Chronique de Métaquine® – T. 1 Indications, de François Rouiller.
« De quoi le monde a-t-il besoin sinon d’écoliers disciplinés, de travailleurs assidus, de consommateurs sans fantaisie . Je comprends ton enthousiasme, Yvon. Mais sommes-nous, toi et moi, obligés d’avaler la potion servie à la clientèle ? Voulons-nous vraiment nous retrouver avec les mêmes œillères ? Larges, inamovibles, fixées avec de longues vis qui nous traversent le crâne ? Il faut bien un ou deux bergers au troupeau. Que deviendront les masses stupéfiées si personne n’est là pour leur inventer des buts et des besoins ? »
François Rouiller, Métaquine® – T. 1 Indications, Librairie l’Atalante, 2016, p. 235.
Motivations initiales
Ce livre, publié en 2016 par l’Atalante, est désormais disponible dans la collection de poche de la maison d’édition. Et c’est sous ce format qu’il figurait dans la box de la Griffe Noire, me donnant l’occasion de découvrir cet auteur…
Synopsis
Cette histoire se construit à partir de six brins qui vont être tissés par l’auteur. Chacun de ces « brins » est celui concernant l’un des protagonistes du livre : Curtis, un cadre de l’entreprise qui fabrique la Metaquine ; Henri, commercial dans une entreprise qui fabrique des calottes, dispositif permettant de capter les ondes cervicales et d’agir par la pensée sur les outils numériques, un peu dépassé par la pression de plus en plus forte d’un monde professionnel fait d’efficience et de procédures qualité ; Aurélia, jeune femme qui s’est perdue dans les mondes numériques, au point de perdre le contact avec son propre corps, et qui a été recueillie par Henri ; Régis, fils de cette dernière, et vivant donc avec Henri, esprit rebelle qui en paye le prix à l’école ; Sophie, voisine des trois derniers, ancienne scientifique spécialiste de l’hypnose mais qui s’est retrouvée au ban de la communauté scientifique pour avoir osé soutenir des idées « en marge ; Clotilde, femme politique indépendante d’esprit, prête à se battre contre les sociétés pharmaceutiques aux visées totalitaires.
Le tout est rythmé par des citations de Ferdinand A. Glapier, connu pour avoir, parmi les premiers, tenté de mettre en garde les populations contre les risques de nos sociétés numérisées…
Avis
> L’avis de T
Quand on arrive à la fin de ce livre, l’histoire n’est pas finie. Je n’avais repéré immédiatement que ce tome, Indications, était suivi d’un second, Contre-Indications. On reste donc, pour partie, sur sa faim.
Mais en partie seulement, parce que, même si l’on ignore encore exactement où l’auteur veut nous emmener, certains des messages qu’il veut faire passer sont assez clairs. Dès les premières lignes des premières phrases de la première page, on a une idée d’où l’on va :
« Car le monde est mensonge. Mensonge des slogans, des spots, des hoax, des arômes artificiels, des fragrances qui masquent nos sueurs animales, des faux seins, des collections d’amis virtuels, du vernis de civilité sprayé sur nos bas instincts. »
Le cadre est donné : le capitalisme, les entreprises, le numérique, les mondes virtuels ne vont pas être à la fête. Et dans le premier chapitre, consacré à Curtis, nous suivons la préparation d’une séance du conseil d’administration de Globantis, panier de crabes, banc de requins, prêts à s’entre-dévorer, mais pas avant d’avoir mis en coupe réglée le monde qui les entoure. Pour eux, pas besoin d’ennemi commun pour s’entendre : il leur suffit d’avoir des profits à partager pour mettre en sourdine, pour un temps au moins, leurs antagonismes. Et, comme le KGB l’a, en son temps, théorisé, dans une telle lutte, les arguments sont toujours les mêmes : argent, sexe, pouvoir…
Avec le développement de dispositifs capables de capter les ondes cérébrales, les « calottes », une partie de la population s’est perdue dans des mondes virtuels, comme Aurélia, tombée dans la dépendance du SimDom, un mode virtuel, alors que, jeune maman, sans emploi, elle a trouvé plus agréable de profiter de la liberté totale de son avatar. Sauf qu’elle a progressivement coupé tout lien avec le monde réel, plutôt que d’y revenir entre deux plongées…
Alors ? Alors on est dans quelque chose qui n’est pas si loin de notre monde, mais outré, poussé encore un peu plus vers un excès. Est-ce réellement effrayant ? En réalité, pas totalement, parce que l’on voit bien, en fait, qu’il est encore possible, même ici, de trouver un petit espace de liberté. Cette liberté, elle n’est pas énorme, elle n’est pas évidente non plus. Mais Henri refuse les capsules de Métaquine que son responsable qualité aimerait le voir prendre ; Régis parvient à échapper à la prescription des mêmes gélules, même à l’issue des tests inspirés par Globantis, avec la « complicité » des enseignants et des politiques.
Évidemment, la Métaquine n’est pas sans nous rappeler la Ritaline, dont les Américains assomment tous les enfants qu’ils jugent hyper-actifs ; évidemment, les calottes ont un petit air de famille avec tous nos dispositifs d’immersion dans le virtuel ; évidemment, la pression à laquelle Henri est soumis au travail nous renvoie aux interrogations soulevée par le management constaté dans certaines grandes entreprises…
Et c’est de deux femmes – ce qui est peut-être un peu caricatural… – que l’on espère voir venir la lumière. Et quelles femmes ! Une femme politique, et une scientifique retirée de toute communauté, et qui vit dans une sorte de folie douce… Deux héroïnes improbables – même voilà quatre ans, il fallait un certain courage pour imaginer faire d’une femme politique un héros positif, et non le rouage de quelque sombre machination…
Maintenant, l’organisation même du livre fait que l’ensemble parait un peu décousu. Le fait de passer, dans ce livre, d’un personnage à l’autre, sans que l’on ait, en fin de compte, l’histoire en entier donne l’impression que l’on butine à gauche à droite sans réel fil conducteur. Or, même si je pense qu’il y en a un, il est encore difficile de dire lequel, à la fin de ce livre, ce qui a tendance à agacer un peu…
Bref, si c’est le premier tome d’une duologie, il faut que ce soit clair immédiatement. Si l’histoire doit pouvoir se lire indépendamment d’une suite éventuelle, il faut une chute. Ici, on est dans une sorte d’entre-deux, qui, du coup, parait un peu frustrante…