Fable, Psychologique

Adultère

« Tout le monde a un côté obscur. Tous ont envie de faire l’expérience du pouvoir absolu. Je lis des histoires de torture et de guerre et je vois que ceux qui infligent la souffrance, au moment où ils peuvent exercer le pouvoir, sont mus par un monstre inconnu, mais, quand ils rentrent chez eux, se transforment en pères de famille dociles, serviteurs de la patrie et excellents maris. »

Paulo Coelho, Adultère, J’ai lu, 2015, p. 164.

Motivations initiales

Lecture effectuée dans le cadre du Livre voyageur, lecture commune proposée par Nina, une excellente idée – même si certains semblent avoir dû jeter l’éponge.

Synopsis

Linda a tout pour être heureuse. Du moins est-ce ainsi que pourrait la décrire celles et ceux qui regardent factuellement sa vie : un mari aimant, des enfants gentils et bien élevés, un métier intéressant – elle est journaliste -, aucun souci d’argent. Pourtant, elle se réveille un matin en ne comprenant plus quel sens peut bien avoir sa vie. Et, à l’occasion d’une interview d’un ancien petit ami, elle commet ce qu’elle n’aurait jamais cru possible : l’adultère. Alors même qu’elle aime son mari.

Que lui arrive-t-il ? Est-elle malade ? Doit-elle être soignée ?

Avis

> L’avis de C

Lorsque nous confrontons nos avis avec T, il est rare – mais cela arrive ! – que nous ne ressentions pas la même chose suite à une lecture… Là je dois dire que notre opinion diverge fortement… Voilà plus d’une semaine que je m’interroge : n’ai-je pas compris le sens, le message caché que souhaite nous livrer l’auteur ? Ou bien est-ce parce que je suis « Vieille France » et que je ne tolère pas la tromperie ? Quoi qu’il en soit, je ne tire pas une bonne leçon de cette lecture. Bref, je n’ai pas aimé…

Personnellement, j’ai trouvé qu’il ne se passait grand chose dans ce livre en dehors des réflexions incessantes de Linda sur sa vie en tant que femme, mère et épouse. J’ai trouvé que l’histoire était trop lente, trop plate, trop répétitive et sans aucun intérêt… C’est très paradoxal car je n’ai pas aimé mais j’ai lu le roman en deux jours (314 pages dévorées dans les transports en commun et sous ma couette !).

Certes la construction du roman est assez intrigante car se mêlent des passages profonds de philosophie, de religion et des réflexions sur l’amour – quelques scènes de sexe typiques de la New Romance viennent quand même m’éviter l’encéphalogramme plat – et sur la solitude. Mais cela me donne quand même un sentiment d’inachevé.

Seul point positif : les leçons d’histoire sur la Suisse, totalement inattendues, j’ai appris plein de choses !

Un bilan bien morose, une lecture ratée mais j’ai malgré tout apprécié d’avoir entre les mains ce livre voyageur, et il me tarde de le faire parvenir à la personne suivante !

> L’avis de T

Ce livre parle d’un adultère. Il n’est pas nécessaire de lire ce livre pour le savoir, puisque c’est ce qui est écrit sur la couverture. Mais parle-t-il, en réalité, de l’adultère de Linda ? Sincèrement, j’ai un doute.

Si on lit ce livre au premier degré – et c’est ce que l’on fait souvent -, certes, on peut s’arrêter là. Le livre est agréable, la langue est belle. Mais qui est cette femme, pourquoi se jette-t-elle ainsi sur son ancien petit ami, pourquoi accepte-t-elle une relation qu’elle qualifie elle-même de « sordide » ensuite ? Cela n’a aucun sens.

Moi, j’ai lu ce livre comme une fable, et non comme un roman. Linda, son mari – connaissons-nous seulement son prénom ? Je ne crois pas ! -, Jacob : ces personnages n’ont pas d’importance, me semble-t-il. En revanche, pourquoi Paulo Coelho, qu’on peut probablement soupçonner de tout mais pas d’imprécision ou de légèreté quand il écrit, insisterait-il autant sur la question religieuse, si ce n’était un indice fort ? Et j’ose même m’aventurer jusqu’à suggérer que le choix du prénom Jacob pourrait être lourd de sens, si l’on considère le passage de l’échelle de Jacob, dans la Bible, qui rappelle le rôle de médiation entre le ciel et les hommes. Jacob, dans ce livre, serait-il le médiateur entre la Linda qui a renoncé à la spiritualité et celle qui se cherche, qui expérimente le vide, le « trou noir » d’une existence uniquement basée sur la marchandisation ?

Pour moi, l’adultère dont il est question ici, c’est celui que nous commettons – tous ? -, dans nos sociétés modernes, vis-à-vis de la vie. Nous acceptons de la tromper, de la nier, de l’oublier, alors même que nous l’aimons. Nous la trompons odieusement, en nous perdant dans une existence de surface, mesurée à l’aune de l’argent gagné ou dépensé, d’un confort matériel qui n’est qu’une auto-justification de nos efforts consacrés à perdre notre vie pour la gagner.

