Historiques, Policiers

Le cœur et la chair

Chronique de Le cœur et la chair, d’Ambrose Parry.

« Elle ne le connaissait que depuis peu de temps, mais cela lui avait suffi pour le cataloguer comme un digne représentant de ses semblables : égocentrique, enclin à la grandiloquence et persuadé que son instruction le plaçait au-dessus de ceux qui n’avaient pas bénéficié des mêmes chances que lui. Elle repensa à son arrogance, quand il avait repoussé son conseil dans la salle d’attente. Il découvrirait rapidement qu’il valait mieux l’avoir comme amie que comme ennemie, mais elle était prête à être l’une ou l’autre – cela dépendrait de lui. »

Ambrose Parry, Le cœur et la chair, Éditions Points, 2020, p. 94.

Motivations initiales

Nouvelle lecture dans le cadre du Prix du meilleur polar des Éditions Points, et nouvelle découverte d’un auteur, qui, pour le coup, n’est pas un, mais deux. En effet, Ambrose Parry est le pseudonyme de deux auteurs, Chris Brookmyre, auteur déjà reconnu par plusieurs prix, et Marisa Haetzman, sa femme, médecin anesthésiste.

Synopsis

1847, à Édimbourg. Un jeune homme, Will Raven, étudiant la médecine, s’apprête à commencer un stage chez un obstétricien célèbre et recherché, le professeur Simpson. Mais encore faut-il, pour cela, qu’il survive aux arguments frappants des hommes de main de celui à qui il a dû emprunter de l’argent, et qui compte se rembourser rapidement.

Hébergé chez le Professeur, il découvre une drôle de maisonnée. Deux médecins assistent le professeur Simpson, le docteur George Keith, et le docteur James Duncan, qui mène des recherches pour mettre au point de nouveaux traitements. La maison est menée d’une main de fer par Mme Lyndsay, la cuisinière, qui veille à tout. Les trois enfants du couple Simpson bénéficient d’une éducation plutôt libre, au grand désarroi de leur nourrice. Parmi le personnel de maison, Jarvis, le majordome, s’occupe essentiellement des patients issus de la haute société, alors que Sarah, la femme de chambre, en plus de ses tâches habituelles, se bat pour conserver le droit de s’occuper des patients du rez-de-chaussée, que le professeur reçoit en consultation.

Alors que Will découvre ce microcosme, une prostituée avec laquelle il entretenait des liens d’amitié est retrouvée morte, après de grandes souffrances. Et bientôt, ce sont plusieurs jeunes femmes, prostituées ou employées de maison, qui décèdent, alors qu’elles sont enceintes. Quelqu’un semble décidé à profiter de la situation de panique de ces jeunes femmes pour leur soutirer de l’argent, au risque de leur vie.

Le tout se déroule alors que le professeur Simpson, faisant face à de sérieuses oppositions, milite en faveur de l’utilisation de l’éther pour endormir les patients avant une opération. Mais quels peuvent bien être les liens entre tous ces fils d’histoire ?

Avis

Ce livre, le premier d’une série, regroupe visiblement les centres d’intérêt de nos deux auteurs, Chris Brookmyre, auteur de romans policiers, et son épouse, que l’histoire de l’anesthésie doit motiver.

Et, en effet, on se retrouve à Édimbourg, alors que l’éther commence à se faire une place dans la pharmacopée, mais se heurte à de sérieuses résistances, notamment du côté de l’église, qui s’accroche à la lettre des textes, et, en particulier, à l’idée qu’il faut enfanter dans la douleur. On comprend aisément, et cela est souligné dans le livre, que dans un tel contexte, quelques erreurs de manipulation auraient suffi à faire renoncer pour de longues années encore à l’emploi des narcotiques… laissant tous ceux qui devaient se faire opérer subir le martyre. Heureusement, l’arrivée du chloroforme, moins délicat d’usage que l’éther, et que le professeur Simpson adopte dans ce livre, a permis d’éviter cet écueil.

De plus, la condition féminine, en ce milieu du XIXe siècle, est particulièrement fragile. Même dans les classes favorisées, hors du mariage, point de salut, comme le montre Mlle Grindlay, qui consacre tous ses efforts à se trouver un parti acceptable, alors même qu’elle est cultivée et intelligente. Et, pour celles qui doivent travailler, c’est évidemment pire, puisqu’elles sont en permanence soumises au risque d’être renvoyées. Ainsi, nombre d’entre elles sont contraintes à tout accepter, pour éviter de se retrouver sans emploi, ce qui signifie alors sans logis, et, souvent, prostitution.

Sarah, pour sa part, incarne ces femmes qui se heurtent à l’impossibilité d’être reconnues pour leurs compétences. Femme de chambre, elle lit et serait parfaitement capable de suivre des études de médecine… mais elle n’est pas un homme. Elle aurait également les capacités de travailler comme préparatrice dans une pharmacie, mais les clients n’auraient pas confiance dans des médicaments préparés par une femme. Bref, elle se sent totalement engluée dans cette société machiste qui ne lui laisse d’autre choix que d’être femme de chambre. Et, comme en contrepoint, on nous rappelle au détour d’une page que Charlotte Brontë, pour publier Jane Eyre, l’avait fait sous un pseudonyme masculin, Currer Bell.

Le petit jeu entre les deux protagonistes de ce livre – et de la série qui va en découler, et dont le deuxième tome est paru en grand format cette année -, Will et Sarah, qui commencent par se regarder comme chien et chat, avant de s’apprivoiser, est assez amusant. Et l’on imagine tous les développements auxquels cela pourrait nous amener par la suite…

L’ensemble donne un livre efficace, avec une intrigue de facture assez classique, mais qui nous apporte beaucoup d’éléments sur la société et la médecine à l’époque. Sans être un véritable coup de cœur, cela fonctionne bien, la lecture est agréable – à l’exception de quelques descriptions, comme celle d’une craniectomie… -, ce qui devrait convaincre une bonne partie des amateurs de polars historiques !

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