Classique, Drame, Roman

Sur les falaises de marbre

Chronique de Sur les falaises de marbre, d’Ernst Jünger.

« J’entendis plus tard frère Othon dire de nos jours passés chez les Maurétaniens, qu’une erreur ne devient une faute que si l’on persiste en elle. Ce propos me semblait encore plus vrai, quand je songeais à la situation où nous nous trouvions alors, à l’époque où cet ordre nous attirait. Il est des temps de décadence, où s’efface la forme profonde en laquelle notre vie profonde doit s’accomplir. »

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, Éditions Gallimard, 1942, p. 35.

Motivations initiales

Lecture recommandée par un ami dont je sais les goûts très affirmés en matière de littérature. Et ce roman, dans lequel certains ont voulu voir une critique d’Hitler, d’autres une représentation de Staline, et dont l’influence sur Le désert des tartares, de Dino Buzatti, et sur Le rivage des Syrtes, de Julien Gracq, semble peu douteuse, était suffisamment intrigant pour qu’il rejoigne ma PAL…

Synopsis

Le narrateur, dont on ne sait pas grand chose, vit dans un grand ermitage de la Marina. Son plus proche compagnon est frère Othon, le bibliothécaire. Lorsque débute le roman, ils vivent paisiblement, au plus près de la nature, le premier s’occupant de son immense herbier, le second de ses livres. Mais progressivement, l’influence du Grand Forestier, le seigneur de la Maurétanie voisine, s’accroit et bientôt, ses hordes envahissent la Campagna, avant de menacer la Marina. Le combat est inévitable, renvoyant le narrateur et frère Othon à leur passé de combattant, lors de la guerre d’Alta-Plana…

Avis

> L’avis de T

Les experts ne sont pas d’accord entre eux quant au sens réel à donner à ce livre. Certains en font un véritable acte de résistance au nazisme, courageux et profond ; certains lui attribuent une force visionnaire, le prince de Sunmyra, échouant à abattre le Grand Forestier, pouvant évoquer le comte Stauffenberg ; d’autres enfin semblent considérer que le côté éminemment cryptique du roman autorise toutes les interprétations, sans qu’aucune certitude ne puisse être validée.

Et, effectivement, le roman est cryptique. Dans un lieu imaginaire, une sorte de marina qui serait au cœur de la Burgondie, deux anciens soldats tentent de reconstruire leur vie, ou, du moins, de lui redonner un sens.

Et, quoi qu’il en soit, que le Grand Forestier soit une allégorie d’Hitler, de Staline, une préfiguration visionnaire de Pol Pot ou une critique de Napoléon – après tout, le romantisme allemand s’est, en partie, construit en opposition au rationalisme des Lumières et à la tyrannie incarnée par la Terreur révolutionnaire et par Napoléon -, l’intérêt de ce livre est son universalité. En effet, le phénomène décrit – la montée d’une tyrannie – peut finalement s’appliquer à toutes les époques, à tous les espaces géographiques…

Le narrateur et frère Othon recherchent, au début du livre, l’ordre. Leurs activités respectives – bibliothécaire et botaniste – sont typiquement des activités d’ordre, d’organisation, dans lesquelles la rationalité et la classification – Dewey d’un côté, Linné de l’autre – proposent un cadre strict, qui constitue plus largement une vision d’un monde cohérent, accessible, compréhensible. Mais l’ordre finit par céder, face aux attaques insidieuses du chaos, représenté ici par les hordes du Grand Forestier, une sorte de force brutale, naturelle, non disciplinée.

Cette opposition entre l’ordre et la nature, c’est également celle de la connaissance et de la force. Et l’équilibre qui s’instaure entre ces deux forces demeure toujours instable.

On peut d’ailleurs se demander si les falaises de marbre qui figurent dans le titre du roman – et dont on aurait pu, très probablement, se dispenser, car elles ne jouent qu’un rôle très limitée et assez dispensable dans l’histoire – ne seraient pas une référence additionnelle à cette notion d’ordre. En l’occurrence, ici, un ordre vertical. Un ordre vertical irait de la noblesse, représentée ici par le prince Sunmyra – qu’il soit ou non une évocation anticipatoire du comte Stauffenberg -.

L’écriture est belle, le sujet abordé important. La seule raison de ne pas lire ce livre, c’est lorsque l’on veut se cantonner à lire pour un divertissement pur. Ce livre fait réfléchir, il est probablement fait pour cela, et ce serait passer à côté que de le lire sans se poser de questions…

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