Et c’est ainsi que je comprend l’attitude de Linda : elle a accepté de renoncer à ses rêves, à son existence intérieure, à ce qui fait d’elle ce qu’elle est. Oh, certes, elle a tout ce confort moderne, mais elle en a perdu la dimension spirituelle. Du coup, tout lui parait soudain sordide : les relations sexuelles qu’elle a – en général sur une impulsion, d’ailleurs – avec Jacob le sont, mais le reste de sa vie l’est également. Ses interrogations de grande bourgeoise, sa jalousie vis-à-vis de Marianne, sa tentative de la faire mettre en prison en cachant de la cocaïne dans son bureau : tout cela est sordide !

Le seul moment où elle parvient à s’élever, c’est quand elle accepte réellement de perdre le contrôle de sa vie. Dans la scène finale. Mais qui n’est évidemment pas qu’un saut en parapente. Et qui est une parabole, me semble-t-il, de ce qu’est la spiritualité.

Mention spéciale, en passant, pour un extrait qui semble n’avoir interpelé personne, alors qu’il est pourtant profondément politiquement incorrect, et, du coup, incroyablement signifiant. Même sur Babelio, personne ne semble signaler ce passage, qui est pourtant éminemment polémique. Comparer Calvin à Ben Laden, ça ne met la puce à l’oreille de personne ? Après un tel passage, vous pouvez continuer à penser que ce livre raconte l’histoire de Linda et de ses petites histoires de cul ? Je ne discute même pas de la pertinence de la comparaison – Calvin n’était pas un petit rigolo, il faut le reconnaître, mais tout de même !

Bref, si l’on prend ce livre comme une fable sur l’importance de ne pas évacuer la spiritualité au profit du matériel, dans nos sociétés financiarisées, les choses n’ont plus exactement le même sens. Et la question n’est plus de savoir si on est d’accord avec Linda ou pas, mais plutôt de se demander si, soi-même, on a su préserver ses valeurs et ses rêves…

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8 réflexions au sujet de “Adultère”

  1. Hé bien j’avoue ne pas avoir poussé l’analyse et en être bêtement restée à ne voir que la surface, probablement parce que j’ai, de base, un problème avec la notion d’adultère qui m’a probablement interdite de voir plus loin. Cependant, cette seconde analyse colle mieux à ce qu’on connaît de la poésie de la plume de l’auteur, mais je reste indéniablement bien plus en accord avec le premier avis 😊
    Mais en accord avec tous : ravie d’avoir partagé l’expérience du livre voyageur !

    Aimé par 1 personne

    1. L’intérêt d’échanger sur des livres, c’est justement de pouvoir confronter des visions différentes, étant naturellement entendu que toutes les lectures sont audibles, il n’y a pas de jugement de valeur 🙂 Je précise juste – pour que mon binôme au sein de Ô Grimoire ne prenne pas la mouche – que je n’ai pas non plus d’affinités particulières avec l’adultère, hein ! :-)) Cela va sans dire, mais encore mieux en le disant. Hummm…

      J’aime

  2. Merci pour ce superbe duo de commentaires ! C, je suis entièrement d’accord avec ton avis qui colle parfaitement avec ce que j’ai ressenti durant ma lecture 🙂 Néanmoins, je dois dire que T a animé mon côté analytique et me donne même envie de relire le roman d’un point de vue différent ! En y repensant, cette analyse collerait dans un premier temps bien plus au genre de l’auteur, et en second temps, elle permettrait même d’expliquer la réaction béate et « hautement intelligente » du mari, ressemblant à s’y méprendre à une absolution ! Merci encore à vous deux de votre participation et à bientôt, je l’espère 🙂

    Aimé par 1 personne

    1. En fait, pour tout tout tout dire, cette lecture m’a renvoyé à une autre qui n’a absolument rien à voir, mais quand même, et qui a sans doute orienté ma façon de lire. Je ne sais pas si tu as lu « Tristesse et beauté » de Kawabata. Mais ce livre raconte également une histoire sans aucun intérêt si on le regarde « simplement » du point de vue du scénario. Et pourtant, c’est un petit bijou de style, ciselé, fin, de la dentelle, alors que l’histoire est très basique (vengeance de l’élève et maîtresse d’une femme qui a été abandonnée, des années plus tôt, par un professeur d’université. Et la vengeance consiste à détruire la vie de cet homme, en le séduisant, en séduisant son fils, en brisant son couple…). Sincèrement, le scénario est maigre comme une feuille de papier à cigarette, comme dans Adultère. Et pourtant…

      En tout cas, encore merci pour ce défi. C’était top, nous sommes ravis d’avoir participé !

      Aimé par 1 personne

      1. Je suis heureuse que l’expérience vous ai plu ! Et je prends note du titre dont tu parles car non je ne l’ai pas lu et je ne connais absolument pas alors tu m’intrigues 🙂
        Encore merci à vous et si cela vous dit une autre session devrait débuter pour septembre… Affaire à suivre !

        Aimé par 1 personne

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