Chronique de Céline & Céline, de Michel Ruffin.
« Ils élargirent la discussion en évoquant les rapports entre la littérature, la politique et la morale. Censurer la première au profit des secondes c’est exactement ce que font tous les régimes autoritaires ou les idéologies fascisantes. Des idées sont déclarées révolutionnaires, des livres sont brûlés pour le même motif, des procès sont intentés contre des hommes libres. […] Cela amena les autorités de l’État de Virginie à mettre à l’index Robin des Bois pour propagation des idées communistes en 1953, Staline à interdire le 1984 de Georges Orwell, etc. »
Michel Ruffin, Céline & Céline, Éditions Chum, 2018, p 160-161.
Motivations initiales
Depuis quelques mois, nous échangeons avec les Éditions Chum, et nous nous en réjouissons, d’une part parce que cela nous a permis de découvrir des auteurs intéressants, et, d’autre part, parce que cela nous donne l’occasion de vous faire découvrir cette maison d’édition dont nous apprécions le travail !
Synopsis
Stanislas Dambreville est un critique littéraire célèbre. Spécialiste de Louis-Ferdinand Céline, il prépare justement un ouvrage sur ce dernier, dans lequel il entend montrer qu’au-delà de son indéfendable antisémitisme, l’auteur a révolutionné la littérature.
Dambreville anime une émission de télévision, enseigne, et, au gré de ses coups de cœur et de ses coups de gueule, il peut faire ou défaire la carrière d’un auteur. Cela ne va pas sans lui valoir de solides inimitiés, dont celle de Widenstein, journaliste et animateur, d’autant que ce dernier déteste viscéralement Céline.
Mais Stanislas Dambreville ne semble prêter le flanc à aucune critique : il garde précieusement le secret sur une vie privée qui, de toute façon, ne laisse guère de place aux passions dévastatrices. Comme s’il s’était coupé de la vie, suivant en cela les préceptes de Céline.
Et puis… Juliette déboule un beau jour dans ce paysage serein. Et, avec elle, c’est la tempête qui s’annonce. Mais est-elle, pour Stanislas Dambreville, une catastrophe, ou le sursaut de la vie ?
Avis
> L’avis de T
Chez Ô Grimoire, pas de juste milieu : l’un de nous deux a pratiquement tout lu de Louis-Ferdinand Céline, l’autre absolument rien. Moi, je n’ai jamais lu, et, lorsque chez Chum, ils nous ont proposé ce livre, j’avoue avoir eu une certaine inquiétude.
Mais c’est aussi toute l’idée de ce blog : nous aimons partager nos lectures, mais nous avons aussi le goût de nous mettre « en danger » en sortant, à l’occasion, de notre zone de confort. Alors, banco !
Venons-en donc à ce livre. Disons-le d’abord, ce Stanislas Dambreville nous apparait, au début du roman, comme l’un de ces intellectuels, dont certains auto-proclamés, qui, du haut de leur Olympe, jugent et, parfois, foudroient. Insensible, froid, détaché de tout, il parade, joue un rôle. Il faut un certain temps pour que les défauts de la cuirasse commencent à apparaître. Car c’est bien pour se protéger qu’il s’est ainsi coupé de la vie… Mais de quoi veut-il se protéger ? Pourquoi craint-il tant la vie ?
La vie, ici, est représentée par Juliette. Une vie au goût de jeunesse, de liberté, d’impudeur et d’insouciance. Mais aussi avec ses risques, ses dangers.
Progressivement, on voit cet homme, qui avait réussi à se couper de toute émotivité, revenir dans la vie. Et ce mécanisme-là est non seulement riche, mais également très bien décrit. Certes, Stanislas Dambreville ne devient jamais totalement sympathique, mais on découvre progressivement un individu qui ré-accède à son humanité.
Juliette non plus n’est pas sympathique. Elle est manipulatrice, menteuse, simulatrice… Même si, dans cette histoire, elle incarne la vie, et son agitation, en réalité, elle est – ou, en tout cas, elle peut être – bien plus sombre que cela.
L’ensemble est joliment écrit, agréable à lire, et très informé – sur Céline et sur les milieux littéraires. On retrouve plusieurs passages amusants, d’autres qui donnent des références historiques, comme celui où Dambreville raconte s’être moqué d’un académicien, lequel lui aurait répondu de manière fine, occasion de rappeler que « la répartie dans la famille, était une tradition. L’ancêtre de l’académicien, juge au tribunal qui statuait sur le sort de Nicolas Fouquet, reçut un émissaire de Louis XIV réclamant la peine de mort pour le surintendant des finances. Ce juge fit répondre : « Dites au roi que le tribunal rend des arrêts et pas des services ». »
Alors, que vous connaissiez Louis-Ferdinand Céline ou pas, n’hésitez pas, et venez découvrir comment Stanislas Dambreville se frotte à la vie…