Chronique de Irezumi, d’Akimitsu Takagi.
« Le même sang coulait dans les veines de Kinué et sous la peau de ce serpent. Reptile et femme se confondaient dans l’esprit du jeune homme. Mais l’étreinte ensorcelante qu’ils venaient d’échanger n’était-elle pas l’incarnation même de la lubricité des femmes-serpents rapportée par les légendes ? Pris au piège de son charme toxique, Kenzô s’agenouilla et déposa un baiser sur les lèvres du monstre Orochimaru, comme un gage d’infaillible loyauté à la reine devant laquelle il se prosternait. »
Akimitsu Takagi, Irezumi, Folio, 2019, p. 65.
Motivations initiales
La cover attire l’œil. Une femme, de dos, dévoile un tatouage de serpent qui couvre tout son dos. Et puis, en quatrième, on découvre qu’il s’agit d’un classique du polar japonais, paru en 1948, vendu à plus de 10 millions d’exemplaires, mais traduit en France seulement en 2016…
Synopsis
Alors que le Japon sort meurtri de la guerre – nous sommes en 1947 -, on retrouve, dans une salle de bain fermée de l’intérieur, la tête et les membres tranchés de Kinué Nomura, quelques jours à peine après qu’elle ait remporté un prix lors d’une convention de tatouage. Son tronc, en revanche, a disparu, ce qui n’est pas neutre, puisque, fille d’un célèbre tatoueur, elle faisait en effet partie de ces femmes, mal vues mais souvent objet de fantasmes qui arboraient un irezumi, un tatouage intégral. Son amant, un riche industriel, a disparu également ; il est retrouvé, quelques jours plus tard, son revolver à la main, une balle dans la tête. Suicide ?
La police enquête, mais saura-t-elle démêler les fils complexes de cette affaire, qui semble directement liée au milieu du tatouage ?
Avis
Je n’avais jamais lu de « classique du polar nippon », et je ne savais pas réellement à quoi m’attendre. Est-ce que l’on allait plutôt être proche d’un classique du polar à l’occidentale, ou plutôt d’un roman japonais ?
Eh bien c’est extrêmement surprenant, en fait… ou pas du tout. Vous l’aurez compris, ce n’est pas si simple que cela de décrire ce roman !
Dans sa construction, il est extrêmement classique, au sens « Agatha Christie » du terme. Un mystère de la chambre close à la nippone, dans lequel il faut l’intelligence supérieure d’un petit prodige des mathématiques pour faire émerger la vérité.
Le rythme est bien plus lent que ce à quoi l’on est désormais habitués. En effet, aujourd’hui, les thrillers se veulent haletants… là, non, ce n’est pas l’effet recherché. La construction, en revanche, est très travaillée.
Un des intérêts de ce livre, c’est que l’on découvre beaucoup de choses sur la société japonaise. À commencer par la sorte de fascination-répulsion qu’elle a pour le tatouage. En effet, depuis l’ère Edo, celui-ci a plutôt une mauvaise image au Japon, en lien avec les yakuzas et la criminalité, et, côté féminin, avec des mœurs légères. Le revers de cette médaille, c’est que certains éléments culturels nous échappent. L’auteur fait par exemple référence à des affaires criminels qui ont fait couler beaucoup d’encre au Japon… mais dont nous n’avons jamais entendu parler. Et quand on lit un passage comme :
« Cette affaire semble tout droit sortie d’un recueil kusazôshi de l’époque d’Edô… ce qui rend les intentions du criminel d’autant plus difficiles à déchiffrer. On dirait un problème de shôgi »
que doit-on comprendre ? Moi, clairement, cela ne m’aide pas à déchiffrer quoi que ce soit !
Du coup, j’ai un sentiment un peu mitigé en arrivant à la fin de ce livre. La mécanique est efficace, bien huilée, mais ça manque de rythme et surtout c’est culturellement déstabilisant. Si vous êtes accros aux page turner qui ne laissent pas un instant pour respirer, passez votre chemin ; si, en revanche, vous en pincez pour les grands classiques, la découverte vaut sans doute la peine !