Aventures, Heroic fantasy, Médiéval fantasy

Le chant des cavalières

Chronique de Le chant des cavalières, de Jeanne Mariem Correze.

« Il ne sert à rien de s’inquiéter des choses sur lesquelles tu n’as aucune emprise, bel arbrisseau. Rage et tempête tout ton saoul contre la course du soleil dans le ciel, personne n’arrête l’astre du jour. La roue des saisons tourne, immuable, sans daigner ralentir pour les mortelles que nous sommes. Nous nous angoisserons pour le voyage du retour le temps venu, en attendant, Zinia possède bien des secrets et des trésors qui valent la peine d’être vus, au moins une fois. »

Jeanne Mariem Correze, Le chant des cavalières, Les moutons électriques, 2020, p. 193.

Motivations initiales

Des commentaires très élogieux de notre libraire, un livre déjà vu sur les réseaux sociaux, publié par une maison d’édition toujours aussi stimulante – les moutons électriques -, et une nouvelle auteure dont on nous dit le plus grand bien : il n’y a pas à hésiter, c’est à lire sans trop tarder !

Synopsis

Le royaume de Sarda est depuis longtemps maintenant sous la coupe des Sabès, ses puissants ennemis, venus de l’autre côté du Ravin. Depuis la disparition de la Reine Maude, et des deux artefacts qui ont fait sa puissance – l’épée Lunde et le baudrier Baldré -, le pouvoir – et les luttes qui vont avec – semble se concentrer au sein de l’Ordre des cavalières, ces femmes qui chevauchent des dragons au nom de la Dame. Dans chacune des quatre Citadelles de l’ordre – Nordeau, Ousterre, Soufeu, Estrali -, une Matriarche règne sur son domaine et sur un groupe de cavalières, d’écuyères et de novices.

À Nordeau, justement, Acquilon, la Matriarche, est tuée lors d’une escarmouche. C’est à Éliane, son écuyère, choisie par la Dame et formée par Acquilon, que la charge de Matriarche revient. Et, à son tour, lui échoit une écuyère, Sophie, qu’elle va devoir former pour, un jour, lui succéder. Mais Éliane est aussi l’amante du Prince, l’un des deux hommes en vue du royaume, avec le Condottière, qui est chargé des affaires militaires, de la guerre ou de la paix.

Pour Sophie, c’est une nouvelle vie qui commence. Choisie par la Dame, elle doit se préparer à son futur destin de Matriarche. Mais est-ce réellement aussi simple que cela ?

Avis

Ce livre est, autant le dire d’entrée, assez déstabilisant. Dans l’histoire qu’il raconte, d’abord, et dans le style ensuite.

Si l’histoire peut sembler, au démarrage, d’une facture extrêmement classique, revendiquant d’ailleurs ouvertement une filiation avec les légendes arthuriennes – Sophie est appelée, sans que l’on sache pourquoi ni s’il y a même une raison à cela, sinon la volonté de l’auteure de nous adresser un clin d’oeil, Sophie Pendragon ; quant à l’un des rares personnages masculins de l’histoire, le magicien, il s’appelle Myrddin, il est difficile de ne pas penser à Merlin -, elle prend rapidement un tour bien plus original. En effet, dans les ouvrages traditionnels de fantasy, lorsqu’un héros révélé apparait, son rôle et sa finalité sont de sauver le monde. Ici, sans trahir quoi que ce soit, ce n’est pas le sujet. Ce qui, d’ailleurs, pourrait en déstabiliser plus d’un : alors que le royaume, au début du livre, est dans une situation de paix, fut-elle précaire -, lorsque vous refermez le livre, c’est la guerre et le chaos. Et rien n’indique ce qui se produira ensuite. Et, sauf à ce que Jeanne Mariem Correze lui donne une suite, chacun devra, en son for intérieur, se construire sa propre idée de l’avenir du royaume.

