Drame, Roman, Thrillers

Tempête Yonna

Chronique de Tempête Yonna, de Cyril Herry.

« Il y aurait eu de quoi écrire un livre, sans le moindre doute, au sujet de Braconne, mais qui donc serait parvenu à le lire jusqu’au bout, hormis ceux qui avaient vécu là ? Il n’y aurait sûrement pas eu grand-chose de palpitant à découvrir au fil des pages. Rien de bien remarquable. Des anecdotes, un peu d’amour, de la rancœur, beaucoup d’orgueil. Rien de moins ordinaire et d’humain. C’était un village qu’on oubliait aussitôt après l’avoir traversé. Pour quelle raison l’avait-on fait, d’ailleurs ? Sans doute était-ce une erreur d’itinéraire. Un moment d’inattention. Du temps perdu.

Il n’y avait rien à voir à Braconne.

Yonna et Saul l’avaient tout de suite compris : il y avait tout à y faire. »

Cyril Herry, Tempête Yonna, Éditions In8, 2021, p. 23.

Motivations initiales

Après un échange avec les éditions In8, après la chronique consacrée au livre Le goût de la viande, de Gildas Guyot, ils nous avaient proposé de nous envoyer le deuxième roman de l’auteur, Maktaaq. Puis de découvrir un de leur nouveau livre. Et voici Tempête Yonna ! Merci Josée.

Synopsis

Braconne est un petit village perdu, quelque part en France. Douze âmes y habitent toute l’année, et une famille – le père, la mère et une adolescente – y occupe un gîte. Alors qu’une grève générale paralyse le pays, la tempête Yonna s’abat sur le village.

Le hameau se retrouve alors totalement coupé du monde : plus de gaz ni d’électricité, plus d’eau courante, plus de radio ni de télévision, plus de réseau téléphonique. Et les routes sont impraticables, jonchées d’arbres abattus par le vent.

Pour les quinze personnes bloquées là, il faut d’abord évaluer les dégâts. Puis s’organiser… Mais, déjà, c’est un autre type d’orage qui menace d’éclater…

Avis

J’ai choisi la citation qui figure au début de cette chronique parce qu’elle souligne la gageure relevée par Cyril Herry. Ce livre nous parle de Braconne, où il n’y a rien à voir, un village sur lequel il y aurait de quoi écrire un livre, mais que personne ne lirait.

Eh bien, si, on le lit, ce livre. Même sans avoir vécu là. Parce qu’il parle de choses qui se produisent partout. Parce qu’il parle de la vie ! Et, comme il l’écrit, il y a « Des anecdotes, un peu d’amour, de la rancœur, beaucoup d’orgueil ».

Lorsque la tempête survient, la priorité, c’est de survivre. En espérant que les chiens, les lapins, les chevaux, le bétail… survivent aussi. La peur, l’adrénaline, l’instinct de survie prennent le dessus sur tout le reste. Et, forcément, après la catastrophe, la première réaction consiste à se serrer les coudes, face à l’adversité. Presque tous se rassemblent autour de Mélanie, la vieille Mélanie, qui tenait le restaurant du village. Manquent à l’appel les « étrangers », et une famille, qui vit en quasi-autarcie, presque des survivalistes. Et puis P’tit Léon, dont la mère est morte, écrasée par un arbre qui s’est abattu sur la maison. C’est ce que les penseurs de la politique appellent l’effet « ennemi extérieur », face auquel on peut souder le groupe. Mais ces mêmes théoriciens savent aussi que, s’il n’y a pas de haine à l’intérieur, il n’y aura pas d’ennemi extérieur…

Les jours passent. Toujours aucun signe de l’extérieur, pas de colonnes de fumée dans le ciel, pas d’avions non plus. Mais le village s’organise. Le jour, le groupe s’attache à dégager les routes, pour pouvoir atteindre le cimetière, d’abord, afin d’enterrer la mère de P’tit Léon. Puis vers Puy Soudain, le hameau le plus proche. La vie reprend malgré tout un semblant de normalité.

Pourtant, la tempête n’est pas la catastrophe, ou, du moins, pas la seule catastrophe. Elle est aussi le révélateur de la catastrophe à venir. Mais s’agira-t-il d’une catastrophe plus grande encore, ou, au contraire, d’une catastrophe intime, individuelle ?

Car une fois passée la phase critique, chacun revient à ses préoccupations d’avant la tempête. Jalousie, tromperie, envie, méfiance, colère, petites ou grosses blessures mal cicatrisées… tout ressort subitement, et prend racine dans un terreau finalement favorable, celui du huis-clos à l’échelle du village. Chacun, avec ses cassures, avec ses failles – le manque d’amour dans l’enfance, le rejet, le repli sur soi, un syndrome de choc post-traumatique… – essaye de s’en sortir, comme il peut, entre culpabilité et colère.

Et c’est peut-être là où réside le tour de force de Cyril Herry : comme il travaille sur cette matière humaine qui s’exprime partout, en ville, à la campagne, en montagne, en forêt, chacun se sent directement interpelé par des comportements connus, déjà expérimentés. Peut-être la présence forte de la nature et l’isolement renforcent-ils l’intensité des sentiments… mais pas forcément. Du coup, Braconne devient une caisse de résonance, que l’on n’oubliera pas de sitôt, même après l’avoir traversé !

Ce qui est amusant, c’est que cette lecture me renvoie à deux choses très différentes. J’ai d’un côté eu l’impression de retrouver une version moderne d’un roman de l’école de Brive, ancré dans un terroir, avec cette primauté donnée à la nature, dans sa violence mais aussi dans sa beauté. Et, en même temps, cette lecture m’a aussi fait retrouver quelque chose de l’ordre de ce que j’avais ressenti en lisant Tristesse et beauté, de Yasunari Kawabata : une impitoyable violence dissimulée sous une magnifique douceur. Et, en effet, la langue de Tempête Yonna est très belle, et m’a parue servir de révélateur, d’exhausteur, si j’ose dire, à la brutalité des hommes.

Alors un seul conseil : quelles que soient vos propres tempêtes, lisez Tempête Yonna !

2 réflexions au sujet de “Tempête Yonna”

  1. Oui, si l’on considère que le monde d’après ressemble fortement au monde d’avant, avec les mêmes ressorts psychologiques – et humains – qui mènent la danse… Ah ben, oui, en fait, c’est bien ça 🙂

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