« Je rôde, examinant l’immeuble. La plupart des autres appartements sont condamnés. Des lattes de métal fermement fixées aux fenêtres pour que rien n’entre. Ni le mauvais temps, ni les squatteurs, ni les animaux. Le côté gauche du bâtiment est presque complètement vide. Ses entrailles pendouillent au vu et au su de tout le monde. »
Ross Armstrong, Sous ses yeux, le cherche midi, 2017, p. 65.
Motivations initiales
Pour notre plus grande joie, nous avons été retenus pour faire partie de la Team Thriller du cherche midi pour la saison 2017/2018 (c’était le mercato !). Ceci est le premier livre reçu de la série…
Synopsis
Lily Gullick adore observer les oiseaux : elle a découvert cette activité avec son père. Alors que son conjoint, Aiden, semble lointain, ses observations, dans le quartier de Londres en pleine rénovation où ils habitent, concernent de plus en plus souvent ses voisins. Et elle applique la même méthode qu’en ornithologie : l’observation est suivi d’une prise de notes, selon un schéma bien établi en sept rubriques.
Mais la vie du quartier s’immisce soudain dans son quotidien qui semble si bien réglé. Une jeune fille a disparu ; une autre occupante, en guerre contre les promoteurs, est retrouvée morte, probablement assassinée. Et si les observations de Lily étaient l’occasion de trouver le ou les coupables ?
Avis
> L’avis de C
Les premières pages du livre sont captivantes et donnent à penser que l’on embarque pour un tour de montagnes russes où peur et panique vont se succéder… L’univers semble rapidement propice au thriller : phrases courtes, rythme saccadé, titre de chapitre mystérieux et alléchant…
En plus, je partais avec un a priori favorable, car l’histoire – allez savoir pourquoi – me rappelait un thriller de Mo Hayder qui m’a fait frémir de peur !
Mais… la magie n’a pas opéré, j’ai trouvé que jusqu’à la moitié du livre on ne sait toujours rien de vraiment essentiel. J’ai même l’impression que si on commençait la lecture à ce moment, eh bien on serait pas perdu et on comprendrait parfaitement l’histoire… C’est dommage….
Ensuite, à partir de la page 200, l’histoire prend réellement forme : on a l’impression que l’auteur a enfin fait le choix de ce sur quoi il va se concentrer, décidé où il voulait emmener son lecteur et comment l’y emmener…
Bref, un bilan plus que mitigé pour ma part, ce livre m’a laissé sur le bord du chemin. Je ne suis pas fan du style de l’auteur et je le regrette d’autant plus que l’idée de départ était brillante !
Mais être lecteur c’est également cela : on rencontre des livres qui nous font avoir peur, pleurer, vibrer, avoir des émotions, mais également des livres dans lesquels on ne rentre pas. À chaque fois que cela se produit, on ressent de la frustration, mais cela n’empêche pas d’y retourner ! 🙂
> L’avis de T
Dès le début du livre, dès le premier chapitre, dès les premiers mots, on est plongé dans une sombre intrigue. Lily, qui observe les fenêtres d’un appartement, voit une femme qu’elle n’a encore jamais vue, qui semble avoir des bleus et des brûlures. Puis des mains l’attrapent et l’entraînent dans l’ombre.
Le rythme est syncopé, haché. Les phrases sont brèves, parfois sans liens entre elles. Chaque chapitre a un titre mystérieux, en général en mode « J- quelque chose ». Pas toujours chronologique. Et, surtout, sans que l’on sache vraiment – y compris à la fin – à quoi ce décompte correspond réellement.
Ce qui, dans le premier chapitre, semblait devoir poser un décor, une ambiance – haletante – devient une sorte de gimmick répétitif, et, pour moi, assez désagréable – comme de la musique répétitive, au rythme saccadé et obsessionnel.
Un premier rebondissement se produit à peu près à la moitié du livre. À partir de ce moment là, le style évolue, et l’histoire aussi. On a presque l’impression de lire un autre livre. Paradoxalement, c’est au moment où l’histoire s’accélère que le style devient moins syncopé – et plus agréable.
Tout le livre est rédigé comme le journal intime de Lily, dans lequel elle s’adresse visiblement, en la tutoyant, à une personne précise. Laquelle personne finit par apparaître dans le livre, dans la deuxième partie, mais sans intervenir réellement, ou à peine. Du coup, on est toujours dans la tête de Lily, qui semble ne s’occuper, finalement, que d’elle-même, de ses perceptions, de sa propre volonté, sans laisser réellement de place aux autres acteurs de l’histoire.
Il y a aussi, de la part de l’auteur, une ambition forte. À plusieurs reprises, il tente de rendre compte de situations purement psychologiques. Et l’on sait à quel point il est difficile de rendre compte du « paysage intérieur » d’une personne. Les métaphores ne peuvent pas parler à tous les lecteurs de façon uniforme. Par définition, nous avons, chacun, notre propre façon de « visualiser », de « représenter » le monde qui nous entoure. Du coup, cela a contribué, pour moi, à amplifier une sensation d’artificialité.
Ce livre me laisse une impression mitigée. Il y a, de mon point de vue, deux très bonnes idées : celle d’appliquer une démarche ornithologique à nos voisins – après tout, il arrive que ce soient de drôles d’oiseaux, et qu’ils appartiennent à des espèces bizarres -, et celle d’un thriller construit autour des enjeux liés à la rénovation d’un quartier, avec tous les enjeux financiers qui vont avec – ce qui constituerait un cadre tout à fait adapté pour des meurtres et un thriller -. Mais ici ces deux idées sont survolées, et superposées, mais, pour moi, l’émulsion ne s’est pas produite. Ce qui est d’autant plus désagréable qu’il n’y a aucun doute : il y avait matière à faire quelque chose d’époustouflant.
Bref, j’ai observé Lily en train de se débattre dans les mailles du filet, comme un entomologiste – pour filer la métaphore -, mais sans entrer plus que cela dans le jeu…