Sophie est donc tout sauf un héros christique. Car la grande aventure à laquelle elle est conviée – et, on le découvrira au fur et à mesure, contre son gré -, c’est celui de la liberté de choix. Sophie est en effet, au moment où le livre commence, une novice parmi d’autre. Sans doute un peu moins intégrée que les autres, mais on la prépare à ce que sera sa vie de cavalière. Lorsqu’elle est « choisie », Élue, pour ainsi dire, elle imagine que sa vie va changer. Mais Éliane de Nordeau, dont elle est devenue l’écuyère de cendres, ne s’intéresse guère à elle. Frêne, cavalière-herboriste, prend alors en charge une partie de sa formation. Quant à Acquilon de Nordeau, semblant revenir d’entre les morts, lui propose de lier leurs âmes. Plus jamais Sophie ne sera seule…

Il faudra un certain temps pour que Sophie prenne conscience que les choix qu’elle pose ne lui appartiennent en vérité pas réellement, mais lui sont dictés, soufflés, inspirés par celles qui l’entourent. Mais lorsque ces choix ont un prix qu’il faut payer, c’est bien elle, Sophie, qui sera concernée. Mais comment, lorsque l’on découvre le monde, ses règles, ses intrigues, ses faux-semblants, apprendre à décrypter les double-jeux et identifier les personnes sur qui on peut compter ? Cette question centrale du choix – du libre-arbitre -, c’est notamment à l’occasion des périodes de méditation, à l’occasion desquelles Sophie se retrouve parfois projetée dans la Forêt des Limbes… une résonance avec notre dernier épisode d’À travers livres, consacré à la forêt.

Quant au style, je dois avouer que je n’ai pas totalement accroché. Onirique par moment – lorsque ce sont les rêves de tel ou tel personnage qui sont relatés -, enlevé à d’autres, parfois direct, j’ai par instant eu l’impression que la recherche allait au-delà du nécessaire. Le début du chapitre 2, en particulier, qui, en une demi-page, rassemble trois occurrences d’une formulation basée sur la répétition, avec la volonté évidente de faire style, m’a paru excessif. Je vous en livre les trois extraits, qui tiennent sur vingt lignes, page 17 :

« Dans son rêve, le monde qui est Nordeau et Nordeau qui est le monde sont un immense drap […]. La toile qui est le monde qui est Nordeau n’est pas tout à fait terminée, la navette court encore entre les fils de couleurs, dessus, dessous, elle tisse inlassablement la silhouette de Nordeau qui est le monde qui est le drap. […]. Dans son rêve, la tapisserie qui est Nordeau qui est le monde n’est jamais achevée. Les fils surgissent soudain de la toile, s’arrachent au métier à tisser. La navette éperdue s’abîme dans l’obscurité tandis que sur le cadre de bois les couleurs se hérissent, se défont, se déchirent. »

J’ai aussi noté, de-ci, de-là, des inversions du verbe et du sujet qui ne me semblaient pas s’imposer, comme un tic d’écriture qui a attiré mon œil. La licence poétique autorise tout, naturellement. Mais je n’y ai pas été sensible.

Dernier point concernant ce livre : on ne peut pas ne pas signaler que le monde de Sarda est pratiquement exclusivement féminin. À l’exception notable du Prince, du Condottière et de Myrddin, les hommes sont absents. Pourtant, on n’est pas plus dépaysés que cela : le pouvoir exercé par les femmes se traduit ici par l’exclusion des hommes de certains lieux de culte, par exemple. Les intrigues et les jeux de pouvoir ne sont pas moins violents entre ces femmes, qui n’hésitent pas à user de l’assassinat – du moins, de tentatives – pour parvenir à leurs fins. C’est donc un monde tout à fait normal de ce point de vue qui nous est décrit : les cavalières sont bien les égales des hommes, pas pires, mais pas franchement meilleures !

Un livre de fantasy qui n’est pas que de la fantasy ; une plume qui ne laisse pas indifférent, positivement ou pas… Il ne vous reste qu’à le lire pour vous faire votre propre idée, non ?

3 réflexions au sujet de “Le chant des cavalières”

  1. Il me fait sacrément envie depuis que je l’ai vu pour la première fois sur les blogs. Je suis curieuse du coup de découvrir ce style d’écriture qui est visiblement marquante – en bien ou mal, je verrai bien ! Enfin, ce n’est pas pour tout de suite, je tente (vainement) de faire baisser ma PAL déjà mais bon, il me botte suffisamment pour que je sois certaine de le lire un de ces jours 😉

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