout à la porte et il rit longuement, mais en silence. Après un moment, il s’approcha du vantail et, du fer de son bâton, il traça un signe bizarre dans la belle peinture verte. Puis il s’en fut à grands pas, à peu près au moment où Bilbo achevait son second gâteau et commençait à penser qu’il avait fort bien esquivé les aventures. »
John Ronald Reuel Tolkien, Bilbo le Hobbit, Le Livre de Poche, 2011 (29e éd°) p. 13.
Motivations initiales
Cela peut sembler incroyable, mais j’ai commencé à lire ce livre en anglais, sans savoir de quoi il s’agissait. Ce n’est que progressivement que j’ai réalisé qu’il s’agissait du livre dont était tiré un jeu vidéo (qui se jouait alors sur un ordinateur que la plupart ne peuvent pas imaginer, un ZX81) que j’avais vu tourner 3 ans plus tôt, et dont je n’avais pas réussi à passer la première scène, parce que je n’ai jamais trouvé la solution de l’énigme… Évidemment, à l’époque, on était loin de l’exposition que l’on connait maintenant, Peter Jackson n’avait même pas encore tourné son premier film…
Synopsis
Bilbo Baggins vit, comme tout hobbit respectable, dans un trou confortable. Son principal sujet de préoccupation est de disposer toujours de ces petits gâteaux à l’anis qui accompagnent si bien le thé. Mais, parmi ses ancêtres, certains n’ont pas toujours été aussi respectables, et c’est probablement ce que Gandalf-le-Gris, magicien de son état, a su déceler en lui. Aussi vient-il le voir, un beau jour, pour lui proposer une quête, consistant à accompagner une troupe de nains, pour reprendre à Smaug, un terrible dragon, son trésor. Bilbo refuse, naturellement, mais c’est sans compter avec Gandalf, qui, de tout temps, a toujours suivi ses propres plans…
C’est ainsi que Bilbo voit, dès le lendemain, débarquer sans sa maison douillette une troupe de treize nains, menée par l’imposant Thorin Oakenshield, qui commence par vider ses réserves de nourriture. Gandalf, en effet, leur a désigné Bilbo comme un maître cambrioleur, précisément le type de compétence dont ils ont besoin. À partir de ce malentendu – mais en est-ce réellement un ? -, Bilbo se retrouve embarqué, bien malgré lui, dans une incroyable aventure. Trolls, orcs, wargs, araignées géantes de la forêt de Mirkwoog, changes-peau, elfes émaillent la route, ainsi qu’une mystérieuse créature, Gollum, auprès de qui Bilbo trouve un tout aussi mystérieux anneau – que les plus aventureux d’entre nous retrouveront dans Le Seigneur des anneaux.
Finalement parvenue à la Montagne solitaire, la troupe envoie Bilbo jouer sa partition de voleur. Mais celui-ci réveille Smaug, qui sort de son antre. Il faudra alors l’habileté de Bard, un archer descendant des princes de Dale, pour tuer le dragon…
Avis
> L’avis de C
J’avais déjà lu Le seigneur des anneaux lorsque j’ai attaqué – presque dix ans plus tard – Bilbo le Hobbit, ce qui, peut être, change ma perception des choses. En effet, si j’avais vraiment apprécié l’histoire et les personnages du Seigneur des anneaux, j’avais aussi trouvé que, par moments, il y avait des longueurs, par exemple lorsque Tolkien se lance dans des descriptions à n’en plus finir… J’ai en effet parfois eu l’impression que celui-ci passait des pages entières à décrire des arbres ou la couleur de l’herbe…
Mais revenons à Bilbo le Hobbit. Ce livre, pour moi, c’est une initiation au voyage dans les Terres du Milieu. Le récit, accessible et captivant, offre une tension permanente – au bout, on sait que l’on va se retrouver face à un dragon, excusez du peu ! -. On ne voit pas le temps passer, on plonge dans le livre et dans l’histoire sans difficulté, en s’attachant à ce drôle de petit personnage, qui voudrait tellement être un honorable hobbit, mais qui, en même temps, tout au fond de lui, rêve d’ailleurs. Et on partage cela avec lui, un rêve de lointain, alors que l’on n’ose pas franchir le pas…
Il n’est pas nécessaire d’être un enfant pour rêver avec Bilbo. En effet, nous ne donnerons peut-être plus exactement la même signification à ses aventures – explorer des cavernes sombres, croiser des elfes aux oreilles poilues, combattre des araignées repoussantes, rencontrer Beorn le change-peau, ou aller titiller Smaug, le monstrueux dragon -, mais cela ne nous parle pas que de cela, mais, plus largement, de la vie, du temps qui passe, de la responsabilité d’être soi, du choix d’être ce que nous voulons être.
