Chronique de Grand café Martinique, de Raphaël Confiant.
« Il s’était d’abord bu à l’abyssinienne, puis à la yéménite, ensuite à l’égyptienne, après à l’ottomane, à la javanaise, puis à la vénitienne, ensuite à la marseillaise, puis à la parisienne avant d’enjamber la mer des Ténèbres et de se boire à la martiniquaise. Cette dernière se répandit en Guadeloupe, à Saint-Domingue, à Cuba, au Brésil et dans le sud des États-Unis avant de gagner l’Asie pour se faire une place à côté de ce nectar impérial qu’est le thé.
Ô café, toi qui as accompli le tour du monde ! Onze siècles te furent nécessaires. »
Raphaël Confiant, Grand café Martinique, Mercure de France, 2020, p. 267.
Motivations initiales
J’ai repéré ce roman dans les vidéos de Gérard Collard et Valérie Expert. Abordant un sujet original – l’installation des européens dans les Antilles – et retraçant l’histoire du café, j’ai tout de suite eu envie d’ajouter cet ouvrage à ma PAL !
Petit bémol, c’est un vrai chemin de croix pour se le procurer car, apparemment, il est en rupture… J’ai écumé plus d’une quinzaine de librairies parisiennes et de province mais je faisais toujours chou blanc ! Et par pur hasard, je l’ai trouvé à la Fnac Saint-Lazare, il restait un seul exemplaire !
Synopsis
1702. Dieppe. Gabriel-Mathieu d’Erchigny de Clieu, âgé d’à peine quinze ans, a pour ambition de s’engager dans la marine et de rejoindre les Indes Occidentales. Il se rêve planteur de tabac.
Une fois ses galons obtenus, le jeune de Clieu tourne pourtant le dos à la marine royale pour diriger sa propre plantation de canne à sucre. Très vite, sa plantation prospère et il s’éprend de la Martinique.
Lors d’un voyage en France, une nouvelle idée germe dans sa tête : cultiver du café aux Antilles. En effet, la canne à sucre et le cacao, bien que sources de revenus, sont complexes à cultiver et surtout rendent malade les esclaves – la fièvre jaune frappe fréquemment ces derniers.
Le café, pour sa part, devient une boisson à la mode et les Français l’achètent à prix d’or aux autres pays. Gabriel-Mathieu sait de source sûre que Louis XV vient d’acquérir des plants de caféiers. La lettre envoyée au roi restant sans réponse, il décide de dérober deux précieux plants pour les planter en Martinique.
Dès lors, le périple de retour commence, la traversée est longue, périlleuse et pleines de surprises…
Avis
Comment arriver à rendre justice à un roman si particulier ? J’espère vous donner envie d’embarquer dans un rafiot de la marine royale pour rejoindre l’Amérique et les Caraïbes…
Voici un roman plutôt original dans sa construction, puisque l’auteur nous entraîne en réalité dans trois histoires différentes, dont le café est le point commun. Le risque pourrait être de rester au bord du chemin, mais ça n’a pas été le cas pour moi… La magie a opéré !
La première histoire est celle d’un jeune homme qui ambitionne de faire richesse aux Amériques en devenant planteur de tabac. Le personnage nous parait un peu loufoque dans un premier temps, on met cela sur le compte de la jeunesse et on se dit qu’il va vite rentrer à Dieppe, la queue entre les jambes, car on ne mise pas un kopeck sur le fait qu’il fasse fortune et s’acclimate à la Martinique ! Les deux autres histoires sont amenées de façon subtile par l’auteur, parsemées tout au long du roman, elles dévoilent d’une part la longue et complexe installation des européens aux Indes occidentales et d’autre part le développement du café aux quatre coins du monde.
L’auteur se sert à la fois de la vérité historique et des mythes et légendes pour construire son récit. C’est bien fait et c’est véritablement captivant ! Personnellement, j’ignorais que c’est en Abyssinie – actuellement l’Éthiopie – que l’on retrouve les premières traces de l’existence du café, avant de gagner le Yémen et le monde ottoman, puis de faire son entrée en Europe. On apprend également que la boisson a changé de goût, de consistance suivant le pays où on le consommait… Bref on prend une belle leçon d’histoire concernant le nectar que l’on aime !
Cet ouvrage soulève également des sujets complexes avec lesquels les européens ne sont pas totalement à l’aise et qui sont d’une brûlante actualité, à savoir le fonctionnement d’une société esclavagiste ou bien encore le massacre des indiens caraïbes. Ces thématiques, délicates à traiter, sont ici brillamment mises en lumière, notamment grâce à l’humour créole de l’auteur.
Je referme ce roman en ayant l’impression d’avoir lu à la fois le journal intime d’un jeune dieppois exilé aux Antilles, un ouvrage scientifique concernant l’histoire du café et enfin un petit manuel destiné aux européens qui veulent s’installer aux Amériques !
Une très bonne lecture sur fond de mythes et légendes. Cela me donne envie de me plonger dans des récits de voyage du nouveau monde !
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