Ce conte, on peut le lire et le relire, il est toujours un aussi bon antidote à la mélancolie et à la morosité. Plus drôle et bien moins noir que Le seigneur des anneaux, il est vraiment une introduction parfaite au monde de Tolkien ! J’envie presque celles et ceux qui le découvriront très jeunes : ils auront le plaisir de pouvoir le lire et le relire souvent !
Et, pour finir, je ne peux pas ne pas signaler que je ne suis pas totalement fan de la version cinématographique livrée par Peter Jackson, qui, à mon goût, ne rend pas hommage à la beauté de ce livre…
> L’avis de T
Avant toute chose, permettez-moi une petite digression, mais qui me semble importante. Souvent, on présente Bilbo le Hobbit comme un conte pour enfant, ce qu’il est certes partiellement, puisque Tolkien l’a initialement construit, non pour être publié, mais pour divertir ses propres enfants, avec des histoires qui se déroulaient dans le « monde » qu’il élaborait patiemment. En tout cas, c’est presque par hasard que son éditeur en a eu connaissance, et a suggéré d’en faire un livre. Tolkien, pour cela, l’a profondément remanié, avant une première publication, puis, une seconde fois, pour « aligner » certains éléments au moment de lui écrire une suite… Le seigneur des anneaux ! Mais ces deux vagues de modifications ont singulièrement éloigné Bilbo du conte pour enfants, autant dans sa longueur que dans son écriture. D’ailleurs, Tolkien ayant travaillé et publié sur le sujet (il a publié un ouvrage intitulé Du conte de fées), il insiste sur le fait que, de son point de vue la question de savoir si les contes sont « pour les enfants » ou pas n’a pas d’intérêt.
Objectivement, et pour l’avoir vérifié in vivo, il n’est pas évident de lire ce livre à des enfants. L’écriture en est tout de même plutôt travaillée, le vocabulaire assez complexe. Alors, au-delà du sentiment incroyable qu’il y a à partager ses lectures fétiches avec ses enfants, il faut tout de même modérer cette histoire de « conte pour enfants ». S’il faut vous en convaincre, d’ailleurs, regardez aussi du côté du Fermier Gilles de Ham, un livre beaucoup moins connu du même Tolkien. Là aussi, il s’est inspiré des histoires qu’il racontait à ses enfants, mais, en bon universitaire britannique qu’il était, il a agrémenté ce « conte » (dont le format semble pourtant beaucoup plus adapté aux enfants), avant de le publier, de plaisanteries historiques et philologiques qui ne rendent pas sa lecture totalement triviale. Mais, bref, ce n’est pas le sujet.
Bilbo, donc. Vous allez vous en rendre compte, je ne suis pas objectif. Avec Bilbo, j’ai découvert et fait mes premiers pas dans les Terres du Milieu. C’était quelques années avant de pratiquer un jeu de rôle qui se déroule dans ce même univers (enfin, deux pour être précis : JRTM, d’abord, puis Rolemaster). Ce n’est qu’à ce moment, je dois le concéder, que j’ai découvert Le seigneur des anneaux, qui était encore loin de faire le buzz (aujourd’hui, cela doit sembler fou à certains qu’il ait pu exister des années « avant Le seigneur des anneaux« , et pourtant si !).
Si l’érudition de Tolkien transparait moins dans Bilbo que dans Le Seigneur des anneaux, ou que dans Le Silmarillion, on s’attache rapidement à ce petit personnage qui n’a rien d’un héros, mais qui, projeté dans une histoire qui le dépasse, va simplement faire « comme il peut ». On attend de lui qu’il soit un voleur ? Il n’ose pas affirmer haut et fort qu’il n’en est pas un – et s’élever ainsi contre l’autorité, parfois bienveillante, mais dont les motivations sont parfois bien moins claires et pures, de Gandalf -, tout en se croyant incapable d’assurer la mission. Mais, en bon soldat, il va quand même essayer, puis se prendre au jeu, et, finalement, se convaincre lui-même par moment qu’après tout, il est peut-être un voleur de talent. Et même si c’est par hasard qu’il y a parvient finalement, que penser de ce personnage qui se retrouve obligé à « sortir de lui-même », à aller au-delà de ce qu’il croit lui-même possible ?
Qu’est-ce que Bilbo, sinon une quête initiatique ? Certains ont pratiqué l’exercice de faire une lecture psychanalytique de tout ou partie de l’œuvre de Tolkien, au nombre desquels on peut citer Pia Skogemann. Sans aller jusque là, on peut aisément voir en quoi on peut s’identifier à ce héros dont l’horizon, initialement limité à son village, va, sous la contrainte d’événements qu’il ne maîtrise pas, devoir se confronter aux dangers du monde, mais aussi à l’exaltation de l’aventure.
Je recommande naturellement à chacun de lire Bilbo le Hobbit – au moins d’essayer -. Porte d’entrée sur l’univers de Tolkien, il ouvre à ceux qui y adhèrent un passeport pour des heures d’évasion mais aussi, et peut être surtout, un accès ludique à ce qu’est un mythe, c’est à dire à une vision fondamentale du monde…
Une lecture très marquante pour moi aussi, ça donne envie de s’y replonger 🙂 Et je vous rejoins tout à fait en ce qui concerne les films qui ne rendent pas vraiment hommage à l’ouvrage (contrairement à la précédente trilogie)
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Une question sans lien directe : accepteriez-vous que nous citions Bibliocosme dans la page « Nos compagnons de route », dans la liste des blogs « amis » ? En l’occurrence, cela permettrait de vous signaler de façon pérenne chez nous, et, ponctuellement, de signaler le concours que vous avez lancé ce matin…
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Mais bien sûr, avec grand plaisir 🙂
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J’ai lu avec enthousiasme votre chronique et j’avoue m’y retrouver totalement. Plus simple et plus léger que le seigneur des anneaux, plus fantastique aussi, peut-être, il a une grille parallèle de lecture quand on se penche sur les innombrables récits sur les Nains de Durin, les Orcs d’Angmar, les mouvements de forces dans toute la Terre du Milieu et l’intérêt de Gandalf pour les Hobbits.
Par contre, après une relecture récente, je suis resté stupéfait par le traitement abominable octroyé aux Nains, tantôt râleurs, pleutres, voleurs et même traitres mesquins tout au long de l’aventure. C’est étonnant de faire avancer tant de héros en même temps et de leur laisser finalement si peu de places sinon celles de victimes ballotées dans tous les sens, ne devant leur salut qu’à un hobbit gras mais entreprenant. Bon, je prêche un peu pour ma paroisse en disant cela, mais je pense que dans chaque épopée, faire sombrer un personnage dans le ridicule ou le mesquin pour en faire briller un autre… c’est mal ^^
En tout cas, je te rejoins totalement sur ton dernier paragraphe. Les mythes sont constitutifs de notre imaginaire, de nos actes, de nos schémas de pensée. Dans tous les domaines, l’oeuvre de Tolkien est un mythe. Et un mythe accessible!
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Merci pour ce commentaire, il est toujours agréable de se dire que l’on n’est pas seul à penser ce qu’on pense 😀
Pour ce qui concerne les nains, ma vision des choses est qu’ils sont, même si cela peut sembler étrange, plus un élément de décor qu’autre chose. Du coup, comme les montagnes sont hautes, les araignées monstrueuses, les nains sont drôles (= râleurs, pleutres, mesquins…). Contrairement à Gimli dans le Seugneur des anneaux, on n’est pas censé s’attacher à eux. Du coup, on peut être caricatural… C’est vrai que cela ressemble à une facilité… Mais Tolkien s’est tout de même rattrapé ensuite, au moins un peu, non ? 😀
Dans une certaine mesure, Gandalf également est traité de façon plus brutale dans le Hobbit que dans le SDA : lui aussi est manipulateur, poursuit ses propres plans, pas loin d’une forme de traîtrise, d’une certaine façon, dont il n’est « absout » que parce que Bilbo y trouve finalement son compte…
En tout cas, nous sommes heureux d’être sur la même longueur d’ondes